Non content de devoir plusieurs milliards aux entreprises privées, l’Etat les soumet à une forte pression fiscale qui menace la survie de certaines. Le Bureau exécutif du Cnp demande à l’Etat de se préoccuper aussi de la survie de ces acteurs économiques incontournables.

Par Mohamed GUEYE –

Hier, au sortir de la réunion du Bureau exécutif du Conseil national du patronat (Cnp), le président de cette structure, M. Baïdy Agne, a fait avec le journal Le Quotidien, la synthèse des travaux, et transmis le résumé des préoccupations de ses pairs, au moment où l’Assem­blée nationale débat sur le prochain budget du pays, et à quelques mois du grand rendez-vous électoral auquel se prépare le pays pour le mois de février prochain.

Une fois de plus, revient la situation financière de plusieurs entités membres du Cnp. M. Agne a indiqué : «Nos entreprises ont eu à nous alerter sur leur situation financière actuelle devenue insoutenable avec le niveau très élevé de la dette intérieure et la forte pression fiscale dont elles font l’objet. Cette situation s’avère très préoccupante, et ce d’autant plus que nous sommes à six (6) semaines de la fin de l’année 2023.» Le président du plus important syndicat patronal du pays explique que plusieurs secteurs d’activité sont affectés par ces créances qui ont plus que duré pour certains. Il s’agit, entre autres, des secteurs du pétrole et du gaz, de l’agro-industrie, des Btp, de l’enseignement privé, de l’informatique et du numérique, ainsi que de la santé notamment.

Toutefois, souligne le patron des patrons sénégalais, «les deux grands secteurs les plus impactés sont les pétroliers et les entreprises de Btp. Si je prends par exemple les pétroliers, la dette s’élève à plus de 140 milliards F Cfa, comprenant le différentiel des prix d’importation suite au blocage prix (Ppi), des arriérés de péréquation ainsi que des droits de porte sur les clients exonérés. Le Btp, quant à lui, subit des retards de paiements de plus d’une centaine de milliards de F Cfa après l’exécution totale ou partielle des chantiers». Cela ne veut pas dire que les autres secteurs ne souffrent pas pour autant, insiste-t-il. Baïdy Agne souligne qu’il s’agit, pour la plupart des entreprises, de Pme qui n’ont pas de capacités financières qui leur permettraient d’attendre des échéances de remboursement à long terme.

Ce qui est plus dramatique dans cette situation, c’est que les entreprises qui courent après leur argent, n’ont aucune visibilité sur les délais de remboursement. Baïdy Agne note qu’à quelques semaines de la fin de l’année, au moment de faire leur bilan, elles sont encore dans le flou en ce qui concerne la trésorerie. Cela peut avoir des conséquences dramatiques, nonobstant les montants en question. Car, explique le président du Cnp, «lorsqu’une entreprise exécute un marché ou toute prestation avec l’Etat, soit elle utilise ses fonds propres, soit elle emprunte auprès des banques. Dans le premier cas, le retard de paiement engendre des perturbations dans la mise en œuvre de son programme d’investissements et d’activités d’exploitation. Et dans le second cas, cela génère en plus des intérêts bancaires non prévus».

Des démarches ont été menées par le Cnp auprès des autorités, indique M. Agne, qui souligne avoir notamment échangé avec le ministre des Finances et du budget, Mous­tapha Ba. Ce dernier lui aurait indiqué que cette situation préoccupe aussi les pouvoirs publics, qui se sont engagés à apurer rapidement la dette intérieure, de manière progressive. Toutefois, le président du patronat insiste pour que les paiements commencent le plus rapidement possible, d’autant que pour lui «le Sénégal va bénéficier de la part du Fmi d’un accès à plus de 270 millions de dollars».

Surtout, relève-t-il, que non content de leur devoir de l’argent, l’Etat fait peser sur les entreprises, tout le poids de sa fiscalité. Les contentieux fiscaux fragilisent plus encore le précaire équilibre de plusieurs sociétés. Selon lui, plusieurs entreprises membres du patronat auraient commencé à voir tomber sur elles des Avis à tiers détenteur (Atd), qui bloquent leurs comptes jusqu’à ce que l’Etat puisse récupérer les montants qu’il leur réclame. D’autres font l’objet de redressements fiscaux ou de demandes hiérarchiques d’arbitrage. Baïdy Agne déplore : «C’est inquiétant, car même si nous avons un taux de pression fiscale de 18, 3% en 2023, il était attendu une baisse de la pression fiscale sur les mêmes contribuables dans le cadre du programme «Yaatal» des services fiscaux. Nous avions bon espoir que les mesures d’élargissement de l’assiette fiscale permettraient d’amoindrir cette pression, mais nous constatons que ce n’est pas le cas. Or, en principe, le «Yaatal» devrait aller avec le «Wagni» et non le «Yokku»…» D’où son souhait que la Direction des impôts communique davantage sur le bilan du programme Yaatal.

L’homme d’affaires comprend que l’Etat ait besoin de compenser les énormes subventions accordées au cours de cette année : «L’Etat doit trouver en cette année 2023, des ressources additionnelles pour compenser les 556 milliards F Cfa de subvention du secteur de l’énergie et les 103 milliards F Cfa de stabilisation des produits de grande consommation… Mais il ne faut pas que cela se traduise par un affaiblissement de notre secteur productif, à travers une forte pression fiscale et le non-paiement à date de créances», insiste-t-il. Et il souligne que les entreprises également ont été fortement affectées par les conséquences des chocs extérieurs. Si elles ont fait preuve de résilience et font montre de solidarité nationale, il est du devoir de l’Etat de se préoccuper aussi de leur situation et de prendre en compte leur survie.
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