C’était inéluctable depuis le déclenchement de la guerre civile en Syrie en 2011, dans la foulée des printemps arabes : la chute de Bachar Al-Assad est actée, dans la nuit du 7 au 8 décembre.
Les populations syriennes avaient, comme d’autres, de ce qui a été convenu d’appeler la «rue arabe», appelé à la démocratie, la liberté et l’Etat de Droit. Les régimes jadis puissants de Hosni Moubarak et Zine El-Abidine Ben Ali ont chuté après des manifestations monstres et malgré une répression qui n’a pas altéré l’énergie des foules et rafraîchi leur ardeur. Ne soyons guère naïfs, dans les deux cas, les armées ont basculé pour asséner le coup fatal et obliger les autocrates à partir. L’état des pays en matière de liberté et de démocratie s’est depuis amélioré ? Pas vraiment, au regard de la situation actuelle, mais peu pouvaient prédire en amont l’issue de ces soulèvements et la nature des régimes qui leur succéderaient.
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Dans la foulée donc du printemps arabe, le régime syrien avait lui tenu, par une répression terrible mais aussi par un soutien fort de puissances comme l’Iran et la Russie. Bachar Al-Assad a fait usage d’une brutalité hors du commun pour soumettre les Syriens depuis 2011, aidés en cela par les miliciens du Hezbollah, les Gardiens de la révolution iraniens et les soldats russes. Mais ce qui est arrivé ce 8 décembre en Syrie est d’une logique implacable : on ne confie pas la sécurité, voire l’intégrité d’un pays, à un Etat étranger, fut-ce une puissance. Damas avait joué la carte du sauveur face aux islamistes avant de maintenir un régime impopulaire et sanguinaire par le jeu des alliances au plan géopolitique. Opter pour le parapluie russe a permis de tenir près d’une dizaine d’années. Moscou obtenait ainsi une carte non négligeable pour peser dans la géopolitique internationale. Poutine utilisait la Base navale de Tartous pour sa flotte et permettait en retour la survie du régime Assad par des bombardements qui n’épargnaient guère les civils.
Mais les Russes, fortement touchés par les sanctions internationales et dont les troupes sont embourbées sur le front ukrainien, sont désormais fragiles. Ceci explique certainement la fulgurance de l’offensive des miliciens du Hts (de Hayat Tahrir Al-Cham), démarrée le 27 novembre pour s’achever à Damas le 8 décembre. Les rebelles ont ainsi obtenu la tête de Bachar Al-Assad, Président syrien depuis 24 ans et héritier de Hafez Al-Assad, qui a tenu le pays d’une main de fer pendant 29 ans. C’est donc une autocratie familiale de cinq décennies qui vient de prendre fin brutalement, en dix jours, devant l’incapacité de l’appareil sécuritaire syrien et de ses alliés russes, libanais et iraniens.
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Dans un article fouillé de Benjamin Barthes, grand spécialiste de la région pour Le Monde, le bilan de la guerre civile syrienne est conséquent. Selon lui : «On recense entre 300 000 et 500 000 morts, 1, 5 million d’invalides, 5, 6 millions de réfugiés et 6, 2 millions de déplacés. Un tiers du parc immobilier a été détruit ou endommagé.»
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Après cette chute fulgurante du «Docteur» -surnom de Bachar Al-Assad, car diplômé en médecine, spécialité ophtalmologie-, seuls des esprits imprudents peuvent élaborer des plans sur le futur de la Syrie, avec à sa tête des miliciens aux myriades d’influences, de soutiens et de promesses. Si leur objectif premier annoncé est atteint : mettre un terme au régime de terreur des Assad, la suite est encore floue. Le pays ouvre-t-il une nouvelle ère de démocratie et de liberté ? Des doutes sont permis au regard de la configuration actuelle, avec des hommes en armes qui délogent un Président, fut-il un dictateur sanguinaire. Il convient en outre d’observer et d’attendre, car la Tunisie et l’Egypte sont là pour nous rappeler que les effusions de joie après la chute d’un autocrate peuvent déboucher sur des larmes d’une nouvelle vie sous l’autocratie. Mais d’ores et déjà, qu’il me soit permis de rappeler ici deux convictions. La première est qu’on peut tenir les deux bouts : haïr fortement le régime despotique de Bachar Al-Assad sans tomber dans une admiration béate devant ces miliciens aux belles promesses mais dont la configuration de l’appareil idéologique est fortement imprégnée d’islamisme ; car à la base, Hts est une excroissance du tristement célèbre groupe Al-Qaïda. La deuxième est qu’on ne sous-traite pas sa sécurité. Erreur que commettent nos voisins maliens et burkinabè, qui fondent leur espoir sur les mercenaires de l’Africa Corps (nouvelle appellation du groupe Wagner) pour vaincre les groupes armés exerçant dans leurs pays. En vérité, Africa Corps prend davantage les allures d’une garde prétorienne à la solde de régimes illégitimes. Wagner a-t-il annihilé l’attaque de l’aéroport de Bamako du 17 septembre dernier ? Nos voisins devraient méditer plus que nul autre sur la chute de Assad.
Par Hamidou ANNE – hamidou.anne@lequotidien.sn