La maladie traumatise, ronge et tue parfois. Le nombre de diabétiques se multiplie d’année en année. Les femmes sont désormais les plus touchées dans le monde. En ce moment, 1 999 000 d’entre elles en souffrent. D’ici 2041, 313 millions de femmes pourraient être touchées. Au Sénégal, la plupart des patientes évoquent des difficultés à observer normalement le régime à cause des faibles moyens économiques. Sans oublier le poids psychologique de l’utilisation de l’insuline.

Très redouté, le diabète embête et impose la diète pour la survie. Elle est très fréquente en Afrique, particulièrement au Sénégal où la maladie touche de plus en plus les femmes. De ce fait, le Centre Marc Sankalé de l’hôpital Abass Ndao est le point de convergence des malades. A l’intérieur de ce bâtiment peint en beige, elles sont nombreuses et font presque le double des hommes. Devant la psychose de cette maladie, la distance et les difficiles conditions de transport ne constituent guère des entraves. Leur santé est au-dessus de tout. Le reste importe peu. Ce centre, qui porte le nom du premier agrégé africain de médecine générale, est très sollicité. Tous les matins, c’est le grand rush. Il reçoit en moyenne 2 500 diabétiques par jour. Sous l’effet du chaud soleil qui chauffe les têtes et fait couler la sueur, l’enseigne blanche jette un reflet piquant sur les yeux. A quelques mètres de l’entrée, une petite tente est dressée juste à gauche. Une bâche à l’intérieur de laquelle, une dame, blouse blanche, teint noir, foulard bien noué, s’occupe des visiteurs. Devant elle, une vieille femme, suivie du pas et du regard par une jeune fille. Cet espace est aménagé pour le dosage de la glycémie (le taux de sucre dans le sang). Sur la table de travail de cette dame est posé un petit panier blanc contenant des morceaux de cotons déjà utilisés pour le nettoyage du doigt ayant subi les affres de la fine seringue. Non loin de la tente, quatre femmes et un homme sont assis en attendant leur tour chez le médecin. Certains se sont courbés, tête sur les genoux, les mains au-dessus, sans doute pour rattraper les heures de sommeil perdues, car il faut venir tôt pour ne pas y passer la journée. «Il est treize, je suis là depuis 7 heures 30 minutes, j’ai mon ticket et j’attends mon heure. Les médecins font bien leur travail. Le diabète a fini de faire le tour du pays, de ce fait, la prise en charge devient difficile. Les patients sont nombreux», souffle, d’une voix basse, Mariama Guèye. Teint clair, le visage ridé par l’âge, cette habitante de Castors vit avec cette maladie depuis plus de 30 ans.
Féminisation de la maladie
Ils ne sont pas les seuls patients. D’autres attendent comme eux, dans des endroits différents. Le bout du couloir ouvre une pièce en forme de case. Là, ils y sont aussi. Ici, le constat est toujours le même, plus de femmes que d’hommes. Certains sont assis, d’autres couchés sur les carreaux. La salle est calme. Un silence de cathédrale prévaut. De temps en temps, une voix s’égosille et prononce le nom d’une personne qui s’empresse d’aller répondre aux hommes à la blouse blanche, le temps d’une consultation de la glycémie. Le respect des rendez-vous médicaux ne constitue pas une promenade de santé pour les diabétiques surtout en début de semaine. «J’ai quitté Guédia­waye tôt le matin car c’est plus prudent de respecter les consignes et orientations du personnel médical. Comme plusieurs personnes sont venues bien avant moi, je me couche ici en attendant le rappel», confie une dame qui ne veut pas décliner son identité. Awa Diop vit aussi ce calvaire. Elle a quitté Diakhaye (commune de Keur Massar) pour ne pas manquer son rendez-vous du jour. Non loin de cette salle d’attente, le couloir d’à gauche grouille de monde. 12 personnes occupent un long banc, les autres tiennent debout, sacs ou sachets à la main. Sur les 12, huit sont des femmes. Elles souffrent des diverses et nombreuses exigences de la maladie. Au Sénégal, l’observation normale du régime pour contrôler le taux de sucre pose souvent problème. Un nombre important évoque un faible pouvoir d’achat.

«Les moyens
justifient le régime»
Le respect des conseils diététiques pour l’équilibre du taux de sucre est un impératif mais un casse-tête aussi pour plusieurs personnes vivant avec le diabète. Nombreux sont ceux qui ne l’observent pas sous prétexte que les moyens financiers sont limités. «Il faut des moyens pour observer normalement notre régime. C’est difficile pour nous. Nos obligations sont désormais différentes des habitudes alimentaires des autres. Du coup, il faut la dépense quotidienne de la famille et la nôtre. Ce qui est parfois impossible», soutient Awa Diop, vêtue d’un tissu jaune. Allongée sur le banc, la tête posée sur son portefeuille bleu, la quadragénaire estime que le régime diabétique constitue le plus grand souci de beaucoup de ses camarades, qui fréquentent habituellement la structure sanitaire. Elle est renforcée dans sa position par la dame d’à côté. Arwa Ba, elle s’appelle. Son visage est familier aux téléspectateurs, la comédienne de la troupe Daraay Kocc laisse découvrir, son large sourire qui affiche des dents blanches, qui mâchent lentement un chewing-gum. Tissu noir brodé, châle rouge, l’actrice dans plusieurs pièces de théâtre, qui souffre du diabète depuis quelques années, juge que manger selon les conseils des médecins n’est pas facile. «Avec cette maladie, on ne mange plus ce qu’on veut mais ce que veut notre corps, notre organisme. Au Sénégal, le riz au poisson est incontournable. Mais nous sommes obligés de nous en passer difficilement. C’est un grand problème car tout le monde n’a pas les moyens de manger du poulet grillé ou de la viande fraiche. Ce n’est pas à la portée de tout le monde. C’est vraiment difficile de vivre avec cette maladie très exigeante», déplore la dame. Avant de lancer : «Le diabète c’est une affaire de riches.» Elle éclate de rire. Même si la majorité évoque des contraintes économiques, d’autres sont des otages de la main droite. Ils éprouvent de grandes difficultés à tourner le dos au plat spécial de Penda Mbaye. En ce qui concerne le riz, le régime leur interdit de dépasser 6 cuillères. Ce qui est impossible voire difficile pour certains inconditionnels du repas de midi. «Con­sommer avec modération le  thiebou dieune, mon plat préféré, ce n’est pas évident surtout quand on vit dans une grande famille. Je reconnais quand même qu’il y a des risques mais des fois, je dépasse les limites», révèle Seynabou, un sachet de médicaments à la main. Toujours sur la diététique des diabétiques, le Professeur, Abdou­laye Lèye de l’hôpital de Pikine, a dans sa communication du 14 novembre dernier, Jour­née mondiale du diabète, soutenu que la nouvelle habitude alimentaire des Sénégalais pose également problème. «Il y a une sorte de transition sur le plan de l’alimentation, les sodas, les jus sucrés qu’on ne connaissait pas traditionnellement qui maintenant nous envahissent et qui déterminent une mal bouffe. On consomme moins de légumes et de fruits, des aliments trop gras, trop sucré sans faire d’activités physiques», avait remarqué le spécialiste.

Le dépistage, un vrai problème
Négligence ou confiance en soi ? Beaucoup de gens ne pensent jamais à se faire dépister. C’est loin d’être leurs préoccupations surtout quand tout semble bien aller. La plupart ne le font pas par peur de découvrir la maladie. «Sincèrement je n’ai jamais fait le dépistage. Et pourtant ma mère et mon père l’avaient. Il y a de fortes chances que je sois diabétique mais j’ai peur d’aller à l’hôpital et faire des analyses pour voir ce qu’il en est vraiment. Pour l’instant, je reste tranquillement chez moi en espérant que ça ne m’arrivera jamais. Dieu est grand», rapporte aisément une trentenaire du nom de Bakhaw Dieng. L’habitude est une seconde nature, dit-on souvent. Fortes de cela, beaucoup de personnes ne vont dans les structures que lorsque la maladie les contraint. Souvent, c’est tardivement après que la pathologie a fini de les dominer physiquement. Du coup, la prise en charge devient plus compliquée. «Avant de découvrir le diabète dans mon corps, j’urinais et dormais beaucoup, on me conseillait d’aller à l’hôpital Abass Ndao mais je ne les écoutais pas. Un jour je me suis réveillée très souffrante. Un médecin m’a consultée. C’est à cet instant que j’ai su que je devais observer un régime. Comme quoi, dès que certains signes apparaissent, mieux vaut se rendre au Centre Marc Sankalé. C’est plus sûr», lance une habitante du quartier Lansar (Commune de Tivaouane Diacksao) qui ne veut pas que dévoiler son identité. Faire le dépistage du diabète, même ceux qui sont plus susceptibles d’en savoir plus n’en ont pas l’habitude. Jean bleu, body jaune, de petites tresses qui lui arrivent au cou, Emmanuela Marème Faye avoue n’avoir pensé à le faire. «En fait c’est juste un état d’esprit. On a tendance à penser que ça ne peut arriver qu’aux autres. C’est une idée qu’on se fait. Honnêtement, je n’ai jamais pensé que ça peut m’arriver, je n’y prête même pas attention», dévoile l’étudiante en 3ème année au Centre d’Etude des Sciences et Techni­ques de l’Information (Cesti). A l’image de ces précédentes personnes, Amy Niang, étudiante au département de Lettres Modernes, vêtue d’une jupe noire assortie d’une chemise rose, reconnait que cette attitude ne repose sur rien du tout. «C’est uniquement de la paresse, et c’est le propre des Sénégalais. On n’a pas l’habitude de prendre les devants. Contrairement aux Occidentaux qui, à la moindre alerte, vont voir le médecin. Nous devons couper court à cela. Moi en premier. Il faut de temps en temps faire un bilan de santé et prendre les préoccupations idoines car les maladies n’avertissent pas quand elles viennent. Comme disent les wolof Mak moy fajj bopam», déplore la fille au teint noir rayonnant.

La vie des
insulino-dépendants
Un nombre important de diabétiques font recours à l’insuline pour résister. Le diabète de type 1 concerne environ 12 % des malades. Ces derniers sont obligés de suivre sans arrêt le traitement. C’est-à-dire manger en fonction de la dose prise. Ce qui du coup devient coûteux pour certaines personnes. «Le diabète est une maladie complexe. C’est une maladie chronique qui dure toute la vie. Il y a un problème économique parce que quand nous l’avions évalué en termes de coût pour le diabète de type 1, c’est-à-dire insulino-dépendant, cela nous revenait à 75 000 F Cfa par mois», soutenait Baye Oumar Guèye, président de l’Association sénégalaise de soutien et d’assistance aux diabétiques (Assad). Son avis est partagé par plusieurs malades. Awa Diop en est une. Elle utilise l’insuline avant les repas. La voix basse, le menton sur le creux de la main gauche, la dame se confie : «Je suis diabétique et je me sers de l’insuline avant de manger. J’avoue que c’est vraiment difficile sur le plan physique, psychologique et financier. Tout le monde sait qu’il n’y a pire désespoir que de piquer une piqure sur sa peau pour pouvoir survivre. L’insuline n’est pas aussi chère. Mais l’utiliser pendant des années, il faut une certaine assistance. Néan­moins, le diabète reste une maladie comme tant d’autres, et on est obligé de vivre avec», constate-t-elle d’une voix meurtrie. Ce qui ne l’empêche pas d’afficher un petit sourire comme pour dire : «L’espoir est là.» Awa et Ndèye Arame (nom d’emprunt, l’intéressée n’a pas voulu que son nom apparaisse) ont une chose en commun, le diabète de type 1 : «Au début, j’avais tellement peur de la piqûre mais avec le temps, je ressens de moins en moins la douleur. Je n’ai qu’une seule philosophie maintenant : vivre ma vie en fonction des conseils et prescriptions des médecins comme Sambou de l’hôpital Abass Ndao.» Bien sûr, c’est une question de vie.