Un fin observateur politique se garde bien de ne négliger aucune classe sociale pour analyser le processus des changements sociaux inhérents à la crise du capital et des luttes sociales des travailleurs. Au Sénégal, la Societé civile hérite d’un Etat bourgeois exprimant la cohabitation de structures économiques traditionnelles précapitalistes et d’un secteur économique moderne capitaliste ! Cet état de fait reflète le caractère immature et transitoire du degré de développement des forces productives. Par conséquent, au Sénégal, la petite bourgeoisie constitue la classe sociale la plus nombreuse. Déjà en son sein, on remarque la petite bourgeoisie cultivée diplomée, issue de l’école coloniale, qui va bientôt jouer le role d’auxiliaire administratif au colon et hériter de l’appareil d’Etat au passage des indépendances, et qu’elle ne manquera pas d’accaparer pour son compte personnel, en se mutant en bourgeoisie bureaucratique au service de l’impérialisme et du capital financier mondial.
Ainsi, ce n’est pas un hasard si le couple Senghor-Dia, des enseignants, se retrouve à la tête de l’Etat néocolonial… Le couple d’administrateurs civils Abdou Diouf-Habib Thiam prit le relais, en conformité avec les exigences de la modernité et de la complexité de la fonction managériale. Donc, rien d’étonnant que le couple Amadou Ba-Diomaye Faye se soit distingué lors de la dernière Présidentielle. Le couple d’avocats redoutables, Lamine Guèye-A. Wade rassemble deux figures de proue de la scène politique sénégalaise. Sans oublier le vénéré savant et érudit, le Pr Cheikh Anta Diop.
Par ailleurs, cette petite-bourgeoisie diplomée et cultivée constitue le groupe social le plus organisé et le plus conscient sur le plan politique. Cette conscience politique et la discipline organisationnelle conférent à la bourgeoisie cultivée, diplomée, le rôle de dirigeant politique et syndical par rapport aux autres classes sociales. Donc une place prépondérante dans l’organisation et la direction des luttes politiques et syndicales !
La petite bourgeoisie diplomée et cultivée de l’école coloniale dirige les principaux partis politiques et les différentes centrales syndicales. Et c’est elle-même encore qui contrôle l’appareil d’Etat. Les contradictions en son sein furent résolues dans la formule de la «participation responsable», avec la dissolution de l’Uts, l’Ugtan, et la création de la Cnts, chargée de contenir plus tard le mouvement syndical autonome. Par ailleurs, le partage des privilèges et responsabilités se fait à travers le quota de ministers, de députés et autres postes au Cese et au Hcct. Le décret présidentiel fonctionne à plein régime pour distribuer les responsalités, privilèges et autres prébendes. La vie et la respiration de nos institutions restent tributaires de l’hyper-présidentialisme dont le mythique décret présidentiel rythme la carrière politique des uns et des autres à partir de l’énigmatique Secrétariat de la présidence de la République : un cercle restreint, un nid de faucons qui règnent sur le destin politique des caïds du pouvoir, un moyen de contrôler et de maîtriser l’arène politique de la lutte de classes et l’appareil d’Etat.
Inspecteurs des Impôts, du Trésor et de la Douane (couches moyennes, supérieures, privilégiées)
En France, Bourdieu démontre la rivalité entre les grandes écoles (Pont et Chaussées et autres énarques…) pour recevoir de la main droite de l’Etat divers avantages et privilèges. Sous nos tropiques, cette même logique s’est illustrée dans l’octroi gracieux de fonds communs et de distributions gratuites de terrains… Ils (inspecteurs des Impôts) mettent en place leur propre syndicat pour revendiquer plus de privilèges. Finalement, ils prolongent leur engagement syndical en rixe politique contre la bourgeoisie bureaucratique qui refuse de leur faire une place autour de la table de banquet. La suite est connue.
II. Enseignants (couches moyennes, inférieures, paupérisées)
L’Etat n’est pas cette instance neutre émanant de la Societé civile, jouant le rôle de régulateur entre acteurs de cette même Societé civile dont les intérêts individuels, égoïstes et contradictoires déchirent le tissu social. D’où la nécessité de tenir la bride de la bête sauvage qu’est le capitalisme.
Par conséquent, l’état et les contradictions de classes de la Societé civile se reflètent dans la conscience de soi. Comme cette classe au pouvoir et ses contradictions représentent et se reflètent dans sa conscience étatique de classe.
Au Sénégal, la lutte des syndicats des enseignants s’est exacerbée ces dernieres années. L’Etat s’est attelé à juguler la crise en leur octroyant des sommes d’argent conséquentes pour freiner la pauperisation de cette couche moyenne, parent pauvre de la petite bourgeoisie diplomée et cultivée, situation amplifiée depuis l’anarchie installée par Wade dans la Fonction publique au plan salarial.
L’autre contradiction remarquable dans la même periode, c’est la ruée de l’autre couche moyenne privilégiée des inspecteurs des Impôts et autres vers le pouvoir politique d’Etat (on ne dénombre plus le nombre d’inspecteurs des Impôts et domaines dans cette course de la dernière Présidentielle avec leurs alliés de circonstance, l’aristocratie des syndicats (Dame Mbodj & Dianté…), aspirant aux privilèges et stations politiques accaparées par la bourgeoisie bureaucratique discréditée aux yeux des masses à cause de la politique politicienne, la transhumance, la corruption…
Par la violence qu’elle charrie autour d’elle, cette contradiction entre la bourgeoisie bureaucratique et surtout l’aile faucon du pouvoir s’avère dangereuse pour la paix, la stabilité des institutions et la démocratie. D’autant plus que la jeunesse désemparée est utilisée comme bélier au service des uns et des autres. Les populistes recrutent les jeunes enclins au voyage «Barça ou barsakh», tandis que le pouvoir mobilise à travers la Der et autres agences pour l’emploi des jeunes.
III. Perspectives des luttes
Le Sénégal est à la croisée des chemins, d’autant plus que le pays est devenu pétrolier et gazier. Par ailleurs, la bourgeoisie nationale prend ses repères et marques politiques (Serigne Mboup, Anta Babacar Ngom et différentes autres organisations patronales). La paysannerie reste aux aguets et surveille la loi sylvo-pastorale et la réforme agraire mise sous le boisseau (Cnra, Fongip… autres organisations de paysans, pêcheurs et éleveurs).
La classe ouvrière regarde tout ce beau monde sourire aux lèvres, ou plutôt sourire au coin des lèvres, à l’annonce, maintes fois repoussé, de l’industrialisation du pays !
Le secteur informel reste gros de contradictions, et de belles perspectives de luttes s’amoncellent à l’horizon !
Notre tâche urgente consiste à organiser et articuler toutes ces forces et énergies sociales pour le triomphe de la Révolution nationale démocratique, pour un Sénégal de paix et de progrés.
Ibra GUEYE dit Camarade Baba
Thiaroye/Mer
Membre du Comité central et du bureau politique
du Pit-Sénégal
NOTES
Après la publication de 2 textes retentissants dans le journal Le Quotidien, j’ai le plaisir d’évoquer brièvement le parcours académique de l’auteur, afin de permettre aux lectrices et lecteurs de mieux le connaître.
Notre ami Ibra Guèye dit Baba, économiste en planification, après une Licence à l’Ucad en 1980, s’envole à Moscou pour poursuivre sa formation, sanctionnée 5 ans après par un Master 2 en planification dans le domaine de l’agriculture. Sa thèse portait sur l’autosuffisance alimentaire au Sénégal. C’était en 1989.
Idrissa SYLLA
Félicitations Camarade Baba!