«Le mouvement féministe sénégalais a mobilisé un nombre important de femmes sur une très longue durée. Si dans le Mouvement de libération des femmes (Mlf) des années 1970-80 des courants idéologiques étaient clairement identifiables, leurs frontières aujourd’hui semblent beaucoup plus plastiques.» Cela résume parfaitement la trajectoire du combat féministe qui a poussé la Fondation Heinrich Böll Stiftung à organiser un dialogue intergénérationnel sur le féminisme sénégalais, en érigeant une passerelle permettant de faciliter une intégration générationnelle. «Les frontières de ces courants idéologiques se sont davantage complexifiées avec la jeune génération, entraînant des ruptures entre générations, prenant parfois la forme de chocs brutaux. Ce qui pourrait constituer une menace potentielle pour la continuité du mouvement», explique la structure, justifiant la tenue de ce dialogue. Pour la fondation politique verte d’origine allemande, l’écart entre les générations ne cesse de s’accroître, ce qui entraîne des difficultés de communication aboutissant par conséquent à la mise à mal de la transmission des valeurs.
En ce sens, la fondation trouve que dans tout mouvement militant, le renouvellement générationnel est un enjeu important pour sa survie, d’autant plus pour celui féministe qui a toujours eu des difficultés à transmettre sa mémoire. «Dès lors, un dialogue entre les générations s’impose pour maintenir la solidarité et la compréhension des réalités vécues par les femmes des différents groupes d’âge ainsi que pour définir des solutions interpellant ensemble les générations, tout en intégrant les réalités d’aujourd’hui qui sont différentes de celles des années 1960-70», explique la fondation allemande. Elle est appuyée par Mme Awa Diop, sociologue, qui a fait des travaux de recherche sur ces questions. «On sait que dans notre contexte culturel, quand on est femme, il y a beaucoup de choses qui ne vont pas. Il y a pas mal de pressions sociales, notamment on nous considère comme des personnes qui ne doivent que s’occuper des tâches domestiques et ne devant pas parler fort ni occuper certains postes», remarque-t-elle. Pour la sociologue, cela a finalement, dans le contexte culturel, engendré des inégalités qui font que la femme est consignée à faire juste certaines choses. «Par conséquent, dit-elle, nous nous sommes dit en tant que féministes qu’il y a des choses à corriger. Et pour ce faire, il y a d’abord la prise de conscience par rapport à ces inégalités et manquements. Quand on est mariée, on nous considère que par rapport à l’aspect domestique et l’homme c’est comme s’il était le seul à pouvoir accéder aux revenus ou, en tout cas, gérer les dépenses de la famille. Or, je considère le mariage comme une relation de partenariat où on est partenaire, un rôle important à jouer et non pas à cantonner les gens dans des rôles qui sont assez verrouillés», défend Mme Diop. Pour sa part, Marie Angéliques Savané est revenue de manière succincte sur l’historique du féminisme au Sénégal. «A l’époque coloniale, les femmes revendiquaient leur émancipation, c’est-à-dire être comme les (toubabs) en allant à l’école où l’on apprenait les codes de conduite du système colonial et pouvait se mouvoir et avoir un travail parce qu’étant formé etc.», relate la féministe sénégalaise. Qui ajoute que les femmes ont demandé à partir de là de se débarrasser des carcans traditionnels qui les maintenaient à la maison pour aller à l’école et participer aux processus politiques, syndicaux ou économiques. Mme Savané insiste : «Après les indépendances, on a commencé à créer les conditions pour que les femmes aillent sur le marché de l’emploi.» Et pour cela, souligne-t-elle, il fallait des droits, notamment ceux liés à la reproduction, à la contraception, à la planification familiale, au congé de maternité, entre autres. Pour elle, la lutte des femmes est multidimensionnelle et concernait la santé, l’éducation, la justice, le développement, etc.
Stagiaires
A LIRE AUSSI...