Le Dialogue national auquel le chef de l’Etat invite les acteurs politiques et sociaux afin, dit-il, d’échanger et de bâtir des «consensus durables sur des questions majeures relatives à la vie nationale» sera lancé ce mercredi 31 mai. Objet de désapprobations, de divisions, de fantasmes et de chantages divers, mais rendez-vous tout de même désiré par une bonne partie du corps politique et de la Société civile, le dialogue va réunir des organisations qui s’acharnent dans une lutte sans merci depuis dix ans autour d’enjeux politiques.

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Nulle spéculation à l’heure actuelle sur l’issue de cette série de rencontres qui verra se manifester des oppositions frontales, des propositions et contre-propositions, des demandes irréalistes et des offres sur l’autel des intérêts des uns et des autres. Mais ce qui demeure constant depuis le début et qui de mon point de vue est important, reste que le dialogue, s’il arrive à concilier les positions pour le moment contraires des partis politiques concernés, va opérer un tournant après dix ans d’exercice du pouvoir du Président Sall. En effet, les affaires Khalifa Sall et Karim Wade ont tendu le climat politique depuis 2012 et rendu suspecte toute action judiciaire contre un membre de l’opposition ou d’une certaine société civile, en réalité une bande de politiciens opportunistes.

Aussi, les relations exécrables, des années durant, entre les présidents Wade et Sall ont constitué une épine dans le pied d’acteurs de premier plan de la démocratie sénégalaise. Heureusement que, pour apaiser les tensions, la poignée de main à la mosquée Massalikoul Jinane est passée par là. La situation qui a conduit à l’absence à la Présidentielle de 2019 de candidats qui représentaient deux grands courants de la politique sénégalaise au sein de l’opposition, la social-démocratie et le libéralisme, n’était pas de nature à permettre un débat serein et apaisé ainsi qu’une pluralité d’offres alternatives sérieuses. Cette situation et les développements suivants, avec notamment l’entrisme du parti Rewmi, ont permis l’émergence d’une force d’extrême-droite comme point de fixation de l’opposition, avec un personnage aussi burlesque que dangereux comme chef des opposants au gouvernement.

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J’ai toujours été opposé par principe au dialogue, considérant que dans une démocratie, la majorité gouverne en vertu de la confiance à elle conférée par le suffrage, et l’opposition s’oppose en proposant un projet alternatif pour espérer arriver au pouvoir. La vitalité démocratique est ainsi un débat entre projets divergents dans la paix. Mais au regard du contexte, des fortes menaces sur notre pays, de la tentative insurrectionnelle qui émerge d’un parti et de ses affidés et des fissures sur notre corps social, il serait opportun de permettre des échanges entre courants politiques. De toutes les façons, l’Etat vaincra contre la volonté séditieuse du parti Pastef comme il a réprimé la rébellion du Mfdc. Mais le pays, dans le long terme, si rien n’est fait, va vers un grand risque de fraction sur des bases liées à la socio-culture.

Il est incontestable que le Sénégal n’est plus un pays normal par l’affaissement du débat public, la tyrannie que des hordes barbares veulent imposer aux citoyens, les tentatives de déstabilisation des institutions et la fin de la mesure, de la nuance et de la retenue. Désormais, le discours politique est enveloppé dans un amas d’injures et d’insanités pour espérer gagner en aura et en écoute. La patrie républicaine n’a plus de sens pour beaucoup qui devraient pourtant en faire leur bréviaire. La pensée a quitté les hommes politiques et nous allons vers une dévitalisation de la nature même du politique.

Comment recouvrer le sens d’une Nation ? Comment reconstruire un dessein commun ? Comment réparer ce que nous avons collectivement abîmé ? Comment  faire émerger un nouveau projet viscéralement républicain ? Ce sont des problématiques qu’il faudrait poser au dialogue, au-delà des simples préoccupations électorales ou des suites des péripéties judiciaires des uns et des autres.

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Des activistes de la Société civile et des formations politiques arrimés à Pastef, pour des raisons bassement électoralistes, ont refusé de prendre part au dialogue. Tant mieux, car ma conviction est qu’on ne dialogue qu’avec des républicains, les autres sont à exclure de toute discussion sur le présent et le futur de notre pays dont ils ne cherchent que la désagrégation. Par mon intransigeance sur la République, je suis opposé à toute forme de compromission avec Pastef dont j’ai déjà rappelé qu’il n’est pas un parti respectable. Personne ne devrait inviter cette formation à quoi que ce soit concernant les affaires publiques, au regard de sa nature antirépublicaine et de ses valeurs fétides, orientées vers l’outrance et la violence, pour espérer charrier la guerre civile. Un courant politique dont le leader bafoue la dignité humaine, insulte et menace nos institutions républicaines au quotidien, ne devrait inspirer à un républicain que de la répulsion. La République s’est construite dans l’histoire sur la haine des tyrans. De surcroît, à gauche la maxime est vieille : on ne discute pas avec l’extrême-droite, on le combat.

Le Ps, le Pds, l’Apr, les trois grandes familles politiques qui ont successivement dirigé notre pays, sont représentés au Dialogue national. Elles demeurent toutes dans l’arc républicain et comptent parmi elles des dirigeants mesurés et responsables qui doivent faire front au-delà de leurs di­vergences d’approche, sur l’impérieuse nécessité de préserver la République des diverses menaces actuelles, car si la Ré­publique disparaît, c’est le Sénégal qui s’évapore. Des dirigeants politiques d’un grand pays comme le nôtre doivent chérir la tentation de l’histoire, celle qui dépasse et surpasse les ego et les calculs pour sacraliser ce qui est sacré, qui demeure quand tout est perdu.

Je prie que les bases d’un nouveau récit républicain soient posées durant ce dialogue, pour penser un avenir du Sénégal dans la paix civile, le progrès social et la justice, afin de bâtir à nouveau un pays réconcilié et soucieux d’un avenir désirable.

Par Hamidou ANNE – hamidou.anne@lequotidien.sn