Le Peuple sénégalais, comme d’habitude, s’est exprimé démocratiquement à travers les urnes. Les violences préélectorales n’ont finalement pas eu raison sur le sort du scrutin, qui a été largement remporté par le parti Pastef. Du haut de leurs 54% de la dernière élection présidentielle, les tenants du pouvoir ont encore bénéficié, malgré tout, de l’onction légitimatrice du Peuple. Celui-ci, dans son choix immédiat, a toujours raison, dit-on. L’avenir nous en dira plus. La tradition a été respectée : notre démocratie s’est habituée à accorder une majorité parlementaire au pouvoir nouvellement élu. Pas de surprise donc.
Cette victoire est aussi celle de Ousmane Sonko qui, en dé­cidant d’aller aux Légis­latives sous la bannière de sa formation politique, a voulu se jauger, confirmer qu’il est le chef suprême et détenir une grande partie du pouvoir du Pré­sident Bassirou Diomaye Faye.

Avec ses députés, le Premier ministre, déjà puissant, va continuer à monter en puissance dans l’attelage gouvernemental et institutionnel. Il est le timonier du navire, le maître du jeu, l’ange ou l’archange. Celui qui fait gagner les élections… Il sait tout faire, décidément. Sauf rafistoler nos exécrables conditions de vie.

Diomaye est déjà sans autorité
Le Président Abdoulaye Wade, teigneux opposant au pouvoir de Diouf, dans une de ses violentes et déferlantes manifestations politiques, disait qu’un «Etat ne peut pas fonctionner sans autorité». Il reprochait à Diouf de ne pas avoir les coudées franches pour diriger le pays.

Cette critique est tout à fait transposable au Président Bassirou Diomaye Faye qui, «ankylosé» par le poids écrasant de son Premier ministre et «grand artisan» de son élection, n’arrive toujours pas, huit mois après, à enfiler entièrement la tenue de chef de l’Etat.

A l’instar d’un président de régime parlementaire, Dio­maye Faye, selon une large perception, «inaugure les chrysanthèmes». Le chef de son gouvernement, lui, n’a pas de limite : il parle de l’Armée, de la Magistrature, où et n’importe comment. Cette situation est exceptionnelle, et ne peut pas continuer. Il faut que les rôles, comme définis par la Constitution, soient respectés.

Après avoir nommé Samba Ndiaye dans l’exercice de ses fonctions, le président de la République, et exceptionnellement, a été attaqué par ses propres ministres et directeurs généraux. Le Premier ministre, en chef de la révolte, s’est distingué en écrivant, sur Facebook, que des «mesures correctives» seront prises. Première grosse défiance à l’autorité du chef de l’Etat. Celui-ci, malheureusement, n’a pas eu le courage -ou l’intelligence- de corriger les dissidents afin de lancer un signal à ses troupes. L’irrévérence va donc continuer. Il n’y a personne pour y mettre un terme.

En campagne électorale, l’exceptionnel Premier ministre, après avoir réaffirmé son autorité sur les ministres de l’Intérieur et de la Justice, s’est ouvertement attaqué au président de la République, celui qui l’a pourtant nommé. Il lui a reproché la «faiblesse» de l’Etat et son indulgence face aux opposants irresponsables et déchaînés. Deuxième grosse défiance à l’autorité présidentielle. En effet, le Premier ministre -peut-être qu’il agit de bonne foi- conjugue mal sa position dans le pouvoir et sa dimension politique. C’est ce qui le pousse à agir à rebrousse-poil de ses prérogatives, à saper l’autorité du président de la République qui, décidément, se cantonne à un rôle de président d’Allemagne ou d’Israël.

Les illustrations sont légion. Et une seule vérité éclate au grand jour : le Président Diomaye est en manque d’autorité. Il n’a pas «un sol plus ferme sous ses pieds» -pour reprendre l’expression de Boubacar Boris Diop- afin de régenter ses troupes qui s’égarent habituellement, avec un Premier ministre en chef de meute.

Ousmane Sonko a désormais un appareil politique à sa disposition
Ces Législatives étaient aussi, pour Ousmane Sonko, l’occasion d’exhiber à nouveau son autorité, de montrer qu’il est le baron, et c’est lui qui est à «l’origine» de l’élection du président de la République. D’où le choix du parti Pastef au détriment de la Coalition «Diomaye Président».

La situation que nous vivons avec ce duo, est plus que jamais inédite : nous avons un Président détaché de tout ce qui est parti politique pour, dit-il, se mettre au-dessus des querelles partisanes et un Premier ministre détenteur du parti majoritaire à l’Assemblée nationale. Le pouvoir politique est davantage bifurqué entre les deux têtes de l’Exécutif. Les Législatives en ont décidé ainsi.
Diomaye se retrouve, dès lors, comme un roi sans royaume, sans diadème. Sans autorité ni prestige. Le Pouvoir législatif est entre les mains de son «géniteur politique», celui qui a dépoussiéré le fauteuil présidentiel pour qu’il s’y installe -provisoirement peut-être.

Face au chef du gouvernement débordant d’ambitions, il va sans dire que son autorité, déjà largement effilochée, va continuer à être torpillée. Ousmane Sonko a désormais plus d’assurance dans ses agissements : il a un réel pouvoir qu’il peut brandir et utiliser selon ses fantasmes. Dieu Seul sait jusqu’où cet homme peut aller -ou faire- avec du pouvoir. C’est mieux de s’appuyer sur quelque chose que de s’en tenir à rien, après tout.

Il ne s’agit pas de jouer à l’oiseau de mauvais augure ou d’être pessimiste. Loin s’en faut. Mais, à la manière de Camus, il faut dire : «Ceci est arrivé.» J’ai toujours pensé et souhaité que personne n’a intérêt à ce que ce duo implose, mais les faits restent les faits. Il faut les analyser. Et en toute lucidité. N’amenez pas à la rôtisserie ceux qui s’adonnent à cette tâche salvatrice ! De grâce.

Ces Législatives auront aussi des conséquences institutionnelles : les pouvoirs sont réellement partagés. Le président de la République a le Pouvoir exécutif et le Premier ministre, lui, dispose du Parlement, avec une légitimité encore réaffirmée.

C’est la rançon de ce raz-de-marée électoral qui consacre encore une fois la légitimité du parti Pastef. Celui-ci, pour paraphraser Castoriadis à propos de l’Union des républiques socialistes soviétiques (Urss), ce sont : «Six lettres, six mensonges.» Et Drumont de nous rappeler qu’on ne s’improvise pas patriote, qu’«on l’est dans le sang, dans les moelles».
Baba DIENG
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