C’était le dernier message de son premier mandat. Le Président Sall a fait son bilan, égratigné son prédécesseur sans le nommer et, sur un air de confiance, décliné son projet pour 2019-2024. Mais 30 minutes ne lui ont pas suffi et il l’a poursuivi dans son entretien avec les journalistes.
30 minutes pour convaincre
Il y a eu un discours à la Nation ! Il est dans son costume bleu comme sa cravate et sa chemise blanche de président de la République, mais il était aussi dans la peau du candidat sortant. En trois temps (le passé de son prédécesseur, le présent de ses réalisations à lui, le futur qu’il réserve à son deuxième mandat), Macky Sall a fait un gros plan de ses 7 ans à la tête de l’Etat. Le contexte est un prétexte pour évoquer son bilan avec des «en matière de…», «dans le domaine de…», «pour le volet…», «entre autres réalisations…». L’on a souvent suivi des discours du chef de l’Etat et il a rarement débordé jusqu’à plus de 20 minutes. On était même habitué à des quarts d’heure. Mais ce 31 décembre, Macky Sall a pris une demi-heure pour rappeler ce qui a été fait par son prédécesseur. Ce qu’il a fait ou refait. Ce qu’il compte faire. Sans doute que c’était encore court pour dire tout ce qu’il voulait. Et dire tout ce qu’il a fait. Parce qu’à quelques semaines d’une remise en jeu de son mandat, il fallait bien un créneau plus large. C’est le sens de cette conférence de presse ou conférence… à la Nation, comme son message à la Nation. Naturellement, la solennité du message traditionnel est telle qu’elle n’autorisait pas de fortes doses électoralistes. Même si ça ne pouvait pas manquer. Nul doute que le face-à-face avec les journalistes était aussi, dans sa forme, une opération de communication bien posée au Palais présidentiel par les esprits com’ pour noyauter les plateaux d’après-discours. Tout est fait pour que les téléspectateurs prolongent leur regard sur le Président plutôt que sur les adversaires et leurs critiques. Tout est fait pour livrer le message : un candidat confiant.
Le bilan pour vaincre
Pour le message donc, il accroche d’entrée de jeu le téléspectateur-électeur de son Plan Sénégal émergent avec sa deuxième phase qui a été couronnée de milliards des bailleurs de fonds au Groupe consultatif de Paris. Puis, il semble prendre à témoin les Sénégalais. «Depuis 2012, je me suis évertué à rester à votre écoute et à votre service, toujours dans le temps utile, le temps de l’action qui, seul, produit des résultats», dit-il. Sous ce rapport, il énumère les inaugurations en janvier (Sénégal air, Ter, Vdn, pont sur le Fleuve Gambie, etc.). Le voilà qui subtilement se distingue de ses adversaires qui, a contrario, seraient dans «le temps inutile, le temps de la parole». Et cette comparaison est filée tout au long du texte. Puisqu’il ajoute plus tard, pour rappeler le passif de Abdoulaye Wade, «nous avons mis fin aux pénibles désagréments des délestages» en passant «de 950 heures de coupures cumulées en 2011, à 24 heures cumulées pour l’année 2018». Tout comme quand il souligne qu’«en milieu rural, nous avons réalisé 683 forages multi-villages depuis 2012» ou encore que «nos investissements dans l’éducation ont évolué de 310 milliards en 2011 à 477 milliards pour le budget 2019».
A l’épreuve du bilan, les preuves
Puis, il y a aussi le temps du candidat à la quête d’un deuxième mandat qui brandit ses «hauts faits». Inauguration le 21 janvier du pont sur le Fleuve Gambie, réception le 14 janvier du chantier du Train express régional, réception par Air Sénégal le 31 janvier du premier de ses deux gros porteurs de dernière génération, Airbus 330-900 NEO, démarrage des travaux du projet phare de dessalement de l’eau de mer situé aux Mamelles en début 2019. Mais le futur est encore une envie de poursuivre ses chantiers, comme l’avait voulu son prédécesseur en 2007. «Nous devons rester mobilisés, car nous avons encore des déficits à combler et des besoins à satisfaire sur le chemin de l’émergence», dit-il. Dans la suite de Le Sénégal au cœur, Macky Sall a «aussi à cœur de résoudre la situation désespérée des 6 000 compatriotes, dont plusieurs de la diaspora, ruinés par la malheureuse opération immobilière de Tivaouane Peul, dans laquelle ils avaient investi, il y a une décennie, des années d’économies durement acquises». Et puisque le temps presse pour contenir les frustrations, il a demandé à son gouvernement, «dans les meilleurs délais», de lui soumettre des propositions pour l’attribution de parcelles aux victimes de ce projet avorté.
Le «je» inclusif
Le Président Sall a accompagné son souhait de voir «notre Nation reste(r) debout» par sa position devant son pupitre. Le candidat s’introduit dans les foyers et parle aux électeurs à qui il veut associer «le fruit de notre labeur collectif». Il utilise alors un «je» pas tout à fait haïssable, mais de proximité ou d’inclusion. «Je veux remercier chacun de vous pour sa contribution à l’œuvre de développement national», «j’adresse à chacun de vous mes meilleurs vœux…». La jeunesse est bien évidemment une ressource électorale précieuse. Volontairement ou pas, le chef de l’Etat a fait appel à l’hymne Le Chant de la jeunesse dans son troisième couplet : «Dans les champs tout comme dans les usines, à la ville et au village, nous travaillons dans la joie pour que vive le Sénégal.» Mais lui le dit autrement : «Dans nos villes comme dans nos campagnes, au bureau comme à l’usine, chacun de nous apporte sa pierre à l’édification du Sénégal de nos rêves.» Dans la foulée d’un second mandat, Macky Sall décline ses «cinq initiatives majeures» pour 2019-2024 : la jeunesse sénégalaise, l’économie sociale et solidaire, l’économie numérique inclusive, la transition agro-écologique et l’industrialisation. Mais tout cela passera par la tenue d’un scrutin présidentiel qu’il assure «paisible, libre et transparent, à la hauteur de notre tradition de démocratie majeure et apaisée» parce que «ce qui nous unit est bien plus fort que nos différences». C’était le dernier discours à la Nation. Fera-t-il le prochain le 3 avril 2019 ?
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