Lors de la première étape de sa tournée en Afrique, le Président français a déroulé un long discours devant les étudiants de l’université de Ouagadougou, martelant sa volonté de rupture dans la politique africaine, avant des échanges mouvementés avec le public.

«Il est particulier. Il n’est pas comme les autres présidents français», glisse avec un sourire Emmanuel Ouedraogo, étudiant en master, alors qu’à quelques mètres, un autre Emmanuel prend son dernier bain de foule avant de quitter le campus universitaire de Ouagadougou, sous les cris de «Prési ! Prési !», le diminutif habituel de «Prési­dent» au Burkina Faso. Mardi, une longue matinée s’achevait, certainement le moment le plus attendu et le plus important de la tournée de Emmanuel Macron entamée le jour même en Afrique. Le chef de l’Etat français, qui s’est refusé à promettre une «nouvelle page entre la France et l’Afrique» et à «donner des leçons», a clairement posé : «Il n’y a plus de politique africaine de la France.» Emmanuel Macron a rappelé qu’il était d’une génération «qui n’a jamais connu l’Afrique comme un continent colonisé» et il a adressé son discours à 800 étudiants «qui ne l’ont pas connu non plus». Il a en revanche insisté sur «le grand mouvement de bascule» qui attend l’Afrique et a insisté sur les «défis» du terrorisme, du changement climatique, de la démographie, de l’urbanisation et de la démocratie auxquels elle doit répondre «en même temps, ce qu’aucun autre continent n’a connu auparavant».
Le Prési­dent français, qui se trouve aujourd’hui en Côte-d’Ivoire, avait en effet choisi sa première étape, à Ouaga­dougou, capitale du Burkina Faso, pour délivrer le discours fondateur de sa politique africaine face à la jeunesse d’un continent malme­né. L’adhésion n’était pas acquise d’avance. Sur­tout dans un pays où la jeunesse est très politisée, consciente d’avoir été le fer de lance d’une insurrection populaire, il y a trois ans, qui avait renversé l’inamovible Président Blaise Com­paoré.

Descendu dans l’arène
Une jeunesse par ailleurs toujours très marquée par le souvenir du leader anti-impérialiste, Thomas Sankara, assassiné en 1987. En s’engageant à lever le secret-défense sur les archives françaises liées à la mort de Sankara et en affirmant ne pas douter «que la justice française rendra une décision favorable à l’extradition» vers le Burkina de François Compaoré, le frère du Président déchu, interpellé en France fin octobre, le Président français a répondu à certaines attentes.
Mais c’est sur toute la ligne qu’il a réussi son grand oral devant les étudiants de l’université Joseph-Ki-Zerbo de Ouaga­dougou. «Il a répété qu’il était d’une autre généra­tion», constate Rouki, étudiante en économie.
A l’issue d’un discours fleuve appelant à «une émancipation partagée», le jeu de questions-réponses a vite échappé aux limites fixées à l’avance par les organisateurs de la rencontre, lesquels ne souhaitaient initialement que quatre questions. Car à Ouagadougou, c’est en réalité le Macron qui avait fait face aux ouvriers de Whirlpool pendant la campagne électorale française qui a semblé soudain ressuscité. De la même façon qu’il avait choisi d’affronter en direct des salariés a priori hostiles, le 26 avril à Amiens, le Président français a donné l’impression d’être frontalement descendu dans l’arène, répondant souvent avec fougue à des étudiants particulièrement vindicatifs.
Quand un murmure de mécontentement s’élève dans l’assistance à l’évocation du défi démographique de l’Afrique, Macron n’esquive pas, ne renie pas sa remarque sur les femmes africaines qui font trop d’enfants, tout en reconnaissant que «la formule “problème civilisationnel”» était mal choisie. A un jeune homme qui, en substance, pointait les responsabilités des Occidentaux dans les drames de la migration en Libye, le Président rétorque aussitôt : «Mais qui sont les trafiquants ? Ce sont des Africains, mon ami !» Applaudissements dans ce grand amphithéâtre dont la construction avait été financée par un certain colonel Kadhafi.

Agressivité
La journée avait pourtant démarré dans un flottement : la veille au soir, à Ouagadougou, des militaires français en voiture avaient été visés par une grenade, faisant trois blessés alors que les deux assaillants à moto ont réussi à prendre la fuite. Le matin même, quelques tentatives de manifestations hostiles à la France ont été dispersées alors que l’un des convois de la délégation française était caillassé sur la route de l’université. Mais en donnant l’impression de n’éviter aucun sujet tabou tout en renvoyant chacun devant ses responsabilités, «sans donner de leçon», Macron a désamorcé l’agressivité de cette salle remplie de 800 étudiants, dont l’agitation, houleuse comme joyeuse, a été parfois difficile à canaliser.
Reste le supplice silencieux du Président burkinabé, également présent dans l’amphi. Assis sur l’estrade, Roch Marc Christian Kaboré, élu fin 2015, se tait alors même que le Président français lui renvoie la responsabilité de gérer certaines des complaintes exprimées sur la vie quotidienne des étudiants. Kaboré quitte momentanément la salle sans qu’on en connaisse le motif ? Macron ose même un «il part réparer la clim», allusion à l’absence de celle-ci, évoquée par les étudiants.
«Il y a beaucoup de questions qui étaient bien plus adressées au Président burkinabé», constate la jeune Rouki. «C’est normal, on ne le voit ja­mais», ex­plique encore la jeune étudiante, qui ajoute en soupirant : «Quand est-ce qu’on aura à nouveau l’occasion de s’exprimer devant ceux qui décident pour nous ?»

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