Le Sénégal pleure un digne fils qui aura marqué l’histoire de notre jeune Etat. Je ne le connaissais pas personnellement et ne l’ai jamais rencontré mais étais comme quasiment une grande partie de nos concitoyens, séduit par le mythe qu’il incarnait, lequel était facilité par sa constance et sa longévité au cœur de l’Etat. Bruno Diatta mérite une reconnaissance de la Nation et je voudrais lui rendre un hommage ardent pour son engagement en faveur de notre pays.
L’occasion de son décès, et l’unanimité qu’il suscite, me donne l’occasion d’inviter avec humilité mes concitoyens à une introspection profonde sur nos pratiques républicaines.
Après plus de 4 décennies de services rendus à la nation dans un métier difficile, à forte mobilité et stressant, il devait comme la plupart des fonctionnaires de notre pays pouvoir jouir d’une retraite paisible à l’âge de 60 ans. A la place, l’Etat a choisi la voie facile consistant à profiter du mythe qu’il incarnait en ne se souciant pas des règles élémentaires de mobilité professionnelle, de transmission de connaissance par la formation et de succession.
La Puissance publique devrait désormais bien repenser sa politique en matière de ressources humaines, afin d’assurer une gestion plus efficiente de ses compétences grâce à des plans de formation et de gestion de carrières plus appropriés. Bien entendu, cela suppose aussi de faire respecter plus rigoureusement les textes qui régissent la gestion de nos compétences nationales.
Ensuite, il m’a été donné d’entendre dans les nombreux témoignages qui ont été faits sur l’honorable disparu un commentaire très intéressant venant d’un ancien Directeur de Cabinet du Président Wade. Ce dernier relatait qu’un jour où il pensait qu’il n’y avait pas de Conseil des Ministres, devant aller à Touba et habillé d’un grand boubou blanc, il a été informé à la dernière minute de la tenue de cette réunion hebdomadaire. Arrivé sur les lieux, Feu Bruno, dans la courtoisie qu’on lui connaissait lui laissa entendre que d’habitude la tenue doit être plus foncée, suivant les règles protocolaires. Ces différents cérémonials et protocoles vestimentaires qui entourent le haut sommet de l’Etat, héritages de la puissance colonisatrice, ne doivent-ils pas en ce 21ème siècle être revisités, dépoussiérés de manière à les coller aux vécus culturels et aspirations sociétales et religieuses profondes de la société sénégalaise. En effet, plus de cinquante ans après nos indépendances, tout le monde s’accorde à reconnaitre que notre Etat actuel ne reflète pas la société qu’il est censé servir ; distant par rapport aux administrés et entouré de mythes, il doit être réformé dans sa forme et dans ses méthodes, de manière à lui permettre de mieux incarner le peuple dans ses croyances et dans ses traditions. Des jours fériés qui ne cadrent pas avec nos aspirations profondes, des routes et monuments qui continuent de porter des patronymes de personnalités qui ont fait beaucoup de mal à notre civilisation, des zones hyper protégés pour les élites (exemple le Plateau avec l’arrêté Ousmane Ngom). Tout ceci doit changer et le peuple doit être au centre de toutes les attentions. L’Etat doit être socialisé.
Un autre témoignage que j’ai entendu concerne des nominations de Ministres d’Etat par le Président Abdoulaye Wade, au terme desquelles l’illustre disparu aurait attiré l’attention d’un proche collaborateur du Président sur les difficultés d’application protocolaire que pourraient susciter de telles nominations en Conseil des Ministres. En effet, le Directeur de Cabinet de Monsieur le Président de la République étant toujours placé à côté de ce dernier et jouissant d’un titre de Ministre, l’application des règles protocolaires pouvait être difficile. Il semble que le Président Wade avait corrigé cette anomalie.
Tout en admettant l’existence de règles hiérarchiques dans un Etat moderne, nous n’en pensons pas moins que l’Union sacrée observée autour de la disparition de Monsieur Diatta devrait amener nos gouvernants à mieux réfléchir sur les règles qui entourent les nominations de Ministres d’Etat. En effet depuis l’arrivée des libéraux à la tête de l’Etat en 2000, il a été observé que ce titre de Ministre d’Etat n’a plus l’importance qu’il avait sous Diouf ou Senghor. De plus en plus, il semble que cette sinécure soit utilisée pour caser des Ministres en disgrâce aux résultats insuffisants. Cette façon de faire doit être corrigée en vue de mieux promouvoir la compétence et susciter une saine émulation.
Bruno Diatta parti, il est recommandé que les honneurs mérités que la nation reconnaissante lui réservera soient motivés non par la dimension mythique de l’homme qui a incarné pendant un demi-siècle les contours d’un Etat laïc qu’il faut réformer mais par l’apologie d’un citoyen modèle, discret, travailleur, compétent et loyal qui est un exemple à suivre.

Magaye GAYE – Président du Parti sénégalais la troisième voie