Dissolution de l’Assemblée, discours populiste à l’égard de la France : Jean-Christophe Rufin inquiet pour le Sénégal
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Jean-Christophe Rufin, écrivain et ancien ambassadeur de France au Sénégal, affiche ses inquiétudes avec l’avènement d’un nouveau régime au Sénégal. Parlant de la dissolution de l’Assemblée nationale, Jean-Christophe Rufin estime que «cela a plongé le Sénégal dans une incertitude».Par Amadou MBODJI –
Jean-Christophe Rufin, écrivain et ancien ambassadeur de France au Sénégal, fait une analyse approfondie de la situation politique actuelle du Sénégal chez nos confrères du journal français Le Parisien. «L’arrivée au pouvoir du Président Bassirou Diomaye Faye et la montée du populisme suscitent de vives préoccupations, tant à Paris qu’à Dakar», selon l’écrivain et diplomate français. La dissolution de l’Assemblée nationale par le Président Bassirou Diomaye Faye est passée au peigne fin par M. Rufin. Et ce dernier de dire que cette décision présidentielle «a plongé le Sénégal dans une incertitude politique majeure».
Rappelant que la France et le Sénégal sont «liés par des relations historiques, institutionnelles et humaines» qui sont très proches, l’ancien Haut représentant de la France au Sénégal sous le règne du Président Abdoulaye Wade soutient que le Sénégal abrite une importante communauté française de plus de 25 000 résidents, tandis que la France compte une diaspora sénégalaise significative.
Jean-Christophe Ruffin souligne qu’une «crise majeure au Sénégal pourrait avoir des répercussions graves pour la France, d’autant plus que le pays se trouve dans une région instable, avec des voisins comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger» qui, poursuit-il, sont «désormais sous le contrôle de juntes militaires qui affichent une hostilité marquée envers Paris». Cependant, note l’ambassadeur Rufin, «le Sénégal se distingue par son histoire démocratique exemplaire, marquée par des alternances pacifiques au pouvoir depuis son indépendance». L’élection de Bassirou Diomaye Faye en avril dernier «semblait s’inscrire dans cette continuité», affirme-t-il. «Mais l’ascension de Ousmane Sonko, désormais Premier ministre, soulève de nombreuses inquiétudes», estime M. Rufin, qui souligne que «ce dernier, en dépit de son inéligibilité à la Présidence, reste un acteur politique central, fort d’un soutien important de la jeunesse sénégalaise».
Mettant en lumière «le caractère populiste de Sonko dont le parti, Pastef, ne dispose pas d’une majorité parlementaire», Rufin pense que «cela pourrait poser problème lors des élections législatives du 17 novembre, prévues pour confirmer ou non son emprise politique».
«Si Sonko échoue à obtenir cette majorité, il pourrait», avertit Rufin, «appeler ses partisans à descendre dans la rue, menaçant ainsi la stabilité du pays». Et même, ajoute-t-il, «s’il réussit, ses ambitions de réformes institutionnelles profondes pourraient ébranler l’équilibre démocratique sénégalais».
L’écrivain et diplomate rappelle «également que Sonko manie une rhétorique anti-française virulente et affiche une volonté de nouer des alliances stratégiques ailleurs, notamment avec la Chine ou la Russie». L’écrivain souligne que «la présence chinoise au Sénégal est de plus en plus contestée, illustrée par un récent procès intenté contre une entreprise chinoise accusée de conditions de travail abusives». Quant à la Russie, bien que militairement active dans la région via la milice Wagner, elle a subi un revers majeur au Nord du Mali, affaiblissant son influence, selon toujours Jean-Christophe Rufin.
Sur le plan économique, Rufin insiste «sur la fragilité de la situation». «Le nouveau pouvoir, élu avec la promesse de créer des emplois pour une jeunesse majoritaire, doit composer avec une économie dégradée», si l’on en croit l’ancien ambassadeur de France au Sénégal, en surfant sur «les mises en garde répétées du Fmi qui renforcent la méfiance des bailleurs de fonds internationaux, compliquant encore plus la tâche du gouvernement sénégalais».
Malgré ces tensions, Rufin souligne que «les relations entre les autorités sénégalaises et les entreprises françaises restent relativement stables».
Présent dans le pays depuis plusieurs décennies, l’industriel français confirme que bien que certains contrats soient en cours de renégociation, la présence économique française au Sénégal ne semble pas immédiatement menacée.
Notant «deux éléments de stabilité dans ce contexte incertain : les confréries musulmanes, qui jouent un rôle modérateur au sein de la société sénégalaise, et l’Armée qui, jusqu’à présent, reste loyale au pouvoir civil», Rufin avertit que le Sénégal, malgré sa stabilité historique, traverse une phase critique. Et «a plus que jamais besoin du soutien de la France et de l’Europe pour éviter le chaos», assure-t-il.
ambodji@lequotidien.sn