Rewind & Play, le film documentaire que le cinéaste franco-sénégalais, Alain Gomis, consacre au pianiste américain, Thelonious Monk, tente de soustraire l’image de ce personnage important de l’histoire du jazz de la «fabrique des stéréotypes», histoire de mieux mettre en exergue le regard construit sur le Noir de manière générale à travers l’histoire. D’une durée de 65 minutes, ce film ambitionne de déconstruire le regard fabriqué sur le Noir, selon le cinéaste franco-sénégalais interrogé par l’Aps. Il est tiré des «rushes», documents originaux produits lors du tournage d’une émission animée par l’artiste à la télévision française et enregistrée en décembre 1969 à Paris.

Alain Gomis joue sur le montage de ces images, parfois superposées ou répétitives, lesquelles montrent un Thelonious Monk rare, proche, écrasé par la caméra, jouant à fond sur certains de ses morceaux mythiques.

Ces images, conservées par l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) de France, montrent également à quel point Thelonious Monk est en proie à la violente fabrique de stéréotypes dont il tente de s’échapper, indique le réalisateur.
Alain Gomis se dit surpris de voir, à travers ces images de Monk, une autre réalité que «la tolérance» française toujours chantée à l’égard des musiciens noirs américains. «C’est du racisme dans la façon dont il est accueilli dans cette émission, il y a de la condescendance, peu de respect lui est accordé», dénonce le cinéaste, admirateur de cette icône du jazz. Ce documentaire a été présenté, mardi, en compétition officielle lors de la 33ème édition des Journées cinématographiques de Carthage (Jcc), démarrée le 29 octobre et qui se poursuivra jusqu’au 5 novembre prochain. Une séance à laquelle ont notamment participé l’ambassadrice du Sénégal en Tunisie, Ramatoulaye Faye Ba, et le directeur de la Cinématographie, Germain Coly.

Selon son auteur, ce film consacré à ce musicien dont la carrière a contribué à révolutionner le jazz et à le rendre moderne, s’inscrit dans le mouvement de la déconstruction. «Il s’agit de décortiquer le regard qui a été fabriqué sur le Noir d’une manière générale, l’Afrique, etc. Car les gens grandissent avec une image d’eux-mêmes qui n’a pas été formatée par eux-mêmes», explique-t-il. Le film montre surtout que le musicien n’a pas la possibilité de se raconter lui-même, tellement l’image qui lui a été collée par la société parle plus fort que ce que le musicien peut dire. «On a déjà construit une image de lui. Dès qu’il dit quelque chose de différent, on décide de le supprimer. Ce qui m’intéressait, c’est de voir que la situation n’a pas tellement changé. La machine est restée toujours la même. Elle fabrique des stéréotypes», regrette le cinéaste.

Il a remporté deux fois l’Etalon d’or de Yennenga au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) au Burkina Faso, avec Tey en 2013 et Félicité en 2017. «Il est important d’apprendre comment les images ont été construites pour avoir le respect de soi-même, voir dans quel but ces images ont été construites», analyse le réalisateur sénégalais, avant d’inviter les populations à déconstruire le discours dominant «pour reconquérir leur dignité et trouver des identités propres». Selon Alain Gomis, «sans dignité, sans amour de soi et de son Peuple, il est difficile de faire quoi que ce soit».

Il estime que «la fabrique des stéréotypes» est toujours de vigueur, avec les reportages que les grands médias occidentaux consacrent à l’Afrique. «C’est la même chose pour les Noirs des Etats-Unis», lance le cinéaste.

Malgré la sortie de ce documentaire, le cinéaste continue de travailler sur l’idée d’une fiction sur Thelonious Monk, en hommage à tous les Noirs Afro-Américains. En attendant l’aboutissement de ce projet, Gomis veut réaliser un film sur la Guinée-Bissau, le pays de ses origines, une œuvre devant marquer un véritable retour aux sources.