La problématique de l’assainissement se pose avec acuité à Ziguinchor, pôle qui constitue l’une des stations qui enregistrent les plus importantes quantités pluviométriques du pays. Des pluies qui sont le plus souvent à l’origine de forts ruissellements et qui exposent certains quartiers de la ville à des risques d’inondations ; un phénomène provoqué par la stagnation ou le ruissellement anarchique des eaux pluviales. C’est dire que, malgré un réseau de drainage des eaux pluviales, la collecte, le traitement et l’évacuation des eaux usées et pluviales urbaines demeurent une équation à plusieurs inconnues, aussi bien pour les autorités municipales que pour les populations. Et si d’aucuns incriminent les populations et pointent du doigt certains comportements aux antipodes des bonnes pratiques environnementales, ces dernières indexent, par contre, les défaillances d’un système d’assainissement combinées à une absence d’un réseau d’assainissement adéquat pour eaux usées ou pluviales. En attendant, ce sont les populations de plusieurs quartiers de Ziguinchor qui s’enlisent dans les eaux.

«Nous lançons un appel très urgent au ministère chargé de l’Assainissement et à l’Office national de l’assainissement (Onas) pour qu’ils nous viennent en aide. Et nous avons pu identifier des sites sur lesquels il faut une intervention avec de gros moyens qui ne sont pas à la portée des élus. Nous avons interpellé le ministre pour qu’il puisse nous envoyer des hydrocureurs pour nous permettre d’accompagner les services de l’Etat.»  Ce cri du cœur et de détresse de l’édile de Ziguinchor, Abdoulaye Baldé, il y a quelques jours, traduit toute l’impuissance des autorités municipales face au calvaire que vivent plusieurs de ses mandants au niveau de plusieurs quartiers totalement inondés de la ville de Ziguinchor. Une situation qui met également, du coup, à nu toutes les défaillances du réseau d’assainissement. Et pourtant, avec la loi n°2009-24 du 8 juillet 2009 portant Code de l’assainissement, l‘Etat a mis un accent particulier sur l’assainissement des eaux pluviales ; et ce, avec la définition d’un code unique et harmonisé de l’assainissement. Toute chose qui va permettre notamment l’accès de tous à la règle de droit en matière d‘assainissement au Sénégal. Une forte volonté politique réaffirmée et matérialisée par la prise en compte de l’Assainissement comme faisant partie des secteurs prioritaires que sont l’Education, la Santé, l’Agriculture et l’Hydraulique. Du coup, des réseaux de drainage des eaux pluviales ont été réalisés dans plusieurs centres urbains pour l’amélioration du cadre de vie des populations et la couverture de leurs besoins en assainissement. C’est notamment le cas à Ziguinchor, une ville complètement dépourvue d’un réseau d’assainissement pour eaux usées mais où il existe toutefois un réseau de drainage des eaux pluviales avec trois grands canaux pluviaux, plus quelques égouts secondaires qui y sont connectés. Et ce, pour une hauteur moyenne des pluies qui avoisine 1500 mm par an. Mais seulement voilà ! Seuls des quartiers comme Escale, Boudody, Boucotte possèdent de canaux ouverts ; mais des ouvrages très dégradés souvent inopérants et qui constituent des déversoirs d’eaux usées et de déchets domestiques. Conséquences : du fait de forts ruissellements, de l’état délabré des routes ravinées par les eaux de pluie qui débordent des canaux, plusieurs quartiers de la ville de Ziguinchor sont, à chaque saison d’hivernage, inondés voire exposés à des risques d’inondations. C’est le cas notamment de : Belfort, Goumel, Djibock, Coboda, Colobane, Santhiaba, Escale, Boudody, etc.
Une situation qui est également la résultante de l’absence d’un service efficace d’assainissement, de collecte et d’évacuation des ordures ménagères, notamment dans les quartiers périphériques ; mais également de mauvais aménagements en matière de politique d’assainissement. Ainsi, l’absence d’un tel dispositif, notamment dans ces quartiers, transparait à travers l’insalubrité de l’environnement urbain. Du coup, la rue voire les canalisations deviennent les réceptacles des rejets solides comme liquides. Et le constat est qu’à chaque fois que le ciel ouvre ses vannes, une bonne partie des eaux de pluies inonde la ville, au lieu d’aboutir à leur exutoire.

Des quartiers situés sur des sites rizicoles
Mais il est vrai que tous ces quartiers situés dans les zones inondables et qui vivent en permanence dans les eaux durant l’hivernage abritaient, pour l’essentiel dans le passé, des activités agricoles. Mais c’est du fait de la dynamique urbaine, du laxisme et des mauvaises stratégies politiques en matière d’assainissement voire l’absence d’un système d’assainissement efficace combiné aux contraintes de sites à Ziguinchor et le retour des pluies que les populations ont occupé ces terrains jadis inondables, non aedificandi. Tels Goumel, Santhiaba, Boudody, Belfort, Djefaye, Djibock, Kandé très exposés à des risques élevés d’inondation.
Du coup, à chaque saison hivernale, les eaux pluviales de ces quartiers se déversent dans un canal naturel très dégradé qui traverse la ville ; un canal envahi par les eaux usées à différents endroits déversées dans le réseau des eaux pluviales et qui créent de graves problèmes d’insalubrité. Car avec une population de près de 350 000 habitants (2011), la ville de Ziguinchor n’a ni un réseau de traitement des eaux usées fonctionnelles ni une stratégie efficace de gestion des eaux pluviales. Des défaillances combinées à des pratiques et comportements populaires qui se traduisent souvent, à la faveur de la dynamique spatiale de la ville, par l’occupation par les communautés des zones non aedificandi et où le manque d’infrastructures d’assainissement adéquates touche à cet effet les couches les plus démunies et défavorisées et menacent leur cadre de vie.

Belfort, Boudody, Coboda, etc., des quartiers où hivernage rime avec calvaire des populations
Symbole des défaillances du système d’assainissement ! Belfort, un quartier qui jouxte le boulevard des 54 M et longé par un canal mal entretenu servant de déversoir de toutes sortes d’ordures et traversant également les quartiers de Boucotte et de Korenthas. A chaque saison des pluies, le quotidien des populations se conjugue à Belfort avec désespoir, colère, amertume et impuissance. C’est le cas cette année encore avec toutes les rues et ruelles de ce populeux quartier qui sont envahies par les eaux de pluie et de ruissellement avec leurs lots de déchets domestiques, de débris de toutes sortes et où voguent crapauds et petits poissons. En outre du fait de l’impraticabilité des voies d’accès, la mobilité des populations est à chaque fois compromise ; et beaucoup de maisons sont en permanence inondées.
Avec les dernières pluies enregistrées, l’eau a envahi les chambres, les salons de beaucoup de familles qui ont quasiment perdu, du coup, meubles, denrées alimentaires et autres objets d’usage. A cela s’ajoute l’éclosion des moustiques qui exposent les populations, notamment les enfants, au paludisme, aux maladies diarrhéiques, à des dermatoses si fréquentes en période hivernale à Ziguinchor.
«Nous ne pouvons plus vivre dans ces conditions, principalement à Belfort surtout que personne n’a encore levé le plus petit doigt pour nous venir en aide. Belfort a plus que jamais aujourd’hui besoin de pavés, d’assainissement, de canalisation pour régler définitivement le problème d’évacuation des eaux», espère Elie Diatta, porte-parole des populations Belfort. Et pour qui les véritables inondations se passent véritablement à Ziguinchor où des pluies de 200 mm sont parfois enregistrées quotidiennement. C’est dire donc qu’à Belfort la vulnérabilité face aux inondations est très prononcée. Même décor à Boudody où des foyers sont envahis par les eaux de ruissellement avec des bâtisses qui se sont effondrées. Là également les populations ne savent plus à quel saint se vouer et incriminent d’ailleurs la mairie par rapport à leur dure situation.
«Nous avons demandé à ce qu’on nous élargisse le canal principal de la ville qui draine l’eau depuis les quartiers périphériques comme Tilène jusqu’à Boudody ; des eaux de ruissellement drainent en outre des ordures de toutes sortes qui finissent dans nos maisons. Et tous nos efforts pour rencontrer le maire pour lui expliquer notre calvaire sont vains», s’offusque cet habitant de Boudody dont le mur de la maison s’est effondré suite aux fortes pluies du début du mois d’août. «Boudody est le réceptacle des déchets ménagers et de toutes sortes d’ordures des autres quartiers. Le canal déverse tout sur nous, trop c’est trop», renchérit une autre habitante de Boudody pour qui son quartier est las de supporter les déchets des autres quartiers. «Boudody est l’un des plus anciens quartiers de Ziguinchor, mais ses résidents sont les plus mal lotis sur tous les plans», s’indigne à son tour le jeune P. G. Et comme tous les habitants de ce quartier, ce dernier incrimine à son tour les autorités municipales qui font fi, dit-il, de leur calvaire voire de leurs dures conditions de vie et d’existence.
Lyndiane Coboda est un quartier où le calvaire des populations est également manifeste, en ce début d’hivernage. Ici avec les fortes pluies, des maisons se sont effondrées et d’autres menacées par les prochaines pluies. En plus d’un grand canal à ciel ouvert qui hante le sommeil des populations, ce sont les travaux de construction d’un canal par une société de la place, dans le cadre du programme Promo­villes, qui sont pointés du doigt par les populations. «Le canal est très mal fait et constitue d’ailleurs un danger pour nous. Car si la pluie continue sur cette lancée, des maisons vont s’effondrer», avertit Daouda Diatta. A l’instar des jeunes de Coboda, ce dernier invite la mairie de Ziguinchor à régler le problème pour que plus jamais ils ne puissent vivre de tels désagréments.

Des communautés se mobilisent pour parer à la montée des périls
C’est donc face à ces atteintes environnementales, ce péril existentiel, que des natifs de Belfort sont à nouveau sortis de leur mutisme pour alerter, lancer un appel de détresse et demander une aide d’urgence pour ces populations sinistrées de la Ville de Ziguinchor. «A Belfort, ce sont plus de 200 familles sinistrées que nous avons déjà recensé et qui attendent un accompagnement de bonnes volontés pour sortir de leur calvaire», confie M. Diatta. Le porte-voix des sans-voix de Belfort «crapaud» pour qui son cri du cœur a été entendu par des Casamançais de la diaspora regroupés au sein de l’Association Fidji Di Terra Na Kintal (Fdtnk), structure qui compte œuvrer pour le développement de la région à travers des actions concrètes. «Et c’est donc face à cette réalité que vit une bonne frange de la population de Ziguinchor que Fdtnk est en train de se mobiliser et mobiliser des moyens pour venir en aide aux nombreux sinistrés de Belfort.» Et ce, à travers des appels à dons et toutes sortes d’accompagnement et d’appui en argent, en nature, en matériels et autres. Tout comme à Belfort, les populations sinistrées réagissent de façon spontanée avec des moyens précaires pour juguler le phénomène : à savoir l’usage des briques, de sacs de sable et de troncs d’arbres pour contrer parfois l’eau des pluies et atténuer les risques de dégradation de leurs habitats. Des pratiques quotidiennes en période hivernale et qui mettent à nu les difficultés de gestion des déchets domestiques et les défaillances du système d’assainissement ; difficultés manifestes en outre à travers les tas d’immondices disposés partout, les rejets d’eaux de toutes sortes dans les canalisations.
«Il faut un plan d’assainissement pour tous les quartiers. C’est la seule façon de solutionner le problème des inondations que vivent presque tous les quartiers de la commune de Ziguinchor durant chaque saison des pluies», clament des habitants du quartier Coboda. Un plaidoyer pour l’amélioration des conditions d’écoulement des eaux pluviales par un réseau de collecte ou par le curage des caniveaux. Et une approche participative pour résoudre les problèmes qui se posent au niveau de leur environnement immédiat. Une pratique en vogue aujourd’hui à Goumel, un quartier situé au niveau des bas-fonds et où la nappe est assez élevée. Du coup, les rues et les ruelles tout autant que des maisons sont aussi envahies par les eaux. Une situation difficile à supporter pour ces résidents qui se mobilisent chaque dimanche autour d’une association récemment créée pour une journée d’investissement humain.
Des travaux d’intérêt public dont le but est d’atténuer les souffrances engendrées par les fortes pluies. «Les eaux de ruissellement qui viennent des quartiers de Tilène Kandé et autres aboutissent à Goumel où les canalisations laissent à désirer au vu de leur étroitesse», soutient Malick Sané, un résident de Goumel. Avec les fortes pluies qui s’abattent quotidiennement à Ziguinchor, son quartier subit de plein fouet les assauts des eaux. C’est tout le sens, dit-il, de ce travail d’assainissement ponctué par le dégagement des ordures, le nettoiement des caniveaux pour une meilleure évacuation des eaux de pluie et de ruissellement et réduire, du coup, les nuisances provoquées par ces eaux. Et à en croire M. Sané, les autorités territoriales ont été saisies pour attirer leur attention sur le calvaire que vivent les populations de Goumel.
Mais pour l’heure, Ziguinchor, avec 1500 mm de pluies par an en moyenne, souffre d’un manque notoire de réseaux pluviaux. Et pour bon nombre de citadins rencontrés, il urge aujourd’hui d’améliorer, entre autres, le niveau de l’assainissement dans les différents quartiers de la ville ; de résoudre les problèmes environnementaux provenant du rejet des eaux usées non traitées aux abords des concessions ; d’élaguer la durée des inondations provoquées par la stagnation ou le ruissellement anarchique des eaux pluviales.

Des esquisses de solutions de l’autorité qui sont loin de juguler le calvaire des populations
C’est donc devant l’urgence et les enjeux environnementaux et socio-économiques, qu’il était devenu impératif pour l’Etat d’accorder aux problèmes d’assainissement de la ville beaucoup plus d’attention. Déjà en 2010, l’Etat a consacré à la ville un financement 4,3 milliards de francs Cfa de la Banque africaine de développement (Bad), pour la mise en place d’un Plan directeur d’assainissement. Des réponses au problème d’assainissement de la ville vont ainsi permettre de réaliser 22 km de réseaux d’évacuation des eaux usées, 1863 branchements à l’égout, une station d’épuration d’une capacité de 3900 m3 par jour. Et d’après le chargé de communication de la mairie de Ziguinchor, la ville est en train, dit-il, d’être dotée d’une unité de traitement et de valorisation des boues de vidange ; un projet aujourd’hui réalisé à plus de 95%. Et ce, parallèlement au Projet Tout à l’égout pour les eaux usées financé par la Bad et l’Afd et exécuté par l’Onas au profit de la commune de Ziguinchor.
Pour ce qui est drainage des eaux de pluie, Joe Sambou estime que Ziguinchor, zone à forte pluviométrie avec 1000 à 2000 mm de pluies enregistrées par saison, est une ville en pente avec des quartiers comme Santhiaba et Kandé qui sont dans des cuvettes parce qu’anciennes rizières et zones de rétention de pluies. «Donc sur ce plan, on est un petit peu faible parce que cela demande des investissements structurels et il faut des canalisations pour pouvoir drainer ces eaux vers le fleuve», a-t-il indiqué. Pour ce faire, la mairie de Ziguinchor mise sur la coopération décentralisée, notamment avec les communautés d’agglomérations euro-méditerranéennes et la communauté d’agglomérations Nor­man­die en France pour un appui au renforcement du réseau de drainage des eaux de pluie. Et si la municipalité fait énormément d’efforts, note-t-il, il n’en demeure pas moins que des contraintes qui sont foncières et qui sont également liées aux changements de mentalités et de comportements des Sénégalais par rapport à la gestion de leur environnement, leur cadre de vie globalement constituent des faiblesses énormes par rapport à la politique de d’assainissement. «Si on doit évaluer en mètre linéaire, Ziguinchor est bien plus dotée en termes de canalisations que beaucoup de collectivités territoriales de grande envergure du Sénégal. Mais, il y a le comportement des populations qui déposent n’importe quel déchet n’importe où», se désole-t-il.
Joe Sambou qui en appelle à la discipline de Ziguinchorois pour aider, dit-il, la mairie à régler beaucoup problèmes et à concentrer davantage des moyens dans les quartiers qui ne sont pas desservis par le réseau. «On a conscience des zones de cuvette qui n’ont pas bénéficié d’un réseau conséquent de drainage des eaux. Mais il est important qu’on puisse travailler à mailler davantage la gestion de l’assainissement. Parce que l’assainissement ce n’est pas que le centre-ville, il concerne toute la ville», plaide Joe Sambou.
En attendant, c’est avec les moyens du bord que l’équipe municipale, dirigée par l’honorable député Abdoulaye Baldé, entend juguler la montée des périls notée dans bon nombre de sites d’habitations de la ville de Ziguinchor suite aux fortes pluies. L’institution municipale a ainsi mise en branle il y a quelques jours, une vaste opération de curage des caniveaux au niveau de certains sites stratégiques tels Colobane, Soucoupapaye, Boucotte, Santhiaba, Belfort, Nema II, Check-point de Kandialang et au niveau du stade Jules Bocandé. Des travaux de curage rendus possibles par le ministre de l’Assainissement, qui a répondu favorablement à l’appel de détresse du maire de Ziguinchor avec l’envoi de deux hydrocureurs déjà opérationnels. «Les travaux vont se poursuivre pendant une dizaine de jours. J’ose espérer qu’à l’issue de ces curages, la situation sera sensiblement normale avec une bonne évacuation des eaux», argue le maire de Ziguinchor. Abdoulaye Baldé qui a lancé dans la foulée une brigade de désensablement de la ville de Ziguinchor composée de 73 agents censés nettoyer et rendre la ville propre. Une unité qui vient ainsi en appoint aux agents de l’Ucg pour une meilleure prise en charge des questions liées à l’assainissement devenu un casse-tête pour les autorités municipales.
Aujourd’hui, il est manifeste que la prise en charge des problèmes liés aux inondations n’est pas encore effective dans plusieurs quartiers de la ville de Ziguinchor. Même si de nombreux efforts sont consentis par l’Etat, la mairie et leurs partenaires, les risques d’inondations sont encore bien réels notamment avec le retour des pluies.
En attendant la mise en place d’un dispositif efficace pour la gestion des eaux pluviales, il incombe aux autorités compétentes de sensibiliser les populations par rapport à un certain nombre de pratiques et comportements assimilés à des atteintes environnementales et qui annihilent tout effort de développement.