Le long week-end de la Korité aura permis à l’opinion de digérer les révélations contradictoires concernant la gestion du Prodac. L’annonce de la démission de M. Mame Mbaye Niang de son portefeuille du Tourisme parce que, selon ceux qui en sauraient un peu plus, il aurait été impliqué dans le scandale concernant le contrat de ces Domaines agricoles communautaires, n’a pu produire qu’un peu de fumée. Au point que l’on se demande encore, plus d’une semaine après ladite annonce, si ce ministre est vraiment parti, le gouvernement ayant décidé de faire comme si de rien n’était.
Et la Coupe du monde de football ayant commencé, on peut parier que plusieurs personnes espèrent que les Sénégalais auront tous l’esprit tourné vers Moscou et Kaluga, d’où les Lions nous reviendront certainement bardés de gloire, que cela permettra d’égarer le rapport de l’Inspection générale des finances (Igf) dans la masse de papiers et d’exaltations que produiront les exploits de nos joueurs. Or c’est justement ce qu’il ne faudrait pas permettre.
Ce dossier soulève beaucoup trop de questions que le respect minimal dû au Peuple sénégalais impose qu’il y soit donné réponse par toutes les personnes concernées. Au-delà même de l’honorabilité de certains, il s’agit de rendre compte de l’utilisation et la gestion de nos deniers par ceux auxquels le mandat électif en a confié la charge. On parle ici de plusieurs milliards de francs Cfa, alors que Khalifa Sall est en prison depuis un peu plus d’un an pour des montants beaucoup moins importants.
On a, entre autres, besoin de savoir le montant du crédit contracté par l’Etat auprès de Locafrique et le délai de remboursement. Les pouvoirs publics devraient également nous édifier sur l’intérêt qu’il y avait à contracter avec cet organisme de crédit-bail et à quel taux. Par ailleurs, pourquoi personne n’a encore démenti Daniel Pinhasi, coordonnateur de Green 2000, quand il déclare dans les journaux que les décaissements de Locafrique pour son entreprise n’ont démarré que 5 mois après la signature du contrat, c’est-à-dire qu’à la fin du délai de grâce ? Cela impliquerait que la société de crédit-bail n’aurait commencé à financer Green 2000, non pas avec son crédit, mais plutôt avec les remboursements que lui aura versés le ministère de l’Economie et des finances. Donc, en soi, de l’enrichissement sans cause. Une pratique que l’on a bien connue du temps de Abdoulaye Wade qui se vantait d’avoir créé des milliardaires dans ce pays et que l’on pensait révolue.
Cela pourrait expliquer, sans le justifier, que Pinhasi affirme qu’en plein remous sur les révélations du rapport de l’Igf sa société aura reçu 1,5 milliard de francs Cfa de Locafrique, alors que cette dernière venait de percevoir un chèque de 4 milliards de l’Etat.
Sans maîtrise technique suffisante pour juger de l’opportunité de signer un contrat de livraison clefs en main de quatre structures du niveau de ces Dac, on ne peut pas décider si les montants facturés sont appropriés. La vraie question reste que l’argent que les contribuables sénégalais paient n’est pas, en l’espèce, allé où il devait, et donc n’aura pas atteint ceux qui étaient censés pouvoir en bénéficier. A la lumière de ces interrogations, il faudrait donc s’interroger sur les lacunes du rapport de l’Igf qui s’interroge sur les faiblesses du contrat de construction des Dac par Green 2000, mais reste étonnamment silencieux sur le contrat de financement des Dac qui justifierait son implication dans ce dossier. S’il n’y a rien à en dire, il serait bon de pouvoir l’expliquer pour écarter toute suspicion qui ne peut que porter préjudice à une entreprise dont le premier crédit est justement sa réputation et celle de ses dirigeants.
De l’autre côté, Mame Mbaye Niang qui a jugé utile de provoquer un esclandre et appliquer la méthode bien rôdée dans cette gouvernance du «retenez-moi sinon je fais un malheur», en sachant que l’on n’en fera rien, doit faire montre de plus de respect pour le Peuple sénégalais. S’il a des choses à reprocher à des gens, qu’il ne se cache pas derrière «des jeunes proches» de lui, comme ceux qui s’en sont pris au ministre Amadou Ba la semaine dernière !
Jusqu’à preuve du contraire, il occupe des fonctions officielles, il a donc obligation de rendre compte. Il ne peut pas être aussi gravement sali et se contenter d’une lettre de démission, en se murant dans le silence. Et même ses chefs, le Président et le Premier ministre ne devraient pas le laisser s’en tirer à si bon compte. Même s’ils ont montré que la «gouvernance sobre et vertueuse» ne s’appliquait pas à tous, qu’ils n’oublient pas que le Peuple a de la mémoire. Et elle peut se rappeler certaines turpitudes à des mauvais moments pour les dirigeants.
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