Dossier – Restructuration du Fonds d’aide à l’édition : Une réforme, des espoirs et des interrogations
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Les mesures prises par le Président Bassirou Diomaye Faye pour redonner de la force au secteur du livre suscitent espoirs et attentes. Avec la restructuration du Fonds d’aide à l’édition, les professionnels du livre espèrent voir enfin un véritable soutien à leur secteur. Mais cette réforme doit aller au-delà d’un simple ajustement budgétaire, selon eux.
C’est une directive du Président Bassirou Diomaye Faye qui a demandé, lors du Conseil des ministres du 5 février, la restructuration du Fonds d’aide à l’édition. Si l’annonce du chef de l’Etat a bien été accueillie chez les professionnels du livre, n’empêche cette restructuration ne pourra être bénéfique que lorsqu’elle s’accompagne d’une gestion rigoureuse et d’une vision claire du développement de l’édition. Pour Dr Abdoulaye Diallo, directeur de la maison d’édition L’Harmattan Sénégal, le Fonds d’aide à l’édition est entouré de nombreux fantasmes. «Je considère qu’il y a beaucoup de fantasmes autour du Fonds d’aide à l’édition. Pourquoi ? Parce que beaucoup de maisons d’édition, depuis quelques années, ont vu le jour en croyant, en ayant à l’esprit qu’il y a une manne financière à travers ce fonds d’aide», explique-t-il.
Joint par Le Quotidien, Dr Abdoulaye Diallo estime qu’il est important de structurer ce fonds d’aide et de le rendre plus conséquent pour qu’il joue pleinement son rôle. «Je pense quand même que la structuration nécessaire à ce fonds, c’est vraiment de l’étoffer, de matérialiser en fait cet engagement du président de la République, en le rendant beaucoup plus conséquent. Ça peut aider à booster bien évidemment le secteur de l’édition», a-t-il soutenu. Mais pour bénéficier de ce soutien, Abdoulaye Diallo insiste sur la nécessité d’une formalisation des maisons d’édition. «Il faut que les maisons d’édition soient formalisées, qu’elles soient des entreprises avec un siège, une comptabilité gérée selon les normes, avec un local qui puisse avoir une adresse physique. Et je pense d’ailleurs que dans la manière dont les choses sont gérées actuellement, les gens en tiennent compte au niveau du ministère de la Culture», fait-il savoir.
«Il faut auditer le fonds et son utilisation»
Journaliste et critique littéraire, Abdou Rahmane Mbengue pointe, quant à lui, du doigt un problème de fond, estimant que le périmètre d’intervention de cette aide est trop large. «Le Fonds d’aide à l’édition, ça s’appelle en réalité le Fonds d’aide à l’édition et la culture. Donc ce fonds sert aussi à financer non seulement l’édition de livres, mais aussi les voyages de certains écrivains et certaines associations ou des manifestations. Donc rien que l’appellation ouvre la porte à des dérives», déclare-t-il. Face à cela, il réclame un audit de l’utilisation du fonds et une refonte des critères d’attribution. «Il faut auditer le fonds et son utilisation, et revoir ses critères d’attribution. Les maisons d’édition qui bénéficient du Fonds d’aide à l’édition doivent répondre à des critères : un comité de lecture, un siège, une comptabilité à jour. Les manuscrits qui prétendent au Fonds d’aide à l’édition doivent être relus par un comité de lecture composé de personnalités indépendantes», a indiqué Abdou Rahmane Mbengue, tout en préconisant également un changement de logique. «Il faut sortir de l’idée d’une simple aide et créer un fonds de développement de l’édition. Il faut structurer un vrai marché du livre qui crée de l’emploi et une économie viable», propose le journaliste et critique littéraire.
Passer à une logique économique
Cependant, du côté des auteurs, la nouvelle a été accueillie avec enthousiasme, à l’image de Saliou Diop Cissé, président du Cénacle des jeunes écrivains. «Naturellement, on se réjouit de la directive du Président Bassirou Diomaye Faye. Nous, les auteurs, en tout cas, témoignons de notre gratitude par rapport à cet élan de reconnaissance qui montre naturellement que la production littéraire au Sénégal est vivante.» Joint également par Le Quotidien, il a toutefois insisté sur la nécessité d’un accompagnement sérieux et structuré. Tout comme Abdou Rahmane Mbengue, il préconise de mettre en place des mécanismes clairs qui permettent de voir comment le Fonds d’aide à l’édition est ventilé. «Le Fonds d’aide à l’édition doit être un levier pour booster la création et permettre au talent de briller. Aujourd’hui, au Sénégal, la plupart des auteurs se décarcassent pour se faire éditer. Maintenant, le fonds peut être un soutien, à condition que des mécanismes de sélection rigoureux soient mis en place. Et c’est tout ce que nous souhaitons», a-t-il laissé entendre, précisant également que tout le monde ne peut pas bénéficier de ces fonds. «Les maisons d’édition doivent partir de leurs propres moyens, et que l’Etat vienne après en appoint», dit-il. «Editeurs et libraires sont des entreprises privées qui évoluent dans un environnement précaire.
Beaucoup n’y sont encore que pour la passion du livre. Mais économiquement, je ne suis pas sûr que ces arrivent à joindre les deux bouts. Il y a urgence donc de leur prêter une grande attention. Parce qu’il ne faut pas qu’elles disparaissent.
Mais ce n’est pas avec 600 millions qu’on réforme une filière aussi malade et devant se réinventer face aux mutations numériques et nouvelles formes de consommation du livre», constate Oumar Sall, auteur et critique.
Avec pas moins de 65 maisons d’édition, 35 imprimeries, 20 librairies, 53 bibliothèques régionales et centres de lecture et d’animation culturelle, le secteur a littéralement explosé ces dernières années, fait remarquer M. Sall. «Une nouvelle orientation s’impose pour passer de l’idée «d’aide», qui renvoie plus à de l’assistanat pour décoller, à une approche plus économique (commerciale), tout en gardant, bien sûr, ce volet de renforcer la lecture à l’intérieur du pays grâce au soutien d’initiatives non économiques», souligne-t-il.