D’où sortent les élèves des foyers socio-éducatifs du Sénégal ?

Il aura suffi d’une vidéo virale montrant des élèves du secondaire, à Ziguinchor, se livrant à des danses obscènes lors de journées dites «récréatives» pour que l’émotion prenne le dessus. Cris d’indignation, condamnations indignées, appels à la rigueur éducative… Pourtant, cette scène n’a rien d’étonnant. Elle n’est ni une rupture ni un accident, mais plutôt le miroir fidèle d’une société sénégalaise en mutation, tiraillée entre des valeurs traditionnelles qui s’effilochent et un modèle social en pleine confusion.
La question n’est donc pas tant ce que font ces élèves, mais plutôt d’où ils sortent. Les foyers socio-éducatifs, censés être des lieux d’épanouissement intellectuel, culturel et moral, ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Jadis vitrines de l’excellence, encadrés par des enseignants et éducateurs engagés, ils sont aujourd’hui souvent abandonnés à eux-mêmes, infiltrés par la logique du divertissement sans réflexion et désertés par les projets éducatifs porteurs de sens.
Les élèves sortent de maisons où la télévision, les réseaux sociaux et la téléréalité sont devenus les principaux maîtres à penser. La parentalité est parfois absente ou impuissante, déléguée à des écrans ou à des modèles de réussite factices où la décence et la retenue n’ont plus cours. On s’étonne alors qu’un adolescent mime les gestes lascifs de ses idoles musicales sur scène ? «Dis-moi ce que tu regardes, je te dirai qui tu es.»
Ils sortent aussi d’un système éducatif en crise, où la transmission de valeurs se limite à des slogans, où la morale est reléguée aux marges et où les éducateurs eux-mêmes, souvent démotivés et mal formés, peinent à incarner l’exemplarité. La devise «Former des citoyens utiles à la Nation» semble s’être évaporée au profit de pratiques mécaniques et sans âme.
Ils sortent d’une société où les élites politiques et économiques donnent parfois des contre-exemples flagrants. Comment demander à des adolescents de faire preuve de retenue quand des adultes s’illustrent dans le tapage, l’ostentation et la vulgarité ? «La jeunesse est le miroir de la société», disait Cheikh Anta Diop. A bien des égards, ces jeunes ne font que traduire les contradictions, les tensions et les dérives d’un pays qui perd ses repères.
Alors oui, il faut s’indigner, mais pas de manière naïve ou hypocrite.
Il faut aller au-delà de la surface : réhabiliter les foyers socio-éducatifs comme espaces de formation humaine, repenser l’encadrement des élèves, responsabiliser les parents, valoriser les éducateurs et, surtout, questionner collectivement le type de société que nous construisons.
Car, au fond, ces élèves ne sont pas venus de nulle part. Ils sont nos enfants, nos élèves, nos jeunes, façonnés par nos silences, nos renoncements et nos exemples.
Amadou MBENGUE dit Vieux
Secrétaire général de la Coordination de Rufisque
Membre du Bureau politique du PIT/Sénégal