Moustapha Niasse fait du «banditisme politique», Ousmane Tanor Dieng «a vendu» le Ps pour le Hcct, Macky Sall a «kidnappé» Khalifa Sall, le procureur et son patron «ne parlent pas le même langage»… Doudou Wade résume ainsi le «complot politique pour empêcher Khalifa Sall de se présenter en 2019». L’ancien président du groupe parlementaire libéral qui vit le calme olympien de la Cité Biagui de Yoff explique la procédure de levée de l’immunité parlementaire demandée par le procureur.

Quelle lecture faites-vous de cette demande de levée de l’immunité parlementaire du député Khalifa Sall adressée par le procureur de la République à l’As­sem­blée nationale ?
La première chose, c’est de remarquer que nous sommes dans une situation très grave dans l’Administration de la justice de notre pays. Le procureur a osé adresser par une lettre, il y a 2 ou 3 jours, à l’institution parlementaire pour lui demander la levée de l’immunité parlementaire du député Khalifa Sall qui est actuellement en prison dans le cadre d’une détention provisoire. Pourtant, le garde des Sceaux, ministre de la Justice, avait dit que pour ce cas d’espèce, il n’est pas question d’immunité parlementaire. Il avait, par conséquent, ajouté que Khalifa ne peut bénéficier de cette protection parce que les actes pour lesquels il est entre les mains de la justice précèdent son élection comme député. C’était après les élections du 30 juillet. Le 25 octobre, on change de pôle en quittant le pôle nord pour aller au pôle sud. C’est extrêmement grave parce sur une même question concernant une même personne, dans le même Tribunal, le ministre de la Justice et le procureur qui est sous ses ordres ne parlent pas le même langage. Khalifa Sall est kidnappé politiquement par Macky Sall pour le mettre en prison simplement pour empêcher sa candidature à l’élection présidentielle de 2019. Il lui est reproché de n’avoir pas suivi Ousmane Tanor Dieng qui a vendu le Parti socialiste à l’Apr pour des strapontins du Haut conseil des collectivités territoriales. C’est la seule raison. Aujourd’hui avec cette demande, le procureur montre que Khalifa Sall a une immunité parlementaire et qu’il est couvert par celle-ci. Le procureur a reconnu sa faute.
Et l’Assemblée nationale va sous peu entendre Khalifa Sall à travers la mise en place d’une commission ad hoc…
C’est la suite logique de la demande du procureur. Quand il demande à entendre un député dans le cadre de l’inviolabilité pour des faits qui ne sont pas de sa mission, le procureur a obligatoirement besoin de la levée de l’immunité parlementaire. Le procureur sait aujourd’hui qu’il est bloqué. Si la demande arrive, l’Assemblée nationale doit en être informée par son président, en prendre acte et l’envoyer à la Conférence des présidents pour la désignation d’une commission ad hoc de 11 membres comprenant les différentes sensibilités de l’Assemblée nationale au prorata de l’importance des groupes. A partir de ce moment, un rapport sera dressé et envoyé en plénière pour finir par un vote. Mais ce qui est important, si nous voulons suivre la procédure et maintenant qu’ils ont décidé d’appliquer la loi, il faut y aller jusqu’au bout. Khalifa Sall doit être entendu par la commission. C’est une obligation.
Justement, cette commission ira-t-elle en prison pour ce faire ?
Comment voulez-vous qu’elle aille en prison ? La commission doit entendre le député intéressé. (Il lit le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, Ndlr). C’est une obligation. Par conséquent, cette commission doit envoyer une convocation à Khalifa Sall. Comme Khalifa est en détention et que le procureur veut qu’on applique la loi, le procureur doit l’envoyer pour répondre à cette convocation.
Il va être libéré ?
En tout cas, le procureur fera de sorte que Khalifa aille répondre. C’est une obligation.
Donc la commission ne peut pas se déplacer en prison ?
Vous avez vu un Tribunal se déplacer en prison ? En ce moment, on n’entendra pas un député, mais un prisonnier. Ici on a besoin d’entendre un député.
Pourtant ses proches menacent en disant que Khalifa ne répondra pas à cette commission. Vous semblez lui conseillez le contraire ?
Je ne le conseille pas, je dis le droit. Cela veut dire que la commission doit entendre le député. Par conséquent, le procureur sera obligé de permettre à Khalifa Sall de répondre. En ce moment, on verra combien de temps va durer l’audition de Khalifa Sall. Si ce sera 2 jours, 3 jours, 4 jours… En tout cas, la commission a un siège qui se trouve à l’Assemblée nationale.
Suivant votre logique, est-ce que le procureur n’est pas pris dans son propre piège ?
Je ne sais pas. Mais Khalifa Sall doit sortir de prison pour déférer à cette convocation. Et c’est le procureur qui doit organiser tout ça. Qu’il aille jusqu’à bout de sa logique !
Le procureur dit n’avoir jamais ignoré l’immunité parlementaire qui couvre Khalifa Sall, mais que celle-ci ne saurait justifier sa libération…
Vous croyez au procureur ?
Je pose une question…
Je me fie à ce que dit le chef du procureur qui a affirmé que Khalifa n’avait pas le privilège de l’immunité parlementaire. Nous avons dépassé cette question. C’est parce que de fait, le procureur, le garde des Sceaux, ministre de la Justice, et le gouvernement de Macky Sall reconnaissent avoir foulé au pied les droits de Khalifa Sall.
Est-ce que dans l’histoire des précédentes Législatu­res on a eu des cas similaires avec des députés répondant devant une commission ad hoc dans le cadre d’une procédure de levée d’immunité parlementaire ?
J’en connais plusieurs. Ces dispositions ont été appliquées à des députés. Je peux en citer Joseph Ndong dont l’immunité parlementaire a été levée en moins de 24h par le Bureau de l’Assemblée nationale. C’était durant les années 80. On a voulu lever l’immunité parlementaire de Moustapha Niasse lors de la 10ème Législature qui avait dit que l’argent de la Sonacos avait servi à financer le Pds. Une plainte a été déposée. On l’a convoqué au niveau de la commission ad hoc pour lever son immunité parlementaire et c’est à genou qu’il s’est excusé pour dire : «Non, cet enregistrement n’est pas ma voix.» Il y a eu la levée de l’immunité parlementaire de Alcaly Cissé ces dernières années et plus récemment avec Oumar Sarr, Ousmane Ngom et Abdoulaye Baldé. Donc, ce n’est pas la première fois que l’immunité parlementaire d’un député fasse l’objet d’une procédure pour être levée. Cependant, dans le cas de Khalifa Sall, il s’agit d’un complot politique à l’image de celui contre Karim Wade.
Au même moment, le député Pur El Hadji Issa Sall avait envoyé depuis le 13 octobre un courrier au président de l’Assemblée nationale pour la mise en place en procédure d’urgence d’une commission ad hoc pour l’arrêt des poursuites contre Khalifa Sall. Est-ce que cela a des chances d’aboutir ?
Le député El Hadji Issa Sall s’appuie sur l’article 52 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Une disposition qui donne deux possibilités qui sont même contradictoires. La première est que l’article 52 permet à la commission ad hoc de lever l’immunité parlementaire d’un député en matière correctionnelle et criminelle. C’est la disposition utilisée par le procureur. Mais le même article 52 permet, quand un député est poursuivi ou en détention, de suspendre cette poursuite ou cette détention en créant une commission ad hoc. C’est ce que demande le député El Hadji Issa Sall dans sa lettre du 13 octobre 2017. La date est très importante. Je ne pense pas que la lettre du procureur soit antérieure à celle du député El Hadji Issa Sall. Dès l’instant que la lettre de ce dernier ait été déposée le 13 octobre et déclarée reçue par le secrétariat du président de l’Assemblée nationale, la lettre n’étant pas évoquée parce que demandant la libération des poursuites contre Khalifa Sall, c’est cousu de fil blanc et montre que nous sommes dans un complot organisé à partir de l’Assemblée nationale par le président Moustapha Niasse qui fait du banditisme politique. L’As­semblée nationale peut suspendre les poursuites contre Khalifa. C’est le Règlement intérieur qui le dit. Le prétexte de l’Assemblée nationale pour engager cette procédure devait être cette requête du député Issa Sall. Moustapha Niasse a reçu cette lettre du député El Hadji Issa Sall. Du 13 au 27 octobre, c’est-à-dire pendant 15 jours, il n’en parle pas. Il devait l’envoyer à la Conférence des présidents qui, à son tour, doit s’en ouvrir à la Commission des lois. Mais il peut le faire pour une lettre du 25 octobre et non pour une autre du 13 octobre demandant la suspension des poursuites contre Khalifa. A ce niveau de responsabilité, il est honteux que des parlementaires puissent comploter contre le statut du député. L’immunité parlementaire ne concerne pas Khalifa, mais le député, le représentant du Peuple par qui s’exprime la souveraineté nationale. C’est décevant et honteux que pour des complots politiques qu’on puisse s’asseoir sur une lettre antérieure pour une question de suspension de poursuites contre un député et accélérer la procédure d’une autre arrivée 15 jours après pour une levée d’immunité parlementaire.