Dr Abdoukhadre Sanoko analyse les manifestations des populations qui ont suivi l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko. Au regard du sociologue certifié en psychologie, «les gouvernants oublient que dans un pays où ça râle, où ça proteste, il y a moins de violences qui pourraient exposer l’Etat. Mais on a eu comme l’impression qu’il y a une confiscation de la parole des Sénégalais». Une injustice sociale qui, à ses yeux, «s’est exacerbée» sous le règne du régime de Macky Sall.
«Abdoulaye Wade avait trouvé la prouesse de permettre aux Sénégalais de l’exprimer à travers les brassards rouges. Lui (Ndlr : le Président Macky Sall) vient nous dire qu’il ne veut même pas voir de brassards rouges. Il y a problème. Donc, les jeunes qu’on a vu déferler ont voulu exprimer foncièrement un ras-bol généralisé émanant d’une certaine injustice sociale qui a eu à fracturer la société sénégalaise en deux camps. Il s’agit des très riches et des très pauvres.»
Le diplômé en sciences politiques de poursuivre pour signaler que «dans ce pays, manger les trois repas est presque une sorte de casse-tête. Des gens qui tombent malades font recours à des plantes médicinales. Ils n’ont même pas la possibilité d’aller se faire soigner. La problématique des inondations on n’en a pas parlé, l’émigration clandestine, la hausse du loyer, le prix du pain a augmenté, la problématique de l’école, les universités, l’orientation des bacheliers… et tout cela ils n’ont pas pu trouver un canal précis pour pouvoir permettre aux Sénégalais d’exprimer leur colère. Ils ont fermé toutes les possibilités qui pouvaient permettre aux Sénégalais de se débriefer». En clair : «On a poussé les Sénégalais à refouler leur colère à telle enseigne que le retour de bâton a été très agressif. Et c’est ce à quoi on a assisté, qui n’est pas du tout une attitude fortement politique, mais qui est plutôt sociale». Une «injustice sociale généralisée», selon Dr Sanoko, qui, soutient-il, «se mesure à un niveau où on a eu comme l’impression qu’on a combattu une absence de méritocratie au Sénégal. Et qu’une fois qu’il a eu à accéder au pouvoir, le Président Macky n’en a eu cure». Ce n’est pas tout : «Pendant qu’il était dans l’opposition il avait dit comprendre parfaitement la souffrance des Sénégalais. Et quand il a accédé au pouvoir il nous a vendu le valeureux concept de la rupture.» Or «quand on parle d’inégalités sociales, de fractures sociales, effectivement on s’attend à des ruptures mais malheureusement, à la place des ruptures nous avons eu place à la césure. Les véritables ruptures attendues n’ont pas été réalisées».
Pendant ce temps, poursuit Abdoukhadre Sanoko, «les Sénégalais ont eu faim, leur sécurité portée atteinte avec les nombreux morts depuis l’accession du Président au pouvoir. Et puis des morts d’une violence exacerbée avec des crimes odieux et souvent à la base un problème d’argent. Tout cela a un lien direct avec la situation sociale des Sénégalais».
Au-delà de cette frustration sociale, il y a «une sorte de brimade des libertés individuelles», selon le sociologue qui pense ainsi que «l’affaire Sonko a été simplement le prétexte». Lequel «prétexte est tombé sur un contexte précis que l’on appelle Covid-19, qui a fini d’exacerber et de faire ressortir tous les problèmes dans toutes les sociétés du monde et particulièrement dans les sociétés pauvres comme la nôtre. Le Covid-19 étant le contexte, maintenant il fallait juste un texte et c’est tout ce que nous avons vu ces jours à travers nos rues».
Pour les solutions, Sanoko propose «un redressement sociétal». Parce qu’à l’en croire, «quand la société est redressée de telle sorte que chacun y trouve son compte, personne n’a le temps de se révolter». Et de conclure : «Le pouvoir ne tient à rien, tout repose sur le Peuple. Donc, nous demandons davantage à ce qu’on puisse se préoccuper des problèmes de ce Peuple et qu’on puisse le mettre à l’aise afin qu’il puisse se mettre à équidistance par rapport aux différentes troupes politiques. Pendant pres­que un mois le pays est sur place et ça c’est parce que pendant longtemps on a ignoré le Peuple qui s’est fait respecter. Et  j’espère que ceux qui nous dirigent auront à tirer les vraies leçons de cette situation.»