Avec la mort d’une quinzaine de migrants après le naufrage de leur pirogue dans la nuit du dimanche au lundi, Ouakam est plongé dans un deuil qui rappelle ceux de Saint-Louis et Rufisque. C’est une succession de drames qui révolte Antoine Diome, qui lance la guerre aux passeurs.

C’est une image insoutenable : sur la berge de la plage du quartier de Ouakam, léchée par les vagues, sont disposés quelques corps mis dans des sacs mortuaires. Au niveau de cette plage, écrasée par la mosquée de la Divinité, le réveil d’hier fut douloureux avec le naufrage d’une pirogue remplie de candidats à l’émigration. Ils n’ont pas pu aller loin : ils ont quitté Thiaroye, fait escale à Yarakh, selon le ministre de l’Intérieur. Les sapeurs-pompiers et des pêcheurs ont passé la matinée à plonger pour repêcher des corps. Et le bilan est lourd : «Ce matin (hier), aux environs de 3h 30, on nous a signalé un chavirement de pirogue au large de Ouakam, à hauteur de la mosquée de la Divinité. Immédiatement, on a dépêché deux équipes de plongeurs et quatre ambulances, et on a démarré les opérations. Sur les lieux, on a trouvé trois corps sans vie et deux rescapés. Ces derniers ont été interpellés par les gendarmes», détaille le commandant du Groupement d’incendie et de secours n°1 de la région de Dakar, Martial Ndione. Il enchaîne : «De 7h à 10h, on a poursuivi les opérations de recherche et au total, on a dénombré 17 victimes, donc 15 corps sans vie et deux rescapés. Tous les corps repêchés ont été évacués, soit à l’hôpital de Ouakam, celui de Fann ou de Dalal Jamm, ou au Poste de santé de Yeumbeul.» Qui sont-ils ? «Ce sont des migrants a priori», a indiqué M. Samba Kandji, adjoint au maire de Ouakam. «La marine a demandé à la pirogue d’accoster et ils se sont enfuis», a expliqué l’adjoint au maire. La pirogue se serait renversée, mais était intacte après l’accident. Elle danse encore, à quelques mètres de la baie, sous le rythme des vagues. En plus des 15 corps, 3 autres ont été repêchés un peu plus tard, portant le bilan du drame à 18 décès hier dans la soirée. Durant toute la journée d’hier, les gendarmes, les pompiers et des pêcheurs de Ouakam étaient concentrés sur la recherche d’autres corps ou d’éventuels survivants. A bord de leurs vedettes, les pompiers ont multiplié les plongées sous-marines. Alors qu’un patrouilleur de la Marine nationale mouille à quelques mètres des lieux du drame. Sans un manifeste, il est difficile de connaître le nombre de personnes que contenait l’embarcation. «On nous a alertés dans la nuit. On a coupé notre sommeil pour venir en aide. La pirogue peut contenir plus de 50 migrants et ils étaient tous des jeunes», assure Gora Sène, gestionnaire du quai de pêche de Ouakam, qui a assisté à toutes les opérations. Mamadou Sarr, un autre pêcheur, ajoute : «En tout cas, l’embarcation ne vient pas de Ouakam. Elle n’a pas chaviré. Les gens ont sans doute paniqué parce que l’embarcation n’a pas été cassée. Le conducteur de la pirogue ne connaissait certainement pas la zone, au vu de la manœuvre effectuée. La plupart des victimes ne savaient pas nager.» Il a fait partie des premiers à voler au secours des naufragés.

Antoine Diome : «Les organisateurs seront vigoureusement traqués et punis…»
Sur la plage de ce quartier de la capitale, située en contrebas de la corniche, surplombée par des falaises, l’ambiance est lourde. Quelques badauds immortalisent, avec leurs smartphones, les scènes et le déroulement des opérations, suspendues à cause des fortes pluies qui ont arrosé la ville. L’un d’entre eux, Amdy Moustapha Sène, 23 ans, qui vit de commerce et de jardinage et rêve de devenir footballeur professionnel, confie : «Je rêvais d’aller en Europe parce que l’horizon est bouché ici. J’étais prêt à embarquer dans une pirogue, mais maintenant j’ai décidé d’émigrer par la voie légale quand l’opportunité se présentera. Je ne veux plus prendre une pirogue pour partir. Ça n’en vaut pas la peine», assure-t-il.

Sur les lieux du drame, le ministre Antoine Diome est accablé par cette nouvelle tragédie. Il a annoncé la traque des trafiquants de migrants. «Nous vous promettons que les organisateurs seront vigoureusement traqués et punis selon la loi. Je lance un appel aux jeunes que le voyage clandestin est dangereux
. Il y a même des femmes et des enfants dans les convois. Ceux qui veulent migrer, la voie est bien tracée. Rien ne vaut le sacrifice ultime pour tenter l’aventure. Personne ne viendra nous bâtir notre pays.»

Le chef de l’Etat Macky Sall a tweeté, sur le chemin de Saint Petersburg : «J’exprime ma profonde douleur suite au décès d’une quinzaine de Sénégalais dans le naufrage d’une pirogue au large de Dakar.»

Ces dernières semaines, le mouvement des pirogues vers les Canaries, archipel espagnol et porte d’entrée vers l’Europe dans l’océan Atlantique, a repris avec force. Et les drames se succèdent. Il y a deux semaines, une pirogue avait chaviré au niveau de l’embouchure à Saint-Louis faisant au moins quatorze morts. La semaine dernière, c’est le quartier Thiawlène à Rufisque qui a pleuré ses 8 jeunes naufragés. Il est prévu dans les prochaines heures, le rapatriement d’une cinquantaine de Sénégalais du Maroc qui ont été sauvés par les garde-côtes marocains. Comme chaque année, les étés sont meurtriers pour ces candidats à l’émigration qui rêvent d’un ailleurs meilleur.