Par Mohamed GUEYE –

Heureux comme notre Premier ministre, qui a l’occasion de voyager à travers l’Afrique et le monde, alors que le pays n’est pas encore sorti du quatrième sous-sol où lui-même avait témoigné que nous étions tombés. M. Ousmane Sonko a entrepris, en fin-mai, un périple ouest-africain, qui lui a permis de parcourir au moins trois pays, au sein desquels il a pu réassurer sa stature d’homme d’Etat. Faute de nous ramener des contrats financiers tangibles, il a permis à l’opinion ouest-africaine de mieux le connaître et de l’apprécier, à l’image de la majorité des Sénégalais qui ont porté son parti et ses dirigeants au pouvoir.
Une fois terminé, le Premier ministre a profité d’une invitation en Chine pour une rencontre économique, pompeusement dénommée «Forum de Davos d’été», et qui doit se dérouler à partir d’aujourd’hui dans la ville chinoise de Dalian, pour s’imposer préalablement dans une rencontre organisée par l’Apix à Hangzhou, pour attirer des investisseurs chinois. On ne pourra savoir qu’à la fin, au moment de faire le bilan, si le voyage a été fructueux, et cela, au nombre de contrats signés et rapportés, et de projets bouclés ou en voie de bouclage. En attendant, on peut constater que cette dernière sortie du chef du gouvernement nous vaudra bien de sacs d’arachide à écouler, ou, puisque nous sommes maintenant un émirat pétro-gazier en devenir, pas mal de barils de pétrole à placer.

Un tour à 115 millions
Le périple du Premier ministre, à bord d’un avion privé Falcon 8X, dernier né des jets privés de luxe sortis des usines Dassault. Bien qu’appartenant à la même compagnie qui lui a affrété l’aéronef qui l’a conduit en Afrique de l’Ouest, cet avion est plus moderne et plus confortable. C’était nécessaire pour couvrir le long voyage de Dakar à Hangzhou, en passant par Athènes, en Grèce, Aqtau au Kazakhstan et Changzhi. Un périple d’environ 16 heures, escales comprises. Mais cela valait-il de dépenser près de 115 millions de francs Cfa ?
Cette somme comprend la location de l’avion et de son équipage, ainsi que les frais d’escales et de handling. C’est sans doute aussi l’une des raisons pour lesquelles l’avion n’a pas été immobilisé durant le séjour du Premier ministre et de sa délégation, contrairement à celui qui l’a suivi de Dakar à Abidjan, ensuite à Bouaké, Conakry et Freetown, entre autres. Celui-là avait coûté près du double de son cadet. C’est vrai qu’il aurait été difficile d’utiliser l’avion présidentiel de commandement, étant donné que le titulaire attitré en a besoin dans l’intervalle. Mais pourquoi n’avoir pas pris des places dans des lignes commerciales ? Emirates ou Turkish Airlines, sollicitées à l’avance, auraient pu offrir des aéronefs avec cabines première classe, d’un confort si pas égal, mais au moins très approchant. On se rappelle qu’en novembre 2014, quelques mois après son arrivée au pouvoir, le Président Macky Sall avait voyagé sur un vol Dakar-Dubaï-Brisbane, pour prendre part au Sommet du G20 qui se tenait dans cette ville. Cela n’avait choqué aucun Sénégalais. D’autant plus qu’on peut parier que cela n’avait pas coûté tant d’argent au contribuable.

Cadeau d’un industriel sénégalais
Des voix s’élèvent pour déclarer que l’Etat du Sénégal n’a pas eu besoin de débourser le moindre yuan pour les voyages de Ousmane Sonko, aussi bien en Afrique de l’Ouest qu’en Chine. Il paraîtrait que ces aéronefs auraient été gracieusement mis à sa disposition par leur propriétaire, un industriel sénégalais de renom. Difficile à notre niveau, malgré nos efforts, de confirmer cette affirmation. Cela n’empêche pas que si elle était avérée, elle serait scandaleuse. On ne peut imaginer notre Premier ministre, co-concepteur du «Jub-Jubal-Jubanti», accepter sans brocher des cadeaux de ce type d’un businessman. A plus forte raison quand on sait que la personne en question a des contentieux en cours avec les services fiscaux et avec la Douane sénégalaise, qui lui reprocheraient des manœuvres frauduleuses dans la conduite de ses affaires. La même personne court également après l’Etat pour régulariser un titre foncier très important, qui lui avait été retiré par les pouvoirs publics, mais qu’il déclare important pour son exploitation.
Prendre des «dons» d’un tel personnage ne pourrait que susciter des interrogations sur d’éventuels conflits d’intérêts, ce qui est difficilement acceptable en ce moment. Et si ce n’est pas le cas, il reste à expliquer en ce moment, quand l’activité économique est au point mort, où l’Etat ne parvient pas à investir, comment le Premier ministre peut se permettre de dépenser près de 400 millions de francs Cfa pour louer deux avions privés pour ses tournées, au lieu de prendre, par exemple, un avion militaire, à défaut de vols réguliers.
A ces montants, il ne faudrait pas manquer d’ajouter les frais de mission des délégations qui l’accompagnent dans ses tournées. Même si les directives qu’il avait imposées dans sa note circulaire du 22 janvier 2025 étaient respectées, les frais de mission et autres perdiems des membres de ses délégations ne sont pas négligeables. Pour son voyage en Chine par exemple, les directives de la note circulaire prescrivent que chaque haut responsable de cabinet ministériel ou de la Primature perçoit 250 mille francs Cfa par jour, logement non compris. On imagine mal en effet que des membres du Cabinet du Premier ministre ne puissent être joignables à tout moment pour n’avoir pas été logés à proximité. Si l’on sait que chaque ministre se déplace aussi avec des membres de son cabinet, on peut penser que c’est une délégation pléthorique que l’Etat doit prendre en charge dans le pays de Xi Jinping.

Une Primature aussi frugale que l’Assemblée
Cette marque de modestie et de frugalité serait-elle le pendant de celle que l’on reproche ces jours-ci au président de l’Assemblée nationale ? La volonté de El Malick Ndiaye de doter ses honorables collègues de véhicules 4X4 de luxe est en train de créer une belle confusion, même dans les rangs de Pastef.
Il ressort que les véhicules ciblés devraient coûter la bagatelle de 8 milliards de francs Cfa pour leur acquisition. Le tollé a commencé d’abord par les reproches faits par certains concessionnaires sénégalais qui se plaignent d’avoir été mis à l’écart dans l’appel d’offres, qui aurait fait la part belle à des concurrents étrangers. Et voilà que l’on apprend que même lesdits concessionnaires étrangers ont dû passer par… un intermédiaire. Ce manque de transparence a été dénoncé, on l’a dit, même par un pur et dur défenseur de Pastef, le député Guy Marius Sagna. Ce dernier se plaint de ne pas avoir été consulté dans la décision d’acquérir ces véhicules, estimant que les priorités seraient ailleurs.
Il en a profité pour dénoncer d’autres formes de gaspillage auxquelles ses collègues de parti à l’Assemblée seraient en train de s’adonner. Cette affaire permet de rappeler que les responsables du parti au pouvoir, portés à des postes de responsabilité dans l’Administration ou des entreprises publiques ou parapubliques, n’ont jamais fait montre de modestie ou de retenue. L’un d’eux n’a pas eu de vergogne à avouer qu’il ne percevait «même pas 7 millions de francs Cfa», qu’il jugeait dérisoires. C’est vrai que ces gens ne s’étaient jamais engagés à vivre comme des moines ou des ermites.
Le problème est que, comme l’a révélé le dernier Rapport trimestriel d’exécution budgétaire pour le premier trimestre de cette année, l’Etat n’a consacré que 2, 4 milliards de francs Cfa de son budget à de l’investissement en infrastructures. Les députés et autres ministres auront donc, pour cette période, reçu plus de l’Etat que le commun des Sénégalais ? Si c’est à ce rythme que l’on va appliquer la transformation systémique de l’économie, combien de temps nous faudrait-il donc pour remettre ce pays sur les bons rails comme nous le promettait le leader de Pastef, lorsqu’il combattait les pillards de l’Apr, qui ont passé leur temps à ruiner ce pays ?
Cette situation nous rappelle que si Macky Sall et ses collaborateurs ont passé leur temps à piller ce pays, personne au Sénégal ne se plaignait autant, les quatorze premiers mois de son pouvoir. Il faut se rappeler que bien avant sa prise de fonctions, son prédécesseur Abdoulaye Wade lui avait promis qu’il ne pourrait pas payer les salaires, deux mois après son arrivée. Macky Sall est arrivé, s’est retroussé les manches et les fonctionnaires n’ont jamais ressenti le risque de retard de paiement. Ce prédateur qui a vendu le pétrole du pays avant que l’on ait pu prononcer le mot «P», a implanté ici l’Institut national du pétrole et du gaz, pour former les cadres sénégalais qui géreront cette ressource. Après 14 mois, il avait impulsé une véritable baisse des prix des denrées de première nécessité, ainsi que des loyers.
Maintenant que les choses étaient censées commencer à aller mieux, nous risquons de revivre bientôt les affres des délestages, et les couches vulnérables n’ont plus que la nostalgie des Bourses de sécurité familiale du temps de Macky, dont certains actuellement au pouvoir se moquaient à l’époque.
mgueye@lequotidien.sn