Depuis quelques années, les putschs, plus souvent les coups d’Etat militaires, sont revenus à la mode en Afrique de l’Ouest. Le Mali a inauguré le mouvement en 2012, avec le renversement du Président Amadou Toumani Touré en mars de cette année. A l’époque, les militaires dont le Capitaine Haya Sanogo, avaient mis en avant «l’incapacité du Président à gérer la crise au Nord» du pays. La rébellion touarègue, conduite par Mouvement national de libération de l’Azawad (Mnla), allié à des groupes islamistes, avait conquis le Nord du pays et fait de Kidal sa capitale.
Les militaires n’avaient pourtant pas pu stabiliser la situation sur le plan militaire et sécuritaire. Ce qui a conduit, quelque temps plus tard, à l’intervention de l’Armée française, à travers l’Opération Serval, pour éviter le déferlement vers Bamako et le Sud du pays, des troupes islamistes qui avaient fini de supplanter le Mnla et de conquérir quasiment tout le Nord du Mali.

Les militaires français avaient à ce moment-là été accueillis en libérateurs, au point que François Hollande, à son arrivée à Bamako, en février 2013, avait reçu un accueil triomphal inoubliable. Tous les Maliens se disaient fiers d’accueillir «le chef de guerre qui a libéré le Mali». On a vu comme les choses ont évolué quelque temps après… Mais ce n’est pas le sujet de cet article.

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Avec l’élection de Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), à la fin de la période de Transition, les militaires sont rentrés dans leurs casernes, tout en continuant de s’occuper au front, dans la guerre contre les terroristes dits islamistes. Et sept années après son arrivée au pouvoir, IBK a subi à son tour le même sort que ATT dont il avait été le Premier ministre. Le Mali entrait dans une transition chaotique, rythmée par un bras de fer avec les organisations sous-régionales comme la Cedeao et l’Uemoa, qui lui ont imposé un embargo qui s’est révélé infructueux et totalement impopulaire dans toute la sous-région. Bien au contraire, les putschistes maliens, dans leur volonté de résister à l’hostilité de la France comme des dirigeants de la sous-région, se sont tournés vers la Russie et surtout, la milice Wagner dirigée par Evgueny Prigojine.

L’incapacité de la Cedeao à faire céder Assimi Goïta et ses camarades, a donné des idées aux militaires Burkinabè, qui ont à leur tour renversé Roch Marc Christian Kaboré, qui venait à peine d’entamer un second mandat après une Présidentielle qu’il avait remportée haut la main dès le premier tour. Le 23 janvier 2023, le Lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba prenait le pouvoir, sous le prétexte de donner enfin à l’Armée les moyens de lutter plus efficacement contre l’insécurité que faisaient régner les mouvements rebelles qui sévissaient sur une très grande partie du territoire national. Ironie de l’histoire, le tombeur de Kaboré se fera renverser lui aussi 8 mois plus tard par un jeune capitaine, Ibrahim Traoré, qui avancera lui aussi le même motif de lutte plus efficace contre l’insécurité islamiste. Encouragé par l’évolution des choses au Mali, il penche également de manière prononcée vers une alliance avec la Russie et le mouvement Wagner.

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Mieux encore, nostalgique d’une époque qu’il n’a pas connue, Traoré prend pour référence le Capitaine Thomas Sankara dont il veut faire son modèle, et qu’il imite même dans le port de la tenue militaire. A l’heure actuelle, vu qu’il n’a pas encore accompli de progrès dans les objectifs qu’il s’était fixés en arrivant au pouvoir, ni réduit l’influence des forces islamistes sur le territoire burkinabè, on ne peut que lui souhaiter de ne pas être victime d’une quelconque «rectification» de la part de ses acolytes, comme feu son modèle.

Car entretemps, la fièvre des coups d’Etat militaires s’était étendue en Guinée Conakry, où le Président Alpha Condé, réélu quelques mois auparavant pour un 3ème mandat présidentiel, sur fond de contestation violente, se faisait renverser par les troupes-mêmes qui lui avaient servi à mater toute manifestation contre sa volonté de rester au pouvoir. Les foules et associations qui avaient accueilli ce changement de pouvoir par la force et salué l’action de l’ancien Caporal de la Légion étrangère française dont Alpha Condé avait fait un Colonel, Mamady Doumbouya, en faisant semblant d’oublier son passé, le critiquent amèrement aujourd’hui.
Si les militaires qui ont pris le pouvoir dans tous ces pays ont avancé le motif de rétablir la sécurité et mettre fin à la gabegie et à l’impunité, on ne peut que constater l’inanité de leurs actions dans tous ces pays. Cela n’a pas empêché leurs homologues nigériens, sous la direction du Général Abdourahmane Tiani, de refaire le coup de ses proches voisins, en reprenant le même narratif. Une manière de dire que la nouvelle vague des pronunciamientos n’est pas différente de ce que les pays africains avaient connu entre les années 1960 et la fin des années 1990. C’est juste comme disait le regretté Fela Kuti, «soldier go soldier come» (un militaire, un autre le remplace). La seule différence avec ce qui se passe actuellement est que les Africains ont pris pour prétexte de mettre tous les maux de leurs pays sur le dos de la France, ou de la Françafrique. Ce qui, pour beaucoup, revient au même.

Un écrivain camerounais, Arol Ketchiemen, vient de publier un livre intitulé Les coups d’Etat salvateurs en Afrique. Même en remontant au tout premier putsch, celui contre Patrice Lumumba, le 5 septembre 1960 au Congo Kinshasa, perpétré par le Colonel Mobutu, on trouvera difficilement un coup d’Etat qui a eu un effet bénéfique. Jerry J. Rawlings, au Ghana, a dû s’y prendre à deux reprises pour faire changer l’ordre constitutionnel dans son pays. Son premier coup d’Etat aurait pu avoir un effet salvateur. Il s’est évertué à éliminer l’ancienne oligarchie militaire dominante de son pays, pour laisser le pouvoir à un civil en moins d’une année. Sept mois plus tard, il est revenu pour chasser le civil Hilla Liman, qu’il a aidé à élire, et s’installer pour 20 ans. Il a promis néanmoins une chose en 1980 : «Nous allons mettre en place des institutions si fortes que même si le diable en personne arrivait au pouvoir, il lui serait impossible de faire ce qu’il veut.»

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Malheureusement, dans les parties francophones de l’Afrique, les dirigeants rechignent encore à renforcer les institutions et à les rendre plus fortes que les personnes au pouvoir. Cela a fait que même dans un pays aussi démocratique que le Sénégal, l’attention a été focalisée pendant plus de 5 ans sur la possibilité ou non, pour le Président sortant, de pouvoir se représenter pour un mandat supplémentaire de 5 ans. Alors que le pays aurait dû en arriver à un point où des questions de ce genre ne devraient même pas être une préoccupation. Cela permet de comprendre pourquoi, dans d’autres pays aux institutions bien plus fragiles que celles du Sénégal, les coups d’Etat succéderont encore aux coups d’Etat, sans que le quotidien des populations ne change. Ce qui fera que chaque nouveau venu se fera applaudir, et son prédécesseur honnir par tous. D’où l’inutilité pour la Cedeao, de vouloir changer les choses par la force des armes.

Par Mohamed GUEYE / mgueye@lequotidien.sn