Monsieur le Président, je demande la parole !
Merci de me l’avoir donnée !
Mes chers concitoyens sénégalais,
Depuis le début de cette semaine, un débat sensible et triste balaie le pays à travers les réseaux sociaux et la presse nationale. Il s’agit du décès par négligence, par indifférence, par incivisme et par inconscience professionnelle, d’une femme qui voulait donner la vie et qui finalement a perdu la vie. Prions pour le repos de son âme ! Qu’Allah, dans sa Miséricorde, l’accueille au paradis céleste. Cette mort d’une femme qui voulait donner la vie, a choqué tout le Sénégal. Car celle qui donne la vie ne doit pas mourir, surtout dans les instants où elle veut donner vie. Et surtout, ne me dites pas que «ndogallù Yalla la» !
Non, je ne serais pas d’avis. Cette mort fait part des morts évitables et qui sont arrivées par négligence notoire, par incivisme professionnel, bref par un système sanitaire inadapté, inefficace, et souvent basé sur la corruption, le copinage et l’insouciance. Oui, tout cela qui vient s’ajouter aux difficiles conditions de travail avec un plateau médical pas toujours aux normes et aussi très inéquitablement réparti au niveau national.
Le décès de cette femme est venu s’ajouter à des situations et cas similaires où, dans l’anonymat, beaucoup de femmes ont perdu la vie dans les couloirs des services de santé, ou encore d’autres malades évacués en urgence, sans être soigneusement pris en charge par un personnel médical, débordé, sans moyens réels et souvent mal payé. On ne le dira pas assez, ce qui se passe dans les services de santé, notamment en urgence et en maternité, est tout de même regrettable et inadmissible.
Il est fréquent de voir, en services d’urgence, un malade à même le sol, ou sur un brancard ; ou une femme en travail d’accouchement, à qui on demande une prise en charge avant de pouvoir bénéficier des premiers soins. Ce scénario est bien fréquent dans nos services de santé. Je ne reviens pas sur l’accueil, où on rencontre une insolence, un manque de respect avec des préposés à la sécurité qui se considèrent comme faisant partie du corps médical, en plus de tous les «courtiers» qui rodent aux alentours de l’accueil. Le système est malade, et profondément malade.
Un système où le malade doit tout payer pour se soigner. Même pour se faire prendre sa température, c’est le malade hospitalisé qui doit acheter son thermomètre. Pour se faire une injection ou une perfusion, c’est à lui de tout acheter, y compris les seringues. Même du coton ou de la bande, de l’alcool pour faire un pansement, c’est le malade qui doit aussi acheter. Monsieur le ministre, avez-vous dit au Président que les gardes de nuit se font souvent sans un médecin dans certaines structures de santé ? Ou bien ne le saviez-vous pas ? Monsieur le Président, vous a-t-on dit que des médecins donnent rendez-vous dans des cliniques privées à des patients dont la consultation n’a pas été faite parce que ce médecin n’était pas là ? Que dire de tout ce qui se passe dans les salles d’accouchement ?
Monsieur le Président, avez-vous une fois entendu un de vos ministres ou un membre de leurs familles se plaindre des conditions d’accueil dans nos hôpitaux ? La réponse coule de source ! C’est non, car ces privilégiés ne fréquent jamais ces structures sanitaires ! Ils sont soignés en Europe ou aux Usa, où ils sont évacués à chaque fois que c’est nécessaire. C’est cela le système sanitaire de notre cher pays. Le diagnostic populaire est largement fait cette semaine par les populations de tous bords, suite au décès de la regrettée Aïssatou Sokhna qui, semble-t-il, avait déjà perdu un enfant dans le même hôpital. Monsieur le Président, qui sera le médecin qui va assurer le traitement de ce mal qui gangrène notre système sanitaire ? C’est ici qu’on a même vu des situations où on a confisqué un nouveau-né pour exiger de la maman le paiement de la note, ou encore une séquestration de la femme qui a accouché pour que la famille règle la note ! Horrible ! Dans quel monde sommes-nous ? Qui ose faire un tel acte dans un pays du Nord ? En ce qui me concerne, je sais que je peux en dire plus, car depuis des années, je fréquente des services de santé pour le traitement d’une personne de ma famille qui vit avec une grave maladie chronique et je vois comment elle est traitée souvent, malgré sa santé très fragile. Mais, ce n’est pas le seul secteur qui est malade ; ce malaise est aussi perceptible dans une bonne partie des secteurs publics de l’Administration, où les citoyens sont souvent humiliés, désabusés, ignorés ou traités comme des moins-que-rien par des agents qui sont pourtant payés par l’argent de ces contribuables. C’est le cas quand les populations cherchent des papiers administratifs dans les bureaux. De même dans les transports en commun où des privés ne se soucient que de leurs intérêts et laissent les voyageurs s’entasser dans des véhicules qui ont été amortis depuis plus de 50 ans et dont la validité technique est douteuse, mais pourtant reconnus aptes par des services de contrôle technique. Combien de fois a-t-on vu des cars de transport surchargés de bagages avec des voyageurs à l’intérieur, des cars donc qui dépassent des agents de la sécurité qui ferment les yeux sur les risques encourus par ce chauffeur sur des centaines de kilomètres de voyage ? Combien de fois voit-on des cars avec des passagers sur les marchepieds alors qu’il a été décidé de ne plus tolérer cela ? Mais en même temps, il est fréquent de voir des transporteurs se lever un beau matin pour augmenter le prix du transport interurbain, sans que le citoyen n’ait aucune possibilité de refuser car personne ne le défend. L’Etat est comme absent dans de pareils cas ou alors ses agents sont complices ? C’est seulement au Sénégal qu’on voit des moyens de transport appelés «clandos» et qui deviennent plus nombreux que les légaux, avec une arrogance indescriptible. Quel est le service public de l’Etat qui s’en occupe pour que le consommateur, le citoyen ne soit pas exposé à des risques, sans assurance ni couverture médicale ?
Dans le secteur de l’enseignement, l’école publique est en train de perdre toute sa substance car, comme la santé, elle se privatise de plus en plus. Dans les services de l’administration publique (y compris dans les commissariats), la situation n’est pas meilleure, car ici aussi les citoyens sont mal accueillis ; non pas avec un sourire qui sécurise et met en confiance, mais plutôt par une insulte à la bouche ou une engueulade, si ce n’est une demande de graisser la patte pour avoir satisfaction. Les citoyens ont toujours la peur au ventre en entrant dans un commissariat ou en rencontrant un agent de sécurité dans la circulation, alors que c’est là ou avec lui qu’ils devraient être plus en sécurité. De nombreux exemples peuvent être cités ; et beaucoup de cas se produisent où le citoyen est vraiment victime de violence morale ou psychologique ou physique, sans pouvoir se plaindre auprès d’une quelconque autorité. Lorsque des citoyens sont arrêtés pour une marche qui est un droit constitutionnel et se font déporter par des agents de police hors de Dakar, nuitamment, dans une zone d’autoroute sans lumière ; qui est là pour dire non et sanctionner cette violation honteuse des droits humains ?
A qui s’adresser pour demander réparation ? Au ministre de l’Intérieur ? Ou de la Justice, garde des Sceaux ? Au médiateur de la République ? Ou encore au procureur ? Il faut rappeler que nos ministres sont, pour la plupart, inaccessibles aux citoyens ordinaires, sauf s’ils sont des militants du parti ou de la mouvance au pouvoir. Et sans doute, cela, Monsieur le Président, vos ministres ne vous le disent pas. Pour les autres services cités en haut, les courriers à leur déposer peuvent avoir une longue procédure, s’ils ne sont pas classés sans suite. C’est donc dire qu’à tous les niveaux, le citoyen sénégalais est laissé à lui-même face aux chargés des services publics, qui n’ont aucun respect pour lui, aucun égard, aucune attention. Tout se passe comme si le service public pour lequel ils sont payés n’était pas un devoir républicain pour lequel ils se sont engagés comme fonctionnaires, et pour certains sous serment. Il s’agit alors globalement de défaillances dans les services publics de l’Etat qui ne donnent pas du tout satisfaction aux populations, consommateurs, citoyens. Et ce malaise est profond et a atteint un certain niveau depuis les années 2000. Il urge de refonder les services publics au Sénégal et réconcilier le citoyen avec l’Etat en tant qu’Institution sacrée !
Mais Monsieur le Président, refonder les services publics va aussi avec la nécessité de revoir la question des privatisations de services sociaux de base ; revoir aussi la multiplication des agences qui apparaissent, pour certaines parmi elles comme des doublons de certains services ministériels qui se voient vidés de leurs substances au profit de certains privilégiés qui sont affectés dans ces agences, avec beaucoup d’avantages que les agents des ministères n’ont pas.
Monsieur le Président, en demandant la parole, en simple citoyen, c’est aussi et surtout pour vous dire qu’en réalité, c’est le service public sénégalais qui est malade et cela se voit au quotidien dans les secteurs les plus fréquentés comme la santé, l’éducation, la mobilité et le transport, l’administration générale, etc. La maladie de notre service public est profonde et ressemble même à un cancer généralisé. Je sais que vous avez pris beaucoup d’initiatives pour y remédier. Les rencontres avec les grands responsables de l’Etat, les séminaires pour moderniser la gestion, la digitalisation de certains guichets, etc ; mais malgré tout, il y a encore et encore beaucoup de résistance dans les rangs, ce qui fait que les changements attendus ne sont pas encore arrivés. Comme diraient mes frères Burkinabè, ce n’est pas arrivé ! Le médecin qui doit régler ce problème, doit vite s’armer de courage, de volonté, d’engagement et se mettre en blouse avec son arsenal d’outils pour entrer en salle d’opération et procéder à une intervention délicate sur ce malade, afin de le guérir et guérir un peuple. Je ne voudrais prétendre détenir des solutions magiques ; mais il me semble que parmi les solutions, il y a entre autres, la nécessité de faire le point sur les agents de santé et médecins recrutés dans la Fonction publique, pour savoir exactement combien nous en avons ; qui sont-ils ? Qui est spécialiste de quoi ? Combien de sages-femmes et/ou infirmiers avons-nous ? Où sont-elles/ils en fonction ? Combien de gynécos avons-nous ? Quelles sont les zones prioritaires à pourvoir en médecins ? Combien devrions-nous former dans nos facultés et écoles de santé pour combler les gaps ? Comment encourager les agents à aller dans les régions, et s’il le faut avec des avantages et des primes incitatifs ? Il nous faut mieux entretenir les appareils dans les services de santé ? (Radio, scanner, etc.). Il est fréquent d’entendre que la machine est en panne, mais on peut vous indiquer un cabinet où vous pouvez aller le faire !
Il faut évaluer sans complaisance les options de sécurité sociale et de couverture sanitaire pour en faire une obligation, avec une base de solidarité où certains vont aussi cotiser pour les plus vulnérables par un mécanisme de compensation. Ces mesures peuvent aussi être élargies au secteur de l’éducation, comme à tous les autres secteurs.
Dans la police, on pourrait sans doute renforcer les modules de formation sur les droits humains et si possible, impliquer des organisations des droits de l’Homme dans ce processus. Le service de Prévôt existe-t-il encore ? Il serait bon de le renforcer au cas où il est encore là. Est-il possible d’envisager des corps de contrôle mixtes avec des organisations citoyennes à côté des services dédiés de l’Etat pour un meilleur suivi des dérapages et excès qui ne manquent pas souvent dans les services publics ? Il urge de renforcer les services et corps de lutte contre la corruption, la concussion, le détournement et le conflit d’intérêt. Monsieur le Président, toutes les infrastructures qui se réalisent dans votre programme et qui sont à saluer, ne seront utiles que quand on en fait bon usage et que leur utilisation se fasse dans un esprit citoyen, patriotique et de conscience professionnelle. Alors, mon temps de parole est sans doute épuisé depuis longtemps, Monsieur le Président ; je vais donc m’en arrêter là, même si j’avais encore des choses à dire. Je vais laisser les autres dire ce qu’ils pensent et aussi faire des propositions pour qu’ensemble, nous puissions trouver des solutions au malaise dans nos services publics.
Merci encore une fois de m’avoir donné la parole M. le Président
Merci aussi aux concitoyens et au Peuple sénégalais de m’avoir écouté.
Citoyen Mamadou DIOUF MIGNANE
Coordonnateur du Forum social sénégalais
midiouf@yahoo.fr
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