L’Etat est une entité juridique primaire qui ne doit son existence qu’à lui-même ; il dispose d’une compétence de sa compétence. Les autres personnes morales de droit public n’existent que par sa volonté et dans le cadre fixé par lui#.
Aussi, l’Etat a-t-il créé diverses personnes morales de droit public, appelées organismes publics (établissements publics, agences d’exécution, structures administratives similaires, etc.) et des personnes morales de droit privé, ayant le statut de sociétés commerciales dont il détient majoritairement le capital (sociétés nationales et sociétés anonymes à participation publique majoritaire), à qui il a délégué une partie de ses attributions pour prendre en charge certaines missions spécifiques de service public.
Ces structures administratives, qui ont la particularité d’être dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière et de gestion, relèvent de la décentralisation technique. Cette technique de répartition du pouvoir consiste à détacher un service ou un ensemble de services spécialisés qui seront assumés par un organisme public spécialisé#. On dit que ces entités spécialisées constituent des autorités administratives dé­cen­tralisées.
Mais la décentralisation technique conduit à multiplier les foyers de décision administrative ; ce qui entraîne un risque de dispersion, de désordre et de manque de coordination des interventions publiques.
Ainsi, en contrepartie de la personnalité morale et de l’autonomie de gestion des entités décentralisées, le législateur a instauré un contrôle tutelle de l’Etat sur ces structures. Elles sont souvent placées sous la tutelle d’une structure de l’Administration centrale de l’Etat (présidence de la République, Secrétariat général du gouvernement ou département ministériel).
Le droit sénégalais n’a pas procédé à une définition de la notion de tutelle. Mais on admet qu’il s’agit du pouvoir dont dispose l’Etat de contrôler et d’orienter la mise en œuvre d’une politique publique dans le secteur où évolue la structure administrative sous tutelle, en vue de la réalisation de missions d’intérêt public#.
Il faut établir un départ conceptuel entre la notion de tutelle et celle de rattachement institutionnel, même si la terminologie réglementaire est souvent très fluctuante. Le rattachement institutionnel est le lien organique qui unit une personne publique à un organisme public. Le rattachement est organique alors que la tutelle est fonctionnelle.
Traditionnellement, les autorités administratives indépendantes, compte tenu de leur indépendance, sont simplement rattachées à des services de l’Etat, en raison de leur dépendance budgétaire à l’égard de l’appareil étatique. Mais l’autorité de rattachement n’exerce pas véritablement un pouvoir de contrôle sur le fonctionnement des autorités administratives indépendantes qui ont pour l’essentiel une mission de régulation.
Mais dans la pratique administrative, le sens et la portée du pouvoir de tutelle de l’Etat ne sont toujours bien appréhendés. Cette situation préoccupante se traduit souvent par un faible contrôle de l’Etat sur les structures sous tutelle ou par des immixtions incessantes de l’appareil étatique dans la gestion de ces entités, à l’origine de relations pas toujours courtoises entre la tutelle et les autorités décentralisées, préjudiciables à la performance et à l’efficacité de l’action publique.
Quoi qu’il en soit, la tutelle constitue un pouvoir de contrôle limité de l’Etat sur les structures autonomes dont l’étendue ne doit pas être exagérée.
La tutelle : un pouvoir de contrôle limité de l’Etat sur les structures autonomes
En premier lieu, la tutelle n’existe pas sans texte. Selon l’adage, «pas de tutelle sans texte, pas de tutelle au-delà du texte». Un texte spécial, d’interprétation stricte, doit donc attribuer expressément le pouvoir de tutelle à l’Etat et en fixer les modalités d’exercice. Il n’y a pas, au profit de l’Etat une compétence générale de tutelle sur les personnes décentralisées#. C’est ainsi que plusieurs textes spéciaux ont institué un pouvoir de tutelle de l’Etat sur les organismes du secteur parapublic1, les établissements publics, les agences d’exécution2 et les structures administratives similaires (délégations générales, fonds, offices, etc.).
Sous ce rapport, le pouvoir de tutelle se distingue du pouvoir hiérarchique#, institué en contrepoids de la déconcentration. D’après la circulaire n° 02421 PM/SGG/BSC/SP du 12 août 2013 rela­tive à la tutelle des départements ministériels sur les structures autonomes de l’Etat, le pouvoir hiérarchique est l’ensemble des prérogatives dont dispose une autorité sur ses subordonnés, dans le respect de la légalité, pour imposer sa volonté. Le pouvoir hiérarchique existe de droit. Son fondement réside dans les responsabilités particulières dont sont investies les autorités supérieures de l’Etat #.
Alors que le pouvoir hiérarchique s’exerce au sein d’une même personne publique, la tutelle est exercée de l’extérieur par l’Etat à l’égard de l’activité d’une autre personne publique. Ainsi, les structures placées sous tutelle n’appartiennent pas aux services de l’organe de tutelle, mais constituent des entités autonomes.
En second lieu, le contrôle de tutelle constitue un contrôle assoupli. A titre d’exemple, il résulte de l’article 29 de la loi n°90-07 du 26 juin 1990 relative à l’organisation et au contrôle des entreprises du secteur parapublic et au contrôle des personnes morales de droit privé bénéficiant du concours financier de la puissance publique que les entreprises du secteur parapublic sont dispensées de tout contrôle a priori#. Elles ne ressortent désormais que d’un régime de contrôle a posteriori, plus souple et plus efficace. L’objectif est d’une part, de responsabiliser les entités sous tutelle et d’autre part d’améliorer la qualité de leur gestion.
En outre, les délibérations des conseils d’administration des entreprises du secteur parapublic autres que celles tendant à attribuer des primes ou gratifications annuelles au personnel3, sont exécutoires de plein droit dès leur insertion dans les registres de délibérations de l’établissement.
En réalité, les structures administratives sous tutelle sont placées sous le contrôle a posteriori de l’autorité assurant sa tutelle technique dans les conditions fixées par les lois et règlements en vigueur4.
II. L’étendue des pouvoirs de contrôle de l’Etat sur les structures sous tutelle
Le mécanisme de la tutelle confère un certain nombre de prérogatives aux autorités centrales sur les structures sous tutelle.
L’autorité de tutelle est responsable de la mise en œuvre de la politique définie par le président de la République dans l’ensemble des structures placées sous sa tutelle. La circulaire n° 107 du 25 octobre 1972 relative au pouvoir de tutelle et à la subordination hiérarchique énonce que le but de la tutelle est «d’une part d’éviter les abus qui peuvent naître de l’autonomie et d’autre part de veiller à ce que les établissements ne s’écartent pas de la politique définie par le gouvernement».
L’autorité de tutelle doit avoir un rôle de conseil et de veille en prenant soin de répercuter les orientations de la politique du gouvernement dans le secteur d’activité des entités placées sous tutelle et assurer le portage politique de leurs projets. Il s’agit d’assurer l’unité et la cohérence de l’action publique.
De leur côté, les responsables des organismes et sociétés décentralisés doivent tenir les autorités de tutelle informées de leur activité, de leurs résultats, des difficultés auxquelles ils sont confrontés#.
Il y a deux formes de tutelle. La tutelle technique, encore appelée «tutelle administrative»#, s’assure de la conformité des résolutions des conseils d’administration aux lois et règlements en vigueur ainsi qu’aux orientations des politiques sectorielles (culture, télécommunications, agriculture, etc.). Elle est exercée par le ministre auquel la structure est administrativement ou techniquement rattachée#.
La circulaire n° 16 PM/JUR du 25 février 1980 relative à la tutelle des départements ministériels sur les organismes du secteur parapublic précise que chaque département ministériel doit, par l’intermédiaire des corps d’inspection ou de contrôle dont il dispose, ainsi que par ses représentants au conseil d’administration de l’organisme sous tutelle, s’assurer que l’organisme décentralisé remplit correctement la mission pour laquelle il a été créé. Il contrôle la régularité des activités de l’organisme concerné et vérifie la conformité de ses opérations avec l’ensemble des lois et règlements en vigueur. L’autorité de tutelle assure la cohérence entre l’action de l’établissement ou de la société sous tutelle et les orientations et objectifs gouvernementaux.
Dans le cadre de la gouvernance des agences d’exécution, l’article 4 du décret n° 2009-522 du 04 juin 2009 portant organisation et fonctionnement des agences d’exécution énonce que la tutelle technique s’applique sur les missions assignées et sur les résultats obtenus au regard des objectifs définis dans le contrat de performance#.
Ainsi, au titre du pouvoir de tutelle, les procès-verbaux des réunions du conseil d’administration des sociétés publiques signés doivent être transmis aux ministres de tutelle dans les quinze jours qui suivent la séance de même que les délibérations du conseil d’administration#.
Dans le secteur parapublic, la circulaire n° 18 PM/SGG EC2 du 07 mars 1980 relative à la coordination des activités du secteur parapublic avait prévu une instance qui semble être presque tombée en désuétude : la réunion de coordination avec les autorités sous tutelle. Cette réunion a pour objectif de diffuser et de commenter les décisions gouvernementales concernant le secteur parapublic, de contrôler l’application des directives du président de la République et d’aider les chefs des structures sous tutelle à résoudre les difficultés que rencontrent leurs structures dans l’accomplissement de leur mission.
Par souci d’efficacité de l’action administrative, la tenue de ces réunions de coordination devrait être étendue à tous les organismes et sociétés autonomes.
Quant à la tutelle financière, elle s’assure de la conformité de l’activité de la structure sous tutelle à la politique financière et budgétaire du gouvernement. Cette tutelle est exercée par le ministre chargé des Finances.
Mais il ne faut pas exagérer la portée du pouvoir de tutelle exercé par les autorités publiques sur les organismes sous tutelle. L’autorité de tutelle ne peut s’immiscer dans la gestion quotidienne de l’entité placée sous tutelle#. Dans le même sens, la circulaire n° 02421 PM/SGG/BSC/SP du 12 août 2013 susvisée précise que l’autorité de tutelle ne dispose pas du pouvoir d’adresser directement des instructions aux responsables des entités sous tutelle qui ne relèvent pas de son pouvoir hiérarchique.
La circulaire n° 16/ PM/JUR du 25 février 1980 précitée énonce que l’autorité de tutelle ne peut se substituer à l’autorité sous tutelle qu’en cas de défaillance de celle-ci, et si un texte l’y autorise#. Elle veille à ne pas entraver le fonctionnement de la structure décentralisée par des contrôles ou des formalités inutiles ou incessants.
Toutefois, l’Etat étant responsable de la correcte mise en œuvre de la politique publique confiée à la structure sous tutelle, des directives de l’autorité de tutelle sur les grandes orientations de cette politique sont possibles et même souhaitables.
En définitive, la tutelle exercée par l’Etat central sur les structures administratives décentralisées, si elle est bien appréhendée, constitue un puissant instrument de contrôle de la mise en œuvre de la politique gouvernementale indispensable à l’atteinte des objectifs de développement économique et social.
Papa Assane TOURE
Magistrat
Docteur en Droit
Secrétaire général adjoint du Gouvernement
chargé des Affaires juridiques
1 J. MORAND-DEVILLER, Droit administratif, Paris, LGDJ Lextenso, 2015, p. 97.
2 A. BOCKEL, Droit administratif, p. 247 ; D. SY, Droit administratif, Dakar, l’Harmattan, 2eme édition, 2014, p. 172.
3 V. la circulaire n° 02421 PM/SGG/BSC/SP du 12 août 2013 relative à la tutelle des départements ministériels sur les structures autonomes de l’Etat.
4 A. BOCKEL, Droit administratif, Dakar-Abidjan, NEA, LGDJ, 1978, p. 254-255.
5 V. art. 28 de la loi n°90-07 du 26 juin 1990 relative à l’organisation et au contrôle des entreprises du secteur parapublic et au contrôle des personnes morales de droit privé bénéficiant du concours financier de la puissance publique.
6 V. art. 4 du décret n° 2009-522 du 04 juin 2009 portant organisation et fonctionnement des agences d’exécution.
7 G. RIVERO, « Remarques à propos du pouvoir hiérarchique », AJDA, 1966, p. 154.
8 A. BOCKEL, Droit administratif, Dakar-Abidjan, NEA, LGDJ, 1978, p. 254.
9 V. art. 25 de la loi n°97-13 du 26 mai 1997 portant création des établissements publics à caractère scientifique et technologique et fixant leurs règles d’organisation et de fonctionnement.
10 Ces délibérations sont approuvées par le Président de la République.
11 V. art. 23 du décret n° 2009-522 du 4 juin 2009 portant organisation et fonctionnement des agences d’exécution.
12 V. la circulaire n° 16/ PM/JUR du 25 février 1980 relative à la tutelle des départements ministériels sur les organismes du secteur parapublic ; également, la circulaire n° 43 PM/SGG/CP du 07 juillet 1982 relative à la tutelle des départements ministériels sur les organismes du secteur parapublic.
13 R. MASPETIOL et P. LAROQUE, « La tutelle administrative », S., 1930.
14 M. GUERIN, « Quelques aspects de la tutelle administrative », AJDA, 1956, p. 25 ; L. RICHER, « La notion de tutelle sur les personnes en droit administratif », RDP, 1979, p. 971-1008.
15 Dans le même sens, la circulaire n° 039 PM/SGG/SGA/end du 14 septembre 2015 relative au rappel des dispositions de l’article 9 du décret n° 2009-522 du 04 juin 2009 portant organisation et fonctionnement des agences d’exécution.
16 V. art. 10 de la n°90-07 du 26 juin 1990 précitée et l’art. 12, alinéa 3 du n° 2009-522 du 04 juin 2009 portant organisation et fonctionnement des agences d’exécution.
17 P. LARREGLE, Le principe de non-immixtion de l’Administration dans la gestion des entreprises Thèse, Bordeaux I, 1973.
18 C.-H. VIGNES, « Le pouvoir de substitution », RDP 1960, p. 753.