Le maire de Dakar pense que le procureur dont le souhait est de dormir tranquillement au sortir de chaque audience a quelque chose à se reprocher. Une accusation balayée d’un revers de la main par Bassirou Guèye qui n’a pas manqué de l’accuser d’avoir détourné l’argent de la population.

Après l’interrogatoire au fond par le juge Lamotte des prévenus avant-hier, Khalifa Sall et ses coprévenus se sont prêtés hier aux questions des avocats de l’Etat et du procureur de la République, qui tenaient à être éclairés sur les déclarations faites par certains prévenus et sur la nature des fonds politiques.

Polémique sur
l’existence des fonds politiques
C’est le procureur Serigne Bassirou Guèye qui a ouvert l’interrogatoire en commençant par Khalifa Sall à qui il a demandé de préciser la nature de ces fonds. «Vous parlez de fonds politiques alors que vos collaborateurs disent qu’ils n’existent pas», a-t-il demandé. La réponse du maire de Dakar ne s’est pas fait attendre. «L’existence des fonds politiques est indéniable», a-t-il martelé. Ce que Bassirou Guèye conteste. «Ce n’est pas indéniable et je le nie», a-t-il soutenu avant de demander au maire de Dakar d’éclairer la lanterne du Tribunal par rapport à la divergence qu’il y a sur la question. «Je ne vais pas critiquer tout le travail que vous avez fait durant ces 11 mois, mais si vous le procureur et le juge d’instruction aviez accepté qu’une expertise soit faite, on n’aurait jamais eu ce problème. Toutes les autorités politiques de ce pays avec un grand T connaissent l’existence des fonds politiques», a rétorqué l’édile de Dakar.
Serigne Bassirou Guèye était loin d’en finir avec Khalifa Sall. Il enchaîne avec une autre question gênante relative à l’origine de la divergence des propos entre le Directeur administratif et financier (Daf) de la mairie, Mbaye Touré, et l’ancien percepteur municipal de Dakar, Mamadou Oumar Bocoum. «Est-ce que tous tes collaborateurs savaient la destination des fonds ?», a-t-il demandé. Mais ayant refusé la veille d’arbitrer entre Mbaye Touré et Mamadou Oumar Bocoum, le maire s’est voulu plus clair en mettant tout à son compte. «Les fonds politiques sont mis à la disposition du maire et la manière dont ils sont utilisés dépend du maire. Ce n’est pas à eux de savoir leur destination. Ils sont impliqués dans l’administration, mais c’est moi qui en fait la distribution», a-t-il tranché sans léser aucun de ses deux collaborateurs.

«Le principe, c’est qu’on ne justifie pas les fonds politiques»
D’ailleurs à en croire le maire de Dakar, ces fonds sont destinés à des personnes bien connues. Et chaque maire, dit-il plus loin, a son cahier et sait à qui il a donné ces fonds. «Le principe, c’est qu’on ne les justifie pas. De 1960 à nos jours, aucun maire n’a justifié», a-t-il précisé. Mais le procureur revient de plus belle à l’attaque. «Vous dites que vous ne visez que les mandats, pourquoi vous ne visez pas l’argent», lui a-t-il demandé. En réponse Khalifa Sall argue que c’est un mécanisme mis en place et accepté par l’Etat. Cela, souligne-t-il, a changé depuis 1996. Insatisfait de cette réponse, le procureur de demander à Khalifa Sall pourquoi il n’a pas changé cette manière de faire quand il est arrivé à la mairie. «Il faut le demander à l’Etat», a-t-il répondu. «Je vais répondre puisque l’Etat n’est pas là. Vous savez, on vous poursuit et je vous interroge pour être bien éclairé pour que quand je rentre le soir je puisse dormir tranquillement comme les autres jours», a signifié le maître des poursuites au maire. Après cette précision, Khalifa a très vite lu les pensées de Bassirou Guèye. «Si vous le dites, c’est parce que vous avez quelque chose à vous reprocher», lui a-t-il retourné.

«Je n’ai pas détourné les fonds destinés à la population»
«Je n’ai pas quelque chose à me reprocher, c’est vous qui avez quelque chose à vous reprocher. Je n’ai pas détourné les fonds destinés à la population», lui fait remarquer le procureur de la République. «Je n’ai rien détourné», conteste vivement Khalifa pour qui Me Ismaïla Konaté est venu à la rescousse. «Vous n’avez pas le droit de l’accuser», a dit sur un ton ferme l’avocat du barreau du Mali. Interpellée par le juge qui tente de calmer les ardeurs des uns et des autres, la robe noire exprime toute son amertume. «Je suis choqué c’est pourquoi je suis dans cet état. Le procureur n’a pas à dire que Khalifa a détourné, parce qu’il n’est pas le juge», s’est-il expliqué.
Ce chapitre était loin d’être bouclé. Puisque Yérim Thiam, un des avocats de l’Etat, a encore demandé à Khalifa Sall pourquoi il n’a pas procédé à des changements quand il est arrivé à la mairie. «En 2012, les 18 premiers mois étaient éprouvants. Le pouvoir tient toujours à avoir le maire à ses côtés. On m’avait même menacé de m’amener publiquement en prison. Que je me retrouve en prison aujourd’hui ne me surprend pas. Lors de mon premier mandat, j’ai demandé au Président Wade : ‘’Pourquoi vous voulez jeter les maires en pâture ?’’ Parce que je voulais changer le mode de fonctionnement. Mais, il m’a dit : ‘’Ce n’est pas un problème. Si tu le changes, tu n’auras pas d’autres facilités.’’ Et aucun Président n’ira aussi loin en vous créant des problèmes. Parce que la classe politique connaît déjà cette caisse. Malheureusement, le Président actuel que j’ai soutenu m’en a parlé et il a sollicité les fonds», a-t-il répondu en indiquant que c’est le même procédé qui a été utilisé depuis 1996 jusqu’à maintenant.

«Yatma Diaw a été en prison pour avoir fait son travail»
Le procureur a aussi demandé pourquoi Khalifa s’est dit meurtri pour ses collaborateurs en citant le jeune Yatma Diaw, qui a failli, dit-il, le faire pleurer quand il lui a demandé ce qu’il a fait pour que sa vie bascule de la sorte. «J’ai cité son exemple parce qu’il est le plus jeune. Il fait la même chose depuis 2002 et il a été en prison pour avoir fait son travail», s’est justifié le maire de Dakar.
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