«L’école sénégalaise est marquée par l’extrême dispersion et l’existence de plusieurs modèles d’écoles qui sont de plus en plus nombreux sans sens commun.» C’est une affirmation de Souleymane Gomis, enseignant-chercheur au département de sociologie de l’Ucad, lors des Assises de l’Amicale des anciens élèves de l’Ecole normale William Ponty qui essaient de trouver une solution aux multiples crises qui gangrènent le secteur de l’éducation.Par Justin GOMIS – 

«Crise scolaire de l’éducation, crise des valeurs, causes, conséquences et solutions.» C’est le thème choisi  par l’Amicale  des anciens  élèves  de l’Ecole  normale William Ponty pour essayer de trouver une solution aux multiples crises qui gangrènent le secteur de l’éducation.
Souleymane Gomis, enseignant-chercheur au département de sociologie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), qui a réfléchi sur le «Modèle d’éducation sénégalaise, continuité, ruptures et perspectives», a diagnostiqué les causes de la crise de notre système. Il dit : «L’école sénégalaise est marquée par l’extrême dispersion et l’existence de plusieurs modèles  d’écoles  qui sont de plus en plus nombreux sans sens commun, ni principe directeur. Il y a une école française technique, publique et privée. Il y a une  école dite franco-arabe privée et publique, qui s’appelle école coranique. Vous avez  des daaras qui se présentent sans contrôle. Nous avons un autre modèle qui s’appelle l’école arabe. Il y a un troisième qui s’appelle l’école franco-arabe, un quatrième modèle qui s’appelle daara. Il y a plusieurs types de daaras : tarbiyya, daara moderne et d’autres daaras dont on ne sait pas qui les contrôle. Vous avez des écoles communautaires de base, des écoles confessionnelles privées catholiques et musulmanes. Des écoles  de formation en provenance du Moyen-Orient et d’Asie et d’Egypte. Des  cases des tout-petits, l’enseignement technique et professionnel.»
L’autre problème soulevé par le sociologue à la Flsh, c’est l’inadaptation des curricula aux modèles de notre société. «Une grande partie de Sénégalais reste distante à l’école dite française. Les réponses que nous fournissons sont des réponses peu satisfaisantes. L’école incarne aujourd’hui beaucoup moins de valeurs sociales des citoyens. L’école d’aujourd’hui n’incarne plus les mêmes valeurs. Les Sénégalais ont perdu foi en l’école comme ascenseur social. Aujourd’hui, aller à l’école ne signifie pas avoir du travail. Par exemple, dans certaines localités, on encourage les jeunes plutôt à partir en Italie que d’aller à l’école. Il y a aussi une baisse de performance de qualité des enseignants, une inadéquation des curricula. L’Etat ne contrôle pas ce domaine  stratégique de l’éducation. Il y a des écoles qui pullulent partout avec des agréments  sans accréditation. Il y a des inégalités entre le privé et le public, inégalité des enseignants de qualité. Il y a des inégalités des chances de réussite selon les zones géographiques, selon les origines sociales», ajoute-t-il.
Face à ces multiples systèmes, le sociologue se demande quel type de citoyens l’école forme. «A quelle fin nous formons nos citoyens, si l’on sait aussi qu’il y a inadaptation des curricula, une baisse de niveau, une baisse de la qualité des enseignants», dit-il. A l’en croire, «l’école aujourd’hui n’incarne plus les mêmes valeurs».
Abondant dans le même sens, Moussa Fall, enseignant-chercheur à l’Ucad, Inspecteur général de l’éducation et de la formation, est revenu sur la baisse de niveau en français des élèves. Selon lui, «les solutions à préconiser, c’est de travailler d’abord sur comment retrouver les valeurs qui peuvent fonder une société juste, démocratique, une société où les gens se sentent à l’aise». Le didacticien pense qu’il «faut articuler cette baisse des niveaux aux valeurs», «parce que le français est là depuis plus de 200 ans, il fait partie du patrimoine sénégalais, mais il faut commencer par enseigner aux enfants dans leurs langues. On pose souvent le débat sur la pluralité de langues. On a la même chose aussi bien en Europe, en Amérique qu’en Asie. Ce sont les mêmes situations. Et eux, ils se sont appuyés sur leurs langues, les langues de leurs enfants, pour les instruire d’abord afin d’avoir la compétence de lire», propose-t-il.
Que faire pour résoudre ces crises ? «Il faut dans un premier temps, un Etat fort qui aurait le courage d’uniformiser son modèle d’enseignement, avec un tronc commun à la base et des branches différentes à la sortie. On peut commencer la formation du citoyen sénégalais dans une école de tronc commun, dans un modèle qui sera adossé à notre projet de société. C’est-à-dire une véritable école sénégalaise, non pas une école étrangère au Sénégal ou une école dite française, arabe, franco-arabe… Mais une école sénégalaise qui prendrait en compte toutes les variantes», préconise Souleymane Gomis.
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