A la question «qu’est-ce que l’intelligence ?», Alfred Binet, inventeur avec Théodore Simon -«Le couple» Binet-Simon- du célèbre test, répondrait : «C’est ce que mesure mon test.» Etait- ce vraiment une boutade ? Autrement dit un propos vif et imprévu ? L’évaluation a trouvé droit de cité, aujourd’hui, dans l’éducation nationale. Du préscolaire à l’université en passant par les lycées et collèges, de plus en plus, on évalue.

Mais en transposant dans le domaine de l’école les méthodes et les valeurs de l’entreprise, ne risque-t-on pas de créer autant de problèmes qu’on cherche à en résoudre ?

Comme le rappelle Anne Carvalho, une spécialiste de l’évaluation, celle-ci, nous dit-elle, est apparue dans le cadre de la pédagogie dite «par objectif» -aujourd’hui phagocytée par le curriculum- dont le principe consistait à «décomposer le comportement de l’élève en un ensemble de capacités distinctes pouvant -supposait-t-on- s’acquérir indépendamment les unes des autres».
Et donc se mesurer. Une telle démarche fait de l’élève un objet d’analyse. Elle permet au mieux d’effectuer un contrôle – comme dans l’évaluation du niveau en français et en mathématiques des élèves de 6ème par exemple.
Mais elle ne possède aucune finalité proprement pédagogique : «elle ne sert ni l’élève qui, par ces tests, est simplement classé dans une catégorie, ni le maître pour qui le test vient seulement concrétiser un résultat que souvent il connaît déjà», assure l’auteur.

Pour Anne Carvalho, l’opinion publique et les partenaires sociaux  inquiets de la «rentabilité» du système éducatif, sont en réalité les véritables destinataires de l’opération.

Pour l’auteur, l’évaluation manque donc d’objectifs et d’objectivité : «Elle devient le bilan des échecs et des lacunes passées, mais elle est bien peu porteuse de solutions. Elle tendrait en fait à se réduire à une évaluation des besoins … de la société.» L’inspection, à l’issue de laquelle, le maître se voit attribuer une note pédagogique, ressortirait-elle davantage à l’évaluation ?

Non ! Il s’agit d’un simple contrôle : des connaissances et de leur articulation, mais aussi de la cohérence et de la rigueur de la démarche pédagogique, du suivi des élèves et de leur travail – cahiers de devoirs journaliers, roulement – cahiers d’exercices – compositions, etc.

C’est pourquoi comme le dit Marc Henriot, l’inspection peut prendre, pour le maître, la forme tragi-comique d’un «rite de passage». La véritable évaluation se situe donc à un autre niveau. Pour Marie – Thérèse Céard, Doyen des inspecteurs pédagogiques, en France, il n’y a d’évaluation qu’avec la prise en compte du projet d’établissement, expérimenté ici au Sénégal, sans succès !
L’inspecteur peut alors établir des comparaisons entre les classes de même niveau : les CI, les CP, les CE, les CM -, les enseignants, les méthodes pédagogiques mises en œuvre, les écoles, même ainsi, il peut apprécier la «pertinence d’un projet» et les moyens déployés pour le réaliser. En tout état de cause, les méthodes de l’entreprise ne s’appliquent pas facilement au monde scolaire. Pourtant Hervé Desprez, directeur du groupe dénommé Consulting Group, se disait, à l’époque, prêt à aider l’éducation.

Quel est, pour lui, le portrait du bon pédagogue ? «Quelqu’un qui soit capable d’écouter les autres, de se servir de ce qu’ils disent pour articuler un enseignement et transmettre clairement un message. Si le candidat enseignant ne possède pas ces qualités, même agrégé, il ne sera pas fait pour ce métier.»
Mais en quoi consiste, au fait, le travail du recruteur ? Si l’on en croit Hervé Desprez, il s’agit moins d’évaluer les candidats que de conseiller les chefs d’entreprise au moment de prendre la décision d’engager quelqu’un, «en les empêchant de fantasmer». En clair, le recrutement, pour l’essentiel, aide les responsables… à évaluer leur propre demande.

C’est également, somme toute, la conclusion à laquelle aboutit, Anne Carvalho. L’évaluation doit être abandonnée au profit de l’auto-évaluation tant de l’élève que du maître. Elle seule peut faire de la relation pédagogique «une relation vivante de sujet à sujet».
Yakhya DIOUF
Inspecteur de l’Enseignement
Élémentaire à la retraite