Efficacité vs Réalisme

Le Conseil national à la sécurité alimentaire (Cnsa) tourne à vide depuis le limogeage de son dernier Directeur exécutif. Le personnel du Secrétariat exécutif, depuis lors, court après des arriérés de salaires qui remontent à la fin du mois de février. Pour corser les choses, tous les bureaux régionaux sont paralysés, faute de directives et, surtout, de ressources pour leur fonctionnement. Le Secrétaire général du gouvernement dont dépend ce service, a vu l’arrivée à sa tête d’un nouveau responsable, qui ne semble pas pressé de se pencher sur ce dossier. Ce qui bloque tout son travail et plonge les employés dans l’angoisse. Plus aucune enquête n’a été opérée depuis la dernière en date, au mois de novembre. En ce début d’hivernage, quelle structure de l’Etat peut informer les autorités sur la situation alimentaire dans le monde rural, ou sur les prévisions de production et de consommation des populations, surtout dans les zones rurales, si l’une des plus dynamiques à ce jour est privée de moyens ?
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Faute de réponse à cette question, plusieurs employés du Se-Cnsa déclarent en être réduits, par la force des choses, à faire du télétravail. Ce qui ne résout absolument aucune question, surtout pour ceux qui se rappellent les dernières prévisions qui avaient été présentées lors de l’atelier d’analyse et d’identification des zones à risque, et des populations en insécurité alimentaire et nutritionnelle. Le 17 mars dernier, lors de l’atelier de présentation du Cadre harmonisé d’analyse et d’identification des zones à risque et des populations affectées, qui s’est tenu à Saly Portudal, il a été mis l’accent sur la situation de précarité menaçant plus d’1, 2 million de personnes vivant dans 9 départements, essentiellement de l’Est et du Sud-est du pays.
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Avec l’hivernage qui pointe son nez, face à l’urgence de la situation, le gouvernement, qui a mis en suspens les paiements des Bourses de sécurité familiale -ce projet phare de la gouvernance de Macky que le nouveau pouvoir aimerait beaucoup voir disparaître-, a été contraint de reprendre le décaissement des subventions dues au titre du Projet de résilience agricole aux familles rurales inscrites au Registre national unique (Rnu). Ce projet de résilience agricole, toujours un legs de Macky Sall, vise à permettre aux ménages d’agriculteurs de pouvoir acquérir des semences et intrants de qualité à bon prix. C’est entre 150 mille et 200 mille francs Cfa dont vont disposer chacun de ces ménages ruraux sélectionnés. L’argent, provenant d’un financement de la Banque mondiale, n’est pas destiné à remplacer la Bourse de sécurité alimentaire, mais à permettre, à plus ou moins brève échéance, à ces ménages de vivre décemment de leur métier, en se passant de l’aide de l’Etat. Tout cela, bien sûr, en théorie.
Car il faudrait aussi pour que les ruraux pauvres puissent vivre décemment de leur travail, que les conditions d’une bonne campagne agricole soient réunies pour tout le monde. Or, à ce jour, les beaux et doctes discours du ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire ne parviennent pas à occulter ce qui ressemble déjà à une chronique d’un nouvel échec annoncé. Fier des 130 milliards de Cfa de budget qu’il a pu débloquer pour la campagne agricole à venir, M. Diagne n’hésite déjà plus à faire des annonces tapageuses sur les niveaux de production attendus dans plusieurs spéculations. Il lui faudrait sans doute se rappeler ses déclarations lors de la campagne écoulée, où il nous annonçait non seulement une autosuffisance dans beaucoup de récoltes, mais mieux, une surproduction concernant certaines spéculations. Les revers connus ne l’ont pas poussé à changer de discours, et c’est le problème de ses supérieurs.
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Ces derniers estiment peut-être que l’abondance de pluie annoncée pour l’hivernage ne pourrait logiquement pas conduire à un naufrage agricole. Mais ils savent aussi qu’il leur serait difficile de justifier une autre déroute dans la campagne agricole. Surtout après tous les beaux discours qu’ils ont tenus. Mais la vraie question est de savoir s’ils ont fini de prendre des vessies pour des lanternes.
La même question a été posée aux services du ministre du Travail, de l’emploi et des relations avec les institutions. M. Abass Fall a publié, à la fin du mois d’avril, une grille révisée des salaires des domestiques et des gens de maison. On a pu relever que le salaire de base pour une bonne à tout faire varie entre 64 223 et 76 996 francs Cfa, selon les catégories, qui vont de 1 à 7. Beaucoup de jeunes dames qui vendent leur force de travail dans les familles sénégalaises ou établies dans ce pays ont dû sursauter. Pour la plupart de ces gens, la rémunération des bonnes se fait dans le cadre d’une négociation entre la «patronne» qui gère la maison et la postulante.
Il n’y a aucun contrat écrit ni d’heures de travail déterminées, dans la plupart des cas. Pour la plupart de ces dames -ainsi que pour leurs employeurs-, ce barème est une bonne indication. Mais il confirme également que le salaire ne rémunère pas le travail au Sénégal.
Si l’on se fie à la grille salariale en question, peu de ménages sénégalais devraient embaucher des bonnes -à moins de se «dégotter» des personnes taillables et corvéables à merci. Car si une bonne ne peut percevoir moins de 64 223 F Cfa, un «smicard» qui, au Sénégal, n’émarge pas à plus de 89 730 francs Cfa pour certaines catégories socioprofessionnelles les mieux loties, ne pourrait pas être en mesure de l’embaucher.
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Ce salaire permet déjà difficilement à son bénéficiaire de vivre décemment, sinon de vivre tout court. Et l’on sait que, malgré les vicissitudes de la vie moderne, dans la majorité des ménages sénégalais, une seule personne pourvoit aux besoins de toute la maisonnée.
Quel était l’objectif de l’arrêté ministériel sur les salaires des gens de maison ? Est-ce pour le futur ? N’y aurait-il pas alors risque d’obsolescence ? Par ailleurs, ce document a dû frustrer certaines d’entre les concernées.
On sait que les ménages d’expatriés ont l’habitude d’offrir un meilleur traitement salarial à leurs employés de maison, allant même, pour certains, à les enregistrer à l’Inspection du travail et à la sécurité sociale. Certaines bonnes perçoivent ainsi, parfois, jusqu’à 100 mille francs Cfa, sinon plus, par mois. On peut imaginer leur réaction quand leur patron leur rétorquerait à la moindre revendication, qu’elles doivent s’estimer heureuses d’être privilégiées, et ne devraient pas avoir leur droit de protester ou revendiquer quoi que ce soit. Cela, en prenant pour référence le document publié par leur ministère. On a le sentiment, sur beaucoup de points, que les décisions de nos politiques, souvent, ne brillent pas par leur réalisme.
Il suffit de voir que le cadre général de la Vision stratégique Sénégal 2050 se détache très peu de celui du Plan Sénégal émergent de Macky Sall. Même les changements de nom, à usage très cosmétique à ce jour, ne cachent pas le manque d’imagination de nos dirigeants. Et quand ils veulent nettoyer les «écuries d’Augias» de l’Administration centrale et des agences de l’Etat, ce n’est pas dans l’idée de faire des économies dans une conjoncture jugée difficile, mais tout simplement pour mettre des proches à la place de ceux qui avaient été nommés par leurs prédécesseurs. Et il arrive le plus souvent que les remplaçants ne produisent pas plus que ceux dont ils ont pris la place.
Par Mohamed GUEYE – mgueye@lequotidien.sn