Election à l’Unesco : L’Afrique en ordre dispersé
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L’élection de Audrey Azoulay comme directrice générale de l’Unesco, après l’annonce des Etats-Unis et d’Israël de leur retrait de l’organisation, a révélé de profondes fractures dont l’Afrique n’est pas exempte.
Le vote s’est déroulé à bulletin secret, mais bien que serrée, la victoire de la candidate de la France vendredi 13 octobre au siège de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), place de Fontenoy à Paris, était prévisible au vue des dissensions. A l’issue d’un ultime tour de scrutin qui l’opposait au Qatari Hamad Bin Abdulaziz Al-Kawari, un ancien ministre de la Culture de 69 ans qui a représenté son pays à l’Unesco, l’ex-ministre française de la Culture de 45 ans, Audrey Azoulay, a finalement été choisie par les 58 membres du Conseil exécutif de l’organisation, recueillant les 30 voix requises, contre 28 à son opposant.
La veille, le Président américain Donald Trump avait annoncé le retrait de son pays de l’Unesco, aussitôt suivi par l’annonce du retrait d’Israël. Un retrait qui ne sera pas effectif avant le 31 décembre 2018, mais le choix de faire cette annonce à la veille d’une élection très serrée jusque-là entre le candidat qatari – en tête des suffrages les quatre jours précédents – et la Française d’origine marocaine qui a dû affronter le dernier jour la candidate égyptienne Moushira Khattab, avec laquelle elle s’est retrouvée ex-aequo avec 18 voix, avant d’aller en final contre le Qatari, montre les divisions auxquelles les 17 Etats africains ayant pris part au vote ont contribué.
La main d’Israël
«Avec près d’un tiers des voix au sein du Conseil exécutif de l’Unesco, l’Afrique aurait pu peser de tout son poids en faveur de la seule candidate issue du continent et mieux faire entendre ainsi sa voix au sein de l’Unesco», commente, amer, un observateur averti. Bien que l’Egyptienne Moushira Khattab, la seule parmi les neufs candidats investis au départ à venir d’Afrique, ait reçu le soutien de l’Union africaine, elle n’a jamais réussi à faire le plein des voix… africaines. «Des Etats comme le Kenya ont d’emblée affiché leur préférence pour le candidat qatari et il a manqué à Mme Khattab, à chaque round, près de la moitié des voix du continent», poursuit cette source.
La présence dans la course de pas moins de quatre candidats arabes n’a pas non plus aidé. Si le candidat irakien s’est finalement désisté en faveur de l’Egyptienne, il n’en a pas été de même de la candidate libanaise. Pour Emmanuel Desfourneaux, fondateur de l’Icaep, une association qui milite pour une meilleure prise en compte de l’Afrique dans l’élaboration des programmes de l’Unesco, «ce manque d’unité du monde arabe, avec de surcroît deux fortes candidatures dans le trio de tête, ne pouvait que profiter à la Française».
Israël avait déjà fait capoter en 2009 la candidature de l’ancien ministre égyptien de la Culture, Farouk Hosni, coiffé au poteau par Irina Bokova après des révélations sur ses propos antisémites à la veille de l’annonce des résultats qui a permis à la Bulgare d’accomplir deux mandats à la tête de l’institution onusienne. Le ralliement des pays arabes à la candidature de Hamad Bin Abdulaziz Al-Kawari, lors d’une réunion de l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et la science (Alesco) à Tunis, en 2016, n’a pas non plus suffi. Depuis la brouille du Qatar avec de nombreux Etats arabes et les accusations de la connivence du Qatar avec certains responsables islamistes, le lobby pro-israélien est reparti de plus belle.
Impact direct
En 2011, sous la présidence de Barack Obama, les Etats-Unis avaient cessé de participer au financement de l’Unesco – leur contribution s’élevait alors à 22% du budget total. Ils entendaient réagir à l’attribution d’un siège d’Etat membre à part entière à la Palestine, considérée comme un affront à l’endroit d’Israël. Se plaçant dans la même logique, et bien qu’elle ait demandé à conserver un statut d’observateur, l’Administration Trump a justifié cette fois-ci sa décision de retrait de l’Unesco par des «inquiétudes (…) concernant l’accumulation des arriérés (…), la nécessité d’une réforme en profondeur de l’organisation et ses partis pris anti-israéliens persistants».
En juillet, les Etats-Unis, demeurés membres du Conseil exécutif de l’Unesco malgré la suspension de leur contribution, avaient déjà prévenu qu’ils allaient réexaminer leurs liens avec l’organisation. Il s’agissait, cette fois-ci, de protester contre le classement par l’Unesco de la vieille ville d’Hébron, située en Cisjordanie occupée, comme «zone protégée», conformément à une demande émise par l’Autorité palestinienne, notamment en ce qui concerne la tombe des Patriarches.
Excédé par ce nouveau témoignage de reconnaissance à l’égard de la Palestine, Benyamin Netanyahou, après avoir vertement répliqué en septembre à la tribune des Nations unies, a laissé entendre que jamais il ne soutiendrait une candidature arabe au poste de directeur général de l’Unesco. Emboîtant le pas de son puissant allié, le retrait israélien a donc été annoncé quelques heures après celui des Etats-Unis. «Nous entrons dans une nouvelle ère aux Nations unies. Celle où quand on pratique la discrimination contre Israël, il faut en payer le prix», a averti l’ambassadeur d’Israël auprès de l’Onu, Danny Danon. A bon entendeur salut !
Le jeu de la France
Faute d’un véritable consensus, la candidate de François Hollande, dont elle a brièvement été ministre de février 2016 à mai 2017, et fille de André Azoulay, l’un des plus proches conseillers du roi Mohammed VI, a réussi à tirer son épingle du jeu. Cette énarque, mariée et mère de deux enfants, peut se prévaloir de sa double culture franco-marocaine, ainsi que de son savoir-faire en matière d’administration culturelle et scientifique. Outre son année au ministère français de la Culture, elle a acquis une solide expérience au Centre national du cinéma (Cnc) qu’elle a dirigé de 2006 à 2011. «La France a une longue histoire avec l’Unesco. Celle-ci se trouve à la croisée des chemins. Le moment est venu de nous impliquer», avait-elle confié avant l’élection, dans un entretien à Jeune Afrique. A l’époque, sa candidature tardive n’avait pas convaincu face à ses adversaires, desquels on s’attendait à «certaines largesses financières» pour redresser les comptes défaillants de la vénérable institution.
Grâce au coup de pouce de la France, mais aussi de l’Allemagne dans la dernière ligne droite, cette passionnée d’art et de culture qui a grandi «entre les tours de Montparnasse aussi bien que les minarets et la synagogue», comme elle aime à le répéter, se retrouve maintenant en pole position. C’est donc à elle qu’incombe la lourde tâche de devoir gérer l’épineuse question des finances de l’Unesco. «Elle est la mieux placée pour convaincre les Etats-Unis et Israël de revoir leur position à l’égard de l’Unesco», clament ses proches. Très émue après le vote, elle a réaffirmé lors d’une brève conférence de presse son attachement à l’universalisme de l’organisation onusienne : «L’Unesco est à la fois éminemment politique et éminemment démocratique, puisque chaque pays y dispose d’une voix. Je suis très attachée à cette égalité et à cet universalisme», a-t-elle déclaré. Reste maintenant à la nouvelle directrice générale dont la désignation définitive sera approuvée par l’Assemblée générale le 10 novembre, avant une prise de fonction à compter du 15 novembre, à restaurer la confiance dans cette institution, afin qu’elle rejoue un rôle moteur dans la gouvernance mondiale.