Election du successeur du défunt Pape François : des candidats émergent du lot

Depuis le 1er mars dernier, le Sacré Collège est passé à 252 cardinaux dont 135 cardinaux électeurs et 117 non électeurs. Ce sont donc ces 135 cardinaux âgés de moins de 80 ans qui vont élire, à l’occasion de ce conclave, le successeur du défunt Pape François, le réformateur.
Mais la question qui se pose est : quelle direction prendra le conclave ? Faudra-t-il chercher un Pape de transition, capable de réunir les différents membres du Collège cardinalice ou émergera-t-on un candidat capable d’apporter les changements décisifs dans un sens ou dans l’autre ?
A supposer que le choix de ce conclave portait sur un candidat de compromis plutôt qu’un choix fort et identitaire, le candidat idéal serait l’Italien Pietro Parolin, 70 ans. Né le 17 janvier 1955, dans le Nord de l’Italie, Cardinal Parolin a été choisi par François quelques mois après le début de son pontificat comme Secrétaire d’Etat du Vatican, le plus haut placé après le Pape lui-même. Pour faire simple, Parolin est le Premier ministre du Pape. Son expérience en matière de négociations avec des Etats et des religions ont fait de lui une figure très respectée au sein de la Curie. De plus, son approche modérée et pragmatique pourrait faire de lui un choix populaire pour guider l’Eglise à travers des temps de turbulences géopolitiques et des tensions internes. Son profil est celui d’un homme d’appareil, d’un ecclésiaste qui connaît mieux que quiconque le dynamisme de la Curie romaine. «Il est habitué à évoluer entre équilibres fragiles et négociations complexes», nous dit John Allen, un influent vaticaniste américain, dans une interview à Cnn.
Mais le problème de Pietro Parolin est qu’il est trop bureaucrate, et un bureaucrate réussira-t-il à emballer les cardinaux électeurs ?
Si Parolin est le candidat de la Curie, Matteo Maria cardinal Zuppi, un autre Italien, 69 ans, lui, est le candidat de l’aile progressiste, c’est-à-dire de tous ceux qui voudraient poursuivre et peut-être même radicaliser l’héritage du Pape argentin.
Archevêque de Bologne, en Italie, et président de la Cei, Conférence épiscopale italienne, Zuppi a un profil éminemment pastoral. Il est issu de la Communauté Sant’Egidio, un mouvement qui a fait de la médiation diplomatique sa principale mission. C’est elle qui, en 1992, a permis la signature de l’Accord de paix au Mozambique. L’Archevêque de Bologne a également joué un rôle de premier plan dans les médiations diplomatiques qui l’ont conduit à Cuba, au Guatemala, au Kossovo ou au Burundi. Le lundi 5 juin 2024, Zuppi a été l’Envoyé spécial du Pape François à Kiev, la capitale de l’Ukraine. Objectif de la visite : «Ecouter en profondeur les autorités ukrainiennes sur les moyens possibles de parvenir à une paix juste et soutenir les gestes humanitaires qui contribuent à apaiser les tensions entre la Russie et l’Ukraine en guerre», selon le Vatican. Zuppi est un homme patient, un homme d’écoute, et cela lui confère l’aura d’un bâtisseur de ponts, d’un homme de dialogue, d’un artisan de la paix. Quoiqu’il en soit, la réussite dans ces différentes missions accréditerait encore davantage sa stature d’homme-clé, voire de papabile pour être le chef des deux milliards environs de catholiques dans le monde. Sa vision pour la pastorale et son souci constant pour les pauvres, les émigrés et les sans-abris font de lui un candidat naturel pour poursuivre l’œuvre du défunt souverain pontife. Il bénéficie en tout cas du soutien des cardinaux de l’aile progressiste.
Si le conclave décide de poursuivre sur la voie de l’universalisation de l’Eglise catholique en donnant la parole aux continents qui ont connu la plus grande croissance du catholicisme durant ces dernières décennies, alors le prochain Pape ne sera peut-être pas européen, encore moins italien. Le Cardinal philippin Luis Antonio Tagle, 67 ans, serait le mieux placé. Né le 21 juin 1957 à Imus, d’une mère chinoise, Tagle est la figure émergente lorsqu’on parle d’un Pape non européen. Théologien pur et ami de François, «il est considéré comme l’héritier spirituel du pontificat de Pape François», affirme le journaliste et essayiste italien Giancarlo. Le 24 novembre 2012, Benoît XVI fait de lui Cardinal et en décembre 2019, le Pape François l’appelle à Rome comme Préfet de la puissante Congrégation pour l’évangélisation des peuples. En le nommant à ce poste, François lui a confié le gouvernement d’une partie de l’Amérique latine, de quasi toute l’Afrique, de presque toute l’Asie, sauf les Philippines, et de l’Océanie, à l’exception de l’Australie, c’est-à-dire précisément cette immense partie de l’Eglise si chère au Pape François. S’il venait à être élu, Tagle serait le premier Pape asiatique de l’Eglise catholique universelle : un signal fort pour un continent où l’Eglise catholique se développe, mais doit faire face au défi de l’islam et du pouvoir politique de plus en plus autoritaire de la Chine. Le seul handicap du Cardinal philippin : Tagle ne connaît pas beaucoup les rouages de la Curie romaine.
Et si l’Afrique devait élire un Pape, le nom le plus probable serait le Cardinal congolais Fridolin Ambongo Bézungu, 65 ans, Archevêque de Kinshasha. Né le 24 janvier 1960 à Boto, dans la province du nord Ubangui, Ambongo est, depuis 2020, membre du Conseil des neufs cardinaux chargés d’aider le souverain pontife dans ses fonctions. Théologiquement solide, très attentif à la défense de la famille traditionnelle et opposé aux récentes ouvertures doctrinales de l’Eglise, Ambongo représente une Eglise qui grandit de façon vertigineuse sur le continent africain. Nommé Cardinal par le Pape François, «l’Archevêque de Kinshasa n’a pas hésité à exprimer ses réserves sur certaines décisions du chef de l’Eglise catholique universelle, notamment sur la bénédiction des couples homosexuels accordée par la Congrégation pour la doctrine de la foi», souligne Chérif Ousman Mbardounka, journaliste Bbc Afrique. Son élection marquerait une rupture avec le pontificat actuel et pourrait représenter une impulsion vers un rééquilibrage doctrinal freinant les dérives de ces dernières années. Cependant, sa forte identité pourrait représenter un candidat diviseur parmi les cardinaux européens et latino-américains les plus progressistes.
Parmi les cardinaux réformateurs, la figure émergente est le Brésilien Sergio cardinal Da Rocha, 65 ans, Archevêque de Saint Salvador de Bahia, au Brésil. Il représente la possibilité d’un Pape qui conduira l’Eglise sur la voie encore plus progressiste. Nommé Cardinal par le Pape François et connu pour son engagement contre l’homophobie et pour l’inclusion des couples homosexuels dans l’Eglise, le Cardinal Da Rocha est le candidat idéal pour ceux qui veulent une Eglise en continuité avec le pontificat bergoglien, avec une accélération plus décisive des réformes. La question est de savoir si l’Eglise est aujourd’hui prête pour un changement radical. L’élection d’un Pape qui va au-delà des réformes de François pourrait diviser définitivement le monde catholique.
Le conclave décidera s’il veut vraiment poursuivre la voie tracée par François ou corriger le cap. Le candidat Parolin garantirait la continuité, Zuppi et Da Rocha eux pousseraient ces réformes un peu plus loin, tandis que Ambongo Bézungu pourrait marquer un retour à l’ordre.
Dans tous les cas, la question des choix fondamentaux auxquels est confrontée l’Eglise se pose. Même s’ils sont davantage sensibles à la prudence qu’à l’audace, on ne peut exclure que ces nombreux cardinaux électeurs seraient heureux de donner à l’Eglise catholique universelle un prophète, comme le firent leurs collègues lorsqu’ils choisirent Jean XXIII ou Jean-Paul II. Un Pape qui ne chercherait pas le pouvoir, mais un langage de cœur, qui privilégierait l’intérieur sur les apparences. Un Pape qui s’adresserait non aux masses, mais aux consciences. Un Pasteur qui ouvrirait de nouveaux espaces aux charismes des différentes églises chrétiennes. Un Pape qui encouragerait enfin les chrétiens à ouvrir la «Bonne Nouvelle» à d’autres cultures, conscient que l’Evangile a une autre vie au-delà de celle vécue en Occident.
Peut-être un tel Pape est-il déjà présent dans la salle Sixtine, au Vatican ? Seul l’Esprit-Saint saura le faire émerger.
Jean-Baptiste – Boukeub SANE
Journaliste Rts Radio à la retraite