La décision rendue le vendredi 22 juin 2012 par la Cour d’appel de Dakar, enjoignant la coalition Benno bokk yaakaar d’enlever la photo du Président Macky Sall de toutes les affiches de la campagne électorale pour les élections législatives du 1er juillet 2012 fut une véritable gifle administrée au chef de l’Etat.
Ce verdict qui faisait suite au recours en justice de la coalition Benno bokk gis-gis et aux cris d’indignation générale des citoyens sénégalais épris de démocratie avait suscité en nous un sentiment ambivalent, car mêlant à la fois satisfaction et tristesse.
Satisfaction pour des raisons évidentes de restauration de la légalité du fait que le droit avait été dit et bien dit ; tristesse, car le Président Macky Sall, de par son intrusion éhontée dans la campagne électorale, avait fini de donner raison à bon nombre de ses concitoyens qui soutenaient qu’il y avait de quoi désespérer de la classe politique sénégalaise. «Tous pareils !», disaient-ils.
Est-il besoin de le rappeler, la trajectoire des Peuples devrait s’écrire en termes d’avancées (démocratiques) et non de répétitions fâcheuses, de reculades regrettables ou de bégaiements tristes de l’histoire. Ce faisant, l’on a du mal à comprendre qu’un acte aussi malheureux, posé à une étape du processus de la construction de la démocratie sénégalaise, après avoir été farouchement combattu et vaincu, puisse a posteriori être remis au goût du jour, qui plus est, par un régime qui a pompeusement prôné la rupture au lendemain de son installation.
En effet, tout le monde a encore en mémoire la terrible volée de bois vert essuyée par le Président Abdoulaye Wade quand il a voulu s’immiscer dans la campagne électorale pour les élections législatives de 2002. Attaqué de toutes parts et «traduit en justice» par l’opposition d’alors qui a finalement eu gain de cause, le Président Wade avait fait retirer sa photo des affiches de la campagne électorale pour mettre… son ombre, et continuer à faire son «doxantu» (promenade) de campagne électorale. Une duperie payante pour lui, mais qui avait ulcéré et indigné les Sénégalais.
Dix ans après (2002-2012), contre toute attente, alors qu’on pensait que la leçon de démocratie que voilà (interdiction au président de la République de participer à la campagne électorale pour les Législatives) n’était plus qu’un lointain souvenir, voilà que le nouveau président de la République, dont on se plaît à dire qu’il est né après les indépendances, et qu’il est donc présumé porteur d’idées nouvelles, généreuses et progressistes, jeune chef de l’Etat, élu à 51 ans, se met à singer son prédécesseur âgé de 86 ans, comme dans un air de «On prend les mêmes et on recommence».
N’ayant pas retenu la leçon administrée à son «maître» en 2002, le Président Macky Sall, en porte-à-faux avec le principe de la séparation des pouvoirs dans une démocratie républicaine, a royalement foulé aux pieds les lois de son pays pour faire apparaître sa tronche sur les affiches de la coalition Benno bokk yaakaar. Du véritable «maatey» (je m’en-foutisme) ou du «jaay doolé» (la loi du plus fort). Mais rien d’étonnant si l’on sait que les coups de force et la politique du fait accompli sont dans l’Adn même du Président Macky Sall qui n’a que faire des qu’en dira-t-on.
Remettant en cause les conquêtes démocratiques faites de haute lutte par le Peuple sénégalais au fil du temps, ainsi que les sacrifices consentis par des Sénégalais considérés comme des martyrs, le Président Macky Sall, en resquillant et en s’invitant par la force dans des joutes qui ne le concernaient pas le moins du monde, ne s’inscrivait pas du tout dans la dynamique de consolidation des acquis démocratiques, encore moins dans leur perpétuation. Simplement triste et affligeant !
Qu’il fût alors rappelé à l’ordre par la justice de son pays, lui le gardien de la Constitution, cela avait fait vraiment désordre. Le Président Macky Sall était dans ses petits souliers. Et l’on a pensé, tout naïfs que nous sommes, qu’on ne l’y prendrait plus. Mais c’était mal connaître Macky Sall, car cinq petites années seulement après 2012, au détour d’un «wax waxeet» sur son engagement à réduire son mandat de 7 à 5 ans, le Président Macky Sall est en passe de récidiver en 2017, avec les intentions à lui prêtées de descendre dans l’arène pour battre campagne en perspective des élections législatives du 30 juillet prochain. Du moins, si l’on en croit l’avis (ballon de sonde ?) de son jeune frère Aliou Sall, le président de la République devrait venir à la rescousse et porter secours à Benno bokk yaakaar, non pas parce que cette coalition est mal en point, mais que l’arrivée du Président Abdoulaye Wade a mis sens dessus-dessous la mouvance présidentielle, avec une panique générale qui s’est emparée des troupes de Macky Sall. C’est d’ailleurs ce chaos qui a fait délirer leur tête de liste nationale, le Premier ministre Momo Dionne, qui a littéralement disjoncté au moment de sortir la grosse absurdité consistant à annoncer la transhumance à l’Apr, après les Législatives, du secrétaire général national-adjoint et coordonnateur du Pds, en l’occurrence Monsieur Oumar Sarr.
Il est clair que même s’il est le chef de l’Apr et de la coalition Benno bokk yaakaar, Macky Sall, Président de tous les Sénégalais, est tenu de se mettre au-dessus de la mêlée, et non de prendre fait et cause pour ses partisans et combattre les autres, dès lors qu’il est le chef de l’Etat et le père de la Nation. Cela remet au goût du jour la pertinence de l’idée de la démission du président de la République à la tête de son parti pour éviter un dédoublement de fonctions et une confusion des genres et des rôles. En tout état de cause, la présence du Président Macky Sall, en bonne place, sur les affiches de campagne de la coalition Benno bokk yaakaar est inappropriée et inacceptable. Mais s’il décide d’entrer dans la danse, c’est peut-être aussi parce que ça sent le roussi si l’on accrédite la thèse de la tête de liste du parti Citoyen pour l’éthique et la transparence Cet/Jariñ sama reew, Moussa Touré, qui a fait la révélation terrible selon laquelle la coalition présidentielle ne gagnerait pas les élections législatives selon un sondage secret commandité par le pouvoir en place et réalisé par un cabinet américain.
Déjà que le Président Macky Sall s’en est donné à cœur joie en faisant pendant longtemps, et avant l’heure, une campagne électorale déguisée en «tournée économique», mais qu’il décide à présent de faire la vraie campagne, à découvert et sans jeu de cache-cache, au mépris de la loi, cela dépasse l’entendement. L’on a toujours dénoncé, pour le déplorer, la passivité, l’indulgence et le stoïcisme des Sénégalais devant les dérives autoritaires et la frénésie totalitaire du Président Macky Sall qui ne sait plus s’arrêter dès lors qu’il n’y a personne pour lui dire «Stop !» ou le rappeler à l’ordre. Autour du pouvoir, il n’y a que des bénis ou-oui, à côté d’une opposition amorphe. Dès lors, le Président Macky Sall, se sentant omnipotent, n’en fait qu’à sa tête et prend tous les Sénégalais pour ses obligés sur lesquels il a droit de vie et de mort. Tout puissant chef du pouvoir exécutif, il est également le président du Conseil supérieur de la magistrature, en dépit de l’avis défavorable de l’Association des magistrats du Sénégal, nomme le président de la Cour suprême et les sept juges du Conseil constitutionnel. Nullement rassasié par cette boulimie et ses pouvoirs tentaculaires, mais aussi muni d’une carte blanche, il vient de décider seul du choix des candidats à investir sur les listes des députés de Benno bokk yaakaar, et a déjà dans un coin de sa tête le nom des futurs présidents de l’Assemblée nationale et du groupe parlementaire de la coalition Benno bokk yaakaar si cette dernière venait à sortir victorieuse des élections législatives. Autant dire donc que le Président Macky Sall est bien installé et haut perché à la tête des trois pouvoirs de la République : le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Et pourtant, on essaie de nous faire gober l’idée saugrenue qu’on est en République alors que la réalité implacable nous renvoie le prisme déformant d’une monarchie absolue où règne un souverain écrasant tous ses sujets de sa puissance tutélaire.
Dans cette campagne électorale pour les élections législatives, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) et la Commission électorale nationale autonome (Cena) ont fini de convaincre les Sénégalais de leur parti pris flagrant pour le pouvoir du Président Macky Sall dont les nombreux travers sont passés sous silence et jouissent d’une impunité totale. A contrario, les moindres peccadilles de l’opposition sont l’objet de remontrances et de mises en demeure les plus sévères. Une rupture d’égalité devant la loi. Maintenant, comme elle le prétend à tue-tête, si la coalition Benno bokk yaakaar est bien largement majoritaire dans le pays, elle n’a qu’à aller au combat, toute seule, sans requérir ou bénéficier de l’appui du Président Macky Sall, un intrus tout trouvé, qui n’a absolument rien à faire dans cette campagne électorale où sa présence fait désordre, comme un cheveu dans la soupe, et qu’il convient d’extirper du breuvage pour qu’il soit comestible et digeste.
Pape SAMB
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