Avec la publication des résultats définitifs des électives législatives, les rideaux sont tombés sur celles-ci, laissant derrière eux un brouhaha sur fond d’accusations et de contre-accusations, de livre-réponse contre livre blanc devant un Peuple complètement médusé face à l’intensité des discours et propos qui lui sont servis par les deux camps opposés. Chacun cherchant à convaincre le Peuple de la sincérité ou non du scrutin. La formation du nouveau gouvernement, tant attendu, qui était censée calmer les esprits, donner des gages à l’opinion publique généralement et plus particulièrement à l’opposition relativement à l’organisation de joutes futures, n’en finit pas de raviver la polémique. En effet, l’exigence de l’opposition et de la Société civile, dans une moindre mesure, pour une gestion plus transparente des élections à venir était moins le départ du ministre de l’Intérieur que la création d’un ministère chargé de l’Organisation des élections, dirigé par une personnalité neutre comme cela a été le cas sous le magistère de Maître Abdoulaye Wade. Toutefois, il n’y a pas lieu de désespérer ; cette demi-réponse du Président pourrait être considérée comme un «ballon de sonde» pour tester la profondeur de la requête de l’opposition.
D’ailleurs, nous souhaitons vivement qu’il en soit ainsi afin que notre cher pays, en quête d’émergence, soit préservé de troubles sociaux pouvant annihiler tous les efforts déjà engagés en ce sens. Ce n’est point jouer aux oiseaux de mauvais augure que de prédire un avenir sombre à la tenue de l’élection présidentielle de 2019 si les choses en restaient là. La conquête du pouvoir et sa conservation dans notre pays ont toujours été un combat hardi empreint de propos haineux, d’injures et d’invectives. Il n’est pas besoin de rappeler ici que les élections sont un processus composé des trois étapes que sont : les préparatifs, le déroulement et l’examen judiciaire qui détermine la validation des résultats proclamés. La plus petite défaillance notée, sur l’une ou la totalité de ces étapes, peut entacher la régularité du scrutin. Sous ce rapport, le moins que l’on puisse dire est que l’organisation des élections du 30 juillet dernier a été faussée dans sa phase préparatoire, altérant ainsi aux yeux de la plupart de nos compatriotes, les résultats, tout en jetant le discrédit sur l’institution qui en avait la charge. L’apologie des bénéficiaires de la mauvaise organisation de ces joutes tendant à rendre crédible le scrutin, ainsi que leurs diatribes envoyées à l’opposition n’y changeront rien ; car les faits sont têtus et ont été vécus, parfois même subis par les populations : boycott par l’opposition des travaux de la commission de suivi des opérations de refonte partielle du fichier électoral, privation du droit sacré de vote du fait de l’indisponibilité des cartes d’électeur, absence de bulletins de candidats dans certains bureaux de vote, ouverture tardive des bureaux de vote, etc. Autant de manquements qui ne sauraient être mis sous le compte de simples dysfonctionnements, qui ont fini par radicaliser l’opposition dans sa revendication d’un ministère chargé des Elections.
L’organisation d’élection procède de la mise en place d’un dispositif logistique dont l’amont, le déroulement et l’aval constituent la chaîne de valeurs pour des résultats qui seront appréciés à l’aune de la satisfaction des électeurs (les clients). Les sorties malencontreuses de certains collaborateurs du président de la République, s’évertuant à faire croire vaille que vaille aux électeurs privés pour la plupart de leur droit de vote, que les élections sont transparentes relèvent tout simplement d’un manque de sérénité et demeurent peine perdue, surtout quand cela donne l’impression qu’on cherche à faire peur.
Si la France, notre source d’inspiration, est considérée comme l’une des meilleures démocraties de la planète et la cinquième puissance mondiale, c’est parce que ses fils ont su faire preuve d’élévation à la fois spirituelle et patriotique. En effet, ces derniers ont compris que la préservation et l’approfondissement de la démocratie passent avant tout par le respect de la mémoire de tous ceux qui ont donné de leur vie pour sa construction (la démocratie), avec la révolution de 1789. Aussi étrange que cela puisse être, pour une fois, nous refusons de nous référer à l’expérience de la France et de nous interroger sur les conséquences des actes que nous posons. Il ne fait l’ombre d’aucun doute que toutes les personnes de ma génération et celles de la génération des «soixante-huitards», témoins contemporains des années de braises qui nous ont valu pas mal de ces avancées démocratiques, ne peuvent se satisfaire de tous ces couacs qui ont caractérisé ces élections législatives. De même, les «soixante-huitards», qui ne sont plus de ce bas monde ont du se retourner dans leurs tombes face à cette entreprise cynique, délibérée ou pas, de recul de notre démocratie que personne, quelle que soit sa posture, ne doit cautionner a fortiori d’y participer. Ça fait mal tout ça.
Que reste-t-il du discours de la Baule, si lointain et si proche
Quel paradoxe que vouloir faire émerger son pays et semer dans le même temps les grains de la discorde, tendant à désintégrer l’unité nationale et saper les bases de la paix sociale.
La place de cinquième puissance économique et son qualificatif de grande démocratie, la France les doit à la grandeur des hommes qui se sont succédé au pouvoir. Sous ce rapport, nous demeurons convaincu que le Sénégal a certes besoin d’institutions fortes mais plus singulièrement d’hommes sages qui cherchent à entrer dans l’histoire par des actes forts pour approfondir la démocratie, gage d’une stabilité politique et de bien-être pour les populations. François Mitterrand ne disait-il pas dans son fameux discours de la Baule : «Il n’y a pas de développement sans démocratie et il n’y a pas de démocratie sans développement.» Mieux, pour contraindre les Présidents des Etats africains à promouvoir la démocratie, il a décidé, d’autorité, de subordonner l’aide française à l’introduction du multipartisme, déclarant à ces Présidents africains : «La France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté.»
Au moment où l’on s’apprête à installer la future Assemblée nationale, l’on ne peut manquer de s’interroger sur le sens de cette écrasante victoire de la coalition Benno bokk yaakaar.
Cent Vingt Cinq (125) députés sur Cent Soixante Cinq (165) pour faire quoi ?
Edouard Phillippe, le Premier ministre français, au vu des tendances qui présageaient d’une large victoire de son mouvement, la République en marche (Rm), ne s’est pas fait prier pour dénoncer le mode de scrutin qui lui octroyait près de 400 députés sur un total de 577. Cette donne politique l’a poussé à demander qu’on introduise une dose de proportionnelle dans le mode d’élection pour faire figurer une opposition significative à l’Assemblée nationale. Cette hauteur d’esprit lui vient du simple fait qu’il a compris que c’est seulement de la contradiction que sortent les bonnes solutions et que l’ère de la pensée unique était révolue. Cela ne semble pas être compris par certains collaborateurs du président de la République qui se glorifient d’avoir emporté autant de voix. Ils se targuent même d’avoir une longueur d’avance sur la France qui réfléchit sur l’introduction de la proportionnelle dans leur mode d’élection des députés, oubliant que celle-ci a adopté un mode de scrutin au suffrage universel direct, uninominal majoritaire à deux tours, plus démocratique que le nôtre (le raw gadou) tant décrié. Ne serait-ce que dans leur rôle de contrôle, a priori et a posteriori de l’argent public à travers la loi des finances, les députés doivent veiller à l’utilisation transparente et efficiente des ressources budgétaires, sans négliger également le système de leur recouvrement et de leur affectation aux différentes structures chargées de réaliser les politiques publiques. Ce contrôle suppose un droit de regard avec un pouvoir de veto sur toute forme d’aliénation de nos ressources particulièrement minières, qui constitue la seule voie de salut pour notre Petit pays pauvre endetté (Ppte).
Un contrôle sans aucune forme de complaisance devrait également nous éviter la signature de contrats léonins, parfois synonyme de bradage de nos ressources publiques. En tant que financement structurant, les ressources tirées de notre patrimoine minier doivent soutenir, en priorité, l’agriculture dont le premier obstacle à son essor demeure son financement, les Pme pour la promotion de la création d’emplois et du coup régler le problème du chômage. Au-delà de cette écrasante victoire, ne faudrait-il pas s’interroger sur la manière dont elle a été obtenue, susceptible de lui ôter toute légitimité ?
En matière de gouvernance étatique, la légitimité vaut autant que la légalité, sinon plus.
Il est vrai que l’exercice du pouvoir requiert une certaine légalité, c’est-à-dire une conformité aux lois. Mais celle-ci ne saurait suffire pour lui garantir la légitimité qui lui offre un cadre d’expression propice, car exprimant l’adhésion profonde de la population à la manière dont elle est gouvernée. Il est temps que nous comprenions, en matière de gouvernance étatique, que quelle que soit la légalité dont on peut se prévaloir, aucune entreprise ne peut être réussie sans l’adhésion du Peuple pour qui et avec qui on doit gouverner. Sous ce rapport, il est regrettable de constater que souvent, les apologistes de la démocratie une fois arrivés au pouvoir, en deviennent les plus grands fossoyeurs, en tripatouillant les textes constitutionnels et la loi électorale. Or, quand on est un patriote qui n’est préoccupé que par le développement du Sénégal, on doit s’interdire de toucher aux fondamentaux de la démocratie, un legs des générations passées que nous devons préserver en tant que tel pour les générations futures. Cette légitimité, indispensable à la gestion des affaires, ne s’acquiert qu’avec la manière de disposer des faveurs de la loi. Ceci nous conforte dans notre conviction que «la manière d’obtenir vaut mieux que ce que l’on obtient».
Aussi, le jeu de chaises musicales et les départs notés à l’occasion du récent remaniement ministériel, analysés de plus près, peuvent être compris comme une réponse aux attentes des populations y compris les opposants.
En effet, il est constaté avec la mise en place du nouveau gouvernement que le poste de ministre de l’Intérieur change de titulaire (une mesure transitoire ?) et que les plus arrogants n’y sont plus. Mais avant cela, il y a lieu de noter que les pourfendeurs, ces casseurs d’opposants qui étaient prompts à investir les médias pour défendre les mesures les plus impopulaires, jugées contraires à l’intérêt général, allant même jusqu’à déifier le Président, ont mis du bémol dans leur propagande hargneuse.
Quoiqu’en disent les vainqueurs, au regard des conditions dans lesquelles les élections législatives se sont déroulées, les résultats qui en sont issus ne sauraient être un baromètre car ils ont rompu les relations de confiance qui existaient entre le Pouvoir et l’opposition.
Le Dialogue social, un moyen d’apaisement du climat social en perspective des élections de 2019.
Depuis la publication des résultats des élections législatives de 2017, les appels au dialogue fusent de partout mais ne semblent pas trouver d’écho favorable malgré la main tendue du Président. Au regard des conséquences dramatiques qu’ont connues tous les pays où il existe cette absence de dialogue, ce serait une erreur monumentale que de rester inaudible à ces appels, gage de paix sociale. Depuis quand la stabilité politique et la paix sociale ont-elles cessé d’être des critères déterminants pour attirer des investisseurs étrangers ? A cet égard, tous les hommes politiques sont interpellés, au premier chef desquels le président de la République garant de la paix sociale. Il revient à toute cette classe politique de comprendre qu’elle a la responsabilité de faire régner, pour toujours et en tout temps, la paix dans ce pays, quelles que soient leurs aspirations personnelles. Toutefois, il faut en toute objectivité admettre qu’en la matière, certaines exigences ne pourraient, en aucun cas, être tenues comme des préalables, il faudrait plutôt en faire des points de discussion. Tous les pays qui ont pâti d’une déliquescence politique et sociale, l’ont été suite à des troubles post électoraux. Aujourd’hui, qu’on le veuille ou pas, le niveau de crispation est telle qu’il faut retourner à la table de négociation qui devrait déboucher sur des règles consensuelles permettant d’aller à des élections apaisées en 2019.
L’exercice du pouvoir est très complexe et demande beaucoup de détachement et de sacrifices. Aussi, la citation de Alfred Auguste Pilavoine, penseur français, devrait nous amener à réfléchir sur nos rapports avec le pouvoir, sur la manière de l’acquérir, de le conserver et de l’exercer : «Si l’homme connaissait bien la haute nature du pouvoir, l’immense responsabilité qu’il impose et le triste penchant qui le porte à en abuser, il serait beaucoup plus effrayé d’être appelé à l’exercer qu’avide de l’obtenir.»
Effectivement, la Patrie devrait passer avant toute autre considération.
Mamadou FAYE – Grand Yoff