Très actifs dans les combats pour la démocratie et une juste répartition des ressources, les partis de Gauche, en accointance avec les différents régimes, ont peu à peu perdu de leur superbe. Phagocytés ces 20 dernières années par l’hyper-puissance du Libéralisme, ils semblent se plaire dans cette situation malgré de timides tentatives de bouleverser l’ordre établi et de reconstituer cette force qui se conjugue au passé.

Le constat est implacable : Les partis de gauche sont en crise. C’est un euphémisme que de l’affirmer, car les militants de l’idéologie marxiste-léniniste se sont dilués dans les grandes coalitions qui ont porté au pouvoir les Libéraux. Me Abdoulaye Wade et Macky Sall ont eu leur part des forces de Gauche dans leur marche vers la conquête du pouvoir auquel ils n’ont jamais pu accéder, malgré leur discours et les sacrifices consentis comme la clandestinité pour l’avènement de la démocratisation du pays. Aux avant-postes lors des grandes manifestations aux relents de révolution, la Ligue démocratique (Ld), Parti de l’indépendance et du travail (Pit), And jef/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (Aj/Pads) sont réduits à des porteurs d’eau pour des Libéraux. Et non plus cette Gauche-caviar qui peut illuminer une compétition électorale. Ces rapports avec le pouvoir d’incarnation libérale n’ont pas manqué de participer à la déliquescence de ces formations politiques qui essaient de renaître de leurs cendres. Comme le Phénix… Mais les initiatives de reconstituer la puissance de la Gauche, à travers la Confédération pour la démocratie et le socialisme (Cds), risquent de buter sur la realpolitik. Tant les intérêts des différents pôles sont divergents.
Leader d’And jef/Mouve­ment pour la révolution et la démocratie nouvelle (Aj/­Mrdn) en 1981, un parti qui venait de sortir de la clandestinité, Landing Savané a été longtemps au premier rang des luttes sociales. Des jeunes comme un certain Macky Sall sont même tombés sous le charme en y adhérant au début des années 80. Cependant, cela ne se traduisait jamais aux élections présidentielles de 1988 et de 1993 (0,25% et 2,91%) malgré le soutien de Mamadou Dia, ex-président du Conseil. «Nous avions fait une excellente campagne avec Mimi Touré comme porte-parole du candidat Lan­ding Savané, mais surtout avec de bonnes propositions en 1993», se remémore Sidiki Daff, enseignant et ex-militant d’Aj/­Pads. Là constitue le mal de la Gauche : conquérir et exercer le pouvoir.
Finalement, le parti de Landing Savané s’est divisé en pôles. Savané dirige aujourd’hui Aj/Pads/­Authen­tique (allié de Macky Sall), Mamadou Diop Decroix, son ex-compagnon de lutte, qui a hérité du nom originel du parti, est dans l’opposition. Mazide Ndiaye, l’un des adjoints du général Mamadou Niang au sein de la Commission du dialogue politique, s’active dans l’expertise électorale, donc dans la Société civile. Madièye Mbodj, leader de Yoonu askanwi, continue à incarner les idéologies de Gauche. Mais son discours est presque inaudible alors que Bassirou Sarr a créé le parti Aj/Niax jarinu. Un émiettement des forces qui dévoile des contradictions électoralistes qui ont fini d’absorber les idéologies.
La Ligue démocratique n’a jamais été un parti de masse. Mais le charisme de son leader Abdoulaye Bathily rendait cette formation politique incontournable dans l’espace politique. Contrairement à Aj/Pads qui ne s’est jamais remis de son alliance avec Wade en 2000, la Ld est revenue au premier plan après son divorce avec le régime libéral. Pas pour longtemps. Allié de Macky Sall, ce parti s’est affaibli et la scission est intervenue en 2017 avec la création de la Ld-debout qui refuse le compagnonnage avec la coalition Benno bokk yaakaar. Entre-temps, Bathily et Mamadou Ndoye sont partis et ne cachent plus leur dépit. «Ce qui est important pour nous, c’est de participer à la transformation sociale du pays. On peut le faire en ayant un candidat qui gagne ou en participant à une coalition victorieuse. La Ld refuse de faire dans ‘’l’idéologisme’’, le dogmatisme. Cela n’a pas de sens de dire que coûte que coûte à toutes les élections, la Gauche doit avoir un candidat. Nous sommes des acteurs politiques qui prennent la réalité avant de prendre des décisions», justifie Moussa Sarr, porte-parole de la Ld, rappelant l’importance des forces de Gauche dans l’avènement de Me Abdoulaye Wade au pouvoir.

Héritiers : Pastef, France dégage, Aar li ñu bokk…
«Mais le pouvoir absolu corrompt absolument», disait Alpha Blondy. Si Mamadou Diop Decroix précise que les partis de Gauche ont très tôt méprisé l’argent, la Ld fait exception à cette règle. En 2017, Mamadou Ndoye révèle que le Président Macky lui octroyait un salaire de 4 millions uniquement en tant secrétaire général d’un parti allié à la mouvance présidentielle. Cette sortie avait quelque peu mis un sérieux coup à la crédibilité des partis de Gauche. Malgré ce constat peu reluisant, l’optimisme est de mise. «La victoire du Libéra­lisme n’est pas sénégalaise, elle est mondiale. Il y a eu une période où le bloc socialiste s’était effondré, cela devait forcément avoir des conséquences ici et ailleurs. Mais cela va repartir parce que le Libéralisme, la bourgeoisie, l’oppression, l’exploitation, c’est l’échec. Toute exploitation produit une contraction, une résistance et toute résistance, si elle s’enracine dans les masses populaires, aboutit à une victoire. Je suis fondamentalement optimiste. Je pense que demain ce sera de nouveau la victoire des forces progressistes», prophétise Landing Savané aujourd’hui vice-président du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct).
Orphelin de sa figure de proue, le Parti de l’indépendance et du travail se morfond dans Benno bokk yaakaar. Avec un ministre et un député, ce parti de Gauche est un acteur du régime actuel, dont il a soutenu le leader lors des deux dernières Présiden­tielles. En 2015, une tentative de regroupement des partis de Gauche a été portée sur les fonts baptismaux. Aujourd’hui, seuls les partis proches du pouvoir animent la Confédération pour la démocratie et le socialisme (Cds) qui est sortie de sa léthargie depuis août dernier, car Madièye Mbodj et Mamadou Ndoye de la Ld-debout sont dans l’opposition. A la place, ce sont des partis comme Pastef et des mouvements sociaux comme Aar li ñu bokk, France dégage qui prennent le flambeau de la contestation. Une aube nouvelle.