Au Sénégal, nombreuses sont les familles dans un état d’extrême pauvreté et qui vivotent au jour le jour, espérant des lendemains meilleurs. Du coup, réussir, pour sortir leurs familles de la précarité, devient une obsession pour beaucoup de jeunes. Désespérés et face à un avenir bouché, ils tentent par tous les moyens de rallier l’Europe.Par Cheikh CAMARA –
L’idée selon laquelle les entreprises européennes auraient besoin de main-d’œuvre pousse beaucoup de jeunes à tenter l’aventure dans «les pirogues de la mort». Les autorités ont compris qu’il vaut mieux privilégier la solution de création d’emplois pour les jeunes face aux vagues de candidats sénégalais qui «votent» avec les pirogues de la mort vers les îles Canaries, entre autres destinations. Une création d’emplois jeunes qui reste la bête noire de tous les gouvernants, à tous les niveaux et à toutes les périodes.
Des ménages au stade ultime de la pauvreté. Une pauvreté qu’elles ont du mal même à expliquer. Une extrême précarité dans les familles, qui précipite les jeunes, pourtant encore éligibles sur le marché de l’emploi, à vouloir tenter leur chance loin des leurs. Et bonjour les candidats à l’émigration clandestine ! Touty Diop, une mère de famille, se désole : «La vie est chère, trop chère même ! Avec les crises qui se relaient, beaucoup de chefs de famille se sont retrouvés sans emploi et dans la dèche. Les jeunes, n’en parlons pas. Même les diplômés, parmi eux, sont au chômage. Quant à ceux d’entre eux qui n’ont aucune qualification, c’est le désastre. Parfois, je me demande à quoi sert un Etat s’il est incapable de garantir des emplois à sa jeunesse. Une jeunesse plus que désespérée.»
Aujourd’hui au Sénégal, beaucoup de chefs de ménage ne peuvent plus compter sur leurs enfants. Des presque soutiens de famille, en âge de travailler, qui n’arrivent pas à trouver ne serait-ce qu’un stage, voire un emploi de journalier. Ils sont obsédés par l’idée de quitter un jour le pays, et par tous les moyens. Pour gagner l’eldorado européen si possible.
Des jeunes qui nourrissent une seule et unique idée : «Partir le plus loin possible»
Aussi bien à la capitale, Dakar, qu’à l’intérieur du pays, les régions, il n’y a pratiquement rien qui pourrait occuper la jeunesse. Le constat se résume à «des entreprises qui ne tiennent plus et ont fini par se débarrasser de leurs employés». Des villes où le visiteur est accueilli par une nuée de mototaxis Jakarta, avec des jeunes qui sont toujours là, assis sur leurs motos et guettant des clients. La seule activité en fait qui occupe les jeunes qui y trouvent un moyen pour être utiles à leur famille. Des localités où le chômage des jeunes est visible à l’œil nu. Et c’est impressionnant de voir toute une jeunesse sans activité au coin de chaque quartier, autour du thé. «Les autorités devraient avoir honte de voir que la principale activité des jeunes dans toutes les régions du Sénégal est constituée par la conduite ds mototaxis Jakarta», s’étrangle un jeune père de famille au chômage, parmi les siens, tous des chefs de famille désœuvrés, s’affairant autour du thé et qui passent le temps à discuter de tout et de rien. De Saint-Louis à Dakar, en passant par Louga, Thiès et d’autres régions de l’intérieur, dans chaque coin de rue presque, le visiteur remarque qu’il y a un petit garage créé par les Jakartamen. «Ce sont des arrêts Jakarta. On est organisés comme dans les gares. Nous nous battons ici pour sortir de nos difficiles conditions de vie», nous confient ces jeunes, dans une ville dépourvue d’entreprises susceptibles de donner du travail à cette jeunesse vivant dans une extrême pauvreté.
Le Sénégal, un pays qui manque d’un secteur industriel pouvant permettre à beaucoup de personnes de trouver du travail
Nombreux sont les économistes sénégalais très catégoriques sur le fait : «Les services du secteur tertiaire, comme les banques et les assurances ou la téléphonie, ne peuvent pas absorber 50 à 100 mille jeunes qui arrivent tous les ans sur le marché du travail. C’est donc pour cette jeunesse-là, des situations exécrables. Même s’il faut reconnaitre que l’Etat, sous Macky Sall, a mis quand même en place des stratégies pour pallier ces difficultés. Des projets comme Prodac, les formations comme l’Onfp, etc.» Sur les raisons de l’échec de la politique de l’employabilité des jeunes, nos économistes disent ne pas comprendre le fait que ceux qui sont formés ne puissent pas trouver d’emplois par la mise en place de ces structures comme une réponse sociale.
«Nous manquons terriblement d’un secteur industriel qui permettrait à beaucoup de personnes de trouver du travail. Il faut noter non seulement le dysfonctionnement des entités, la non-coordination, mais l’échec fatal autour des scandales du Prodac et de la Der. On peut aussi ne pas comprendre que ceux qui sont formés ne trouvent pas d’emplois à travers ces structures. Il y a une chaîne que l’Etat n’a pas sécurisée avec l’ensemble de ces agences-là qui coûtent énormément et qui, dans le fond, ne sont pas efficaces. Parce qu’il fallait lier les formations aux financements. Et donner des financements à un organe qui les mettrait à la disposition des projets porteurs. Si on était dans cette dynamique-là, on pourrait même faire des projets locaux de développement dans les départements et essayer de retenir tout ce monde qui rêve de migrer vers les pays occidentaux. Mais les jeunes n’y croient plus. Parce que les politiciens ne font que parler. Il y a donc un échec des politiques mises en place par les régimes et qu’il faudrait forcément rectifier pour essayer de retenir ces gosses à la maison», soulignent nos interlocuteurs.
Le dispositif de création d’emplois de l’ancien Président Macky Sall
En plus de la Der, de l’Adepme, de l’Anpej, l’ancien président de la République avait créé un Conseil national pour l’insertion et l’emploi des jeunes. Il avait aussi demandé d’actualiser la cartographie des demandeurs d’emploi au Sénégal. Aujourd’hui, les nouvelles autorités se résolvent à soumettre des propositions pour une sortie de crise. L’on se rappelle, sur la stratégie d’intensification de l’insertion professionnelle des jeunes apprentis et diplômés, Macky Sall avait insisté sur l’importance qu’il lui accordait et qui s’était traduite par le renforcement du ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle des volets stratégiques «Apprentissage» et «insertion professionnelle» afin, d’une part, de former les jeunes à des métiers qui répondent aux besoins de l’économie et du marché du travail et, d’autre part, d’accompagner les diplômés et les apprentis à bien entrer dans la vie professionnelle et économique. L’ancien chef de l’Etat également demandait au ministre de l’Emploi de lui soumettre, dans les meilleurs délais, une Stratégie nationale d’insertion professionnelle (Snip) qui accordait une priorité fondamentale aux jeunes diplômés, en cohérence avec les dispositifs publics (Der/Fj, Adepme, Fonamif…).
Aussi de souligner l’impératif d’actualiser la cartographie des demandeurs d’emploi au Sénégal (en intégrant l’âge, le genre, la région et la formation). Dans ce cadre, il avait donné des instructions au ministre en charge de l’Emploi pour qu’il veille à une meilleure maîtrise des flux de sortants «diplômés» des écoles de formation professionnelle. Toujours dans cette dynamique de trouver des solutions à l’emploi des jeunes, il invitait le ministre en charge de l’Insertion à engager sur le terrain des initiatives sectorielles pragmatiques d’aide à l’embauche des jeunes, en relation avec le ministre en charge du Travail, les organisations patronales, les structures et mouvements de jeunesse (Conseil national de la jeunesse, Oncav…). Sans compter la décision de créer, auprès du président de la République, un Conseil national pour l’insertion et l’emploi des jeunes (Cniej), organe consultatif stratégique d’impulsion.
Selon nombre d’observateurs, «Macky Sall avait consenti énormément d’efforts dans la création d’un environnement économique capable de générer des emplois nouveaux et de préserver les acquis. Au cours de son premier magistère, près de 500 000 emplois ont été créés, mais face aux 200 000 demandeurs annuels sur le marché de l’emploi, du fait d’une politique de formation professionnelle portée par des organismes de l’Etat, le gap se reconstituait au fur et à mesure. Durant la période 2012-2019, le Smig, qui était resté stable depuis 1996, a été augmenté à deux reprises, avec une première augmentation de 45% en 2018 et 12% en 2019. Tous ces efforts n’ont pas eu raison des effets immédiats de la pandémie sur les emplois indirects».
On se rappelle que le ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle avait annoncé la construction de dizaines de nouveaux centres de formation professionnelle. La formation professionnelle et technique ayant été une priorité du Président Macky Sall. Ainsi, sur près du quart du budget du Sénégal qui avait été reversé au secteur de l’éducation, moins de 4% ont été destinés à la formation professionnelle et technique. Sur la question de l’emploi des jeunes, les autorités d’alors comme d’aujourd’hui ont reconnu que «la question de l’emploi est une cause de l’émigration irrégulière. Mais elle n’est pas la seule cause. L’employabilité est un préalable fondamental pour l’obtention d’un emploi. Les causes sont beaucoup plus profondes et multiformes, parce que c’est la raison pour laquelle l’accent que nous avons mis sur la formation professionnelle devra nous permettre d’améliorer le taux de qualification des jeunes Sénégalais pour leur permettre d’accéder à l’emploi».
Correspondant