Par Mohamed GUEYE –

La rubrique «Contrepoint» est habituellement animée par Bachir Fofana. Ce dernier étant dans les liens de la détention pour des motifs fallacieux, Le Quotidien a décidé de poursuivre sa publication jusqu’au délibéré final de son procès. Si, comme nous le souhaitons, notre confrère est libéré, il retrouvera sa place dans nos colonnes. Et s’il est condamné, ce que nous ne souhaitons pas, sa chronique arrêtera sa parution jusqu’à son retour. Dans l’attente de cette clarification, les lecteurs du journal retrouveront sa chronique chaque samedi.
Depuis le 25 juin, notre confrère Bachir Fofana a rejoint en détention Moustapha Diakhaté et le chroniqueur Abdou Nguer. Ces 3 personnages ont commis le crime d’exprimer des opinions qui sont en porte à faux avec la doxa du peuple de Pastef, et surtout ses dirigeants. Ils ont été «effacés» de l’espace médiatique, comme promis par le Premier ministre devant les représentants du Peuple, à l’Assemblée nationale. Depuis mercredi 9 juillet, un autre chroniqueur de télé, Badara Gadiaga, les a rejoints.
Ce jour-là, le président du parti Pastef a décidé, en l’absence notable d’un éminent militant du parti -le président de la République-, de sonner la remobilisation de ses troupes. Il a commencé par dénoncer «l’esprit de clan» qui a fait son apparition en leur sein. Esprit de clan né sans doute de l’appétit suscité par un partage inégal du gâteau, on peut le présumer.
Il a surtout aussi voulu retrouver l’esprit des années de braise, quand les troupes fanatisées n’hésitaient pas à affronter les Fds, et à embraser les domiciles et sièges de ceux qu’ils considéraient comme leurs ennemis. En plus de certains commerces, les sièges de certains médias ont fait l’objet d’autodafés.
Avec la force de la loi et le glaive de la Justice, plus besoin de recourir au feu, sinon à celui de la force armée légalement dotée de pouvoir. Les chroniqueurs de télévision en sont les victimes de choix, aux côtés de leurs invités comme Assane Diouf ou les politiciens Moustapha Diakhaté et le Commissaire Cheikhna Keïta. Aucun lapsus, aucun dérapage ne leur sera toléré. Le leader de Pastef a bien affirmé qu’ils combattront tous ceux qui les combattent. Et il a enjoint à ses militants de ne plus se rendre sur ces plateaux où ils se font tailler des croupières, pour privilégier les réseaux sociaux. Sans doute ne s’est-il pas encore rendu compte que même sur les réseaux sociaux, sa voix et celles de ses partisans deviennent chaque jour inaudibles.
Ce qui fait qu’ils ne réalisent toujours pas que les tentatives légales pour «effacer» leurs critiques ne feront que révéler d’autres critiques. Comme ils sont convaincus que ces critiques sont stipendiés par leurs ennemis du «Système», ils finiront sans doute aussi par comprendre que même en leur sein, l’hydre a fini par pousser des têtes.
Ayant accédé au pouvoir avec la volonté de «mettre hors d’état de nuire» tous ceux qui ont entravé sa marche vers le sommet, Pastef a voulu les priver de voix et de plume. D’où tous les moyens mis en œuvre pour sevrer les médias de moyens d’existence. La chose dont ils auraient dû se rendre compte et qui leur sera fatale, est que la presse sénégalaise est inséparable du Peuple sénégalais. Si les journaux et les journalistes survivent à ce jour à toutes les avanies, ce n’est pas grâce aux «milliards cachés» que leur fourniraient les tenants de l’ancien système mackyste.
S’ils avaient pu maintenir à flot l’économie que Macky Sall leur avait léguée, au lieu de la laisser sombrer et de faire perdre ainsi leur gagne-pain à de nombreux Sénégalais, parmi lesquels plusieurs partisans de Pastef, les dirigeants actuels n’auraient pas eu besoin de recourir à la force légale pour faire taire leurs détracteurs. Le Peuple lui-même, au-delà même des 54%, s’en serait chargé.
Bachir Fofana, Abdou Nguer, Badara Gadiaga, à chacune de leurs émissions, se sont évertués à montrer à ce pouvoir les failles de sa politique, et parfois même les moyens de les corriger. Aucun d’eux n’a utilisé un langage différent de ce qu’ils employaient à l’égard du Président Macky Sall quand il voulait déraper. Aveuglé par ses calculs politiciens, trompé par son entourage et assourdi par sa vanité, le Macky du second mandat n’a pas voulu lire les signaux d’alarme. C’était l’époque où ceux qui lui refusaient la possibilité d’un troisième mandat perdaient systématiquement leur poste. Mais ce Macky-là avait déjà plus de 7 ans de pouvoir. De plus, son parti se résumait à un appareil électoral qui, d’ailleurs aujourd’hui, a toutes les difficultés pour survivre, malgré les efforts de gens comme Pape Malick Ndour, Hamidou Anne et une petite poignée d’irréductibles.
Sonko et les dirigeants de Pastef se retrouvent, eux, aujourd’hui, dans la position des nazis de Hitler en juillet 1934. Il a fallu la sortie du mercredi dernier pour que la majorité des Sénégalais se rendent compte que le parti au pouvoir est déjà miné par des dissensions, et pas seulement des petits militants de base frustrés, mais surtout des personnalités au sommet de l’appareil. Des pays comme l’Allemagne ou le Burkina Faso ont résolu ces contradictions par le sang. Cela a donné, selon les pays, La Nuit des Longs couteaux ou bien, à Ouaga, la Rectification, qui a coûté la vie à Thomas Sankara.
Le Sénégal de 2025 n’étant pas l’Allemagne des nazis ou le Burkina de Blaise Compaoré, il est certain que l’on n’en arrivera pas à ce niveau. Mais si les contradictions doivent se résoudre, la presse ne pourra que le constater, sans y prendre part pour autant. Et elle ne manquera pas de mettre le doigt sur les problèmes et leurs conséquences. La nature de ce régime, dans ses rapports avec les médias, étant de foncer à toute vitesse vers le mur, on devra peut-être aussi s’attendre à d’autres arrestations pour avoir mis à nu des situations déplaisantes. Cela ne nous empêchera pas de les dévoiler.
Bachir Fofana, Badara Gadiaga et Abdou Nguer avaient fini par comprendre la nature de ce pouvoir. Chacun a compris qu’il ne servait à rien, avec leurs interlocuteurs, de brandir des arguments de bonne foi. Il était évident dès leur interpellation, qu’ils n’allaient pas retrouver leurs foyers rapidement. Tous les artifices sont bons pour les maintenir en détention. La preuve, la grève des greffiers est arrivée au moment opportun pour renvoyer le délibéré de Moustapha Diakhaté et de Bachir Fofana. Et pour Gadiaga, comme pour Abdou Nguer, nous apprenons qu’ils sont entrés dans une longue procédure d’instruction. Dans certains pays ou d’autres temps, les incriminations qui les visent ne feraient pas l’objet de peines d’emprisonnement. Mais cela, ce sont des pouvoirs qui n’ont pas peur de leur presse.
Quant à leurs confrères des médias, qui comprennent de plus en plus que chacun d’eux a des chances de les retrouver en prison, ils ne peuvent, en attendant, que crier : Free Bachir Fofana ! Free Badara Gadiaga, Free Abdou Nguer !
mgueye@lequotidien.sn