En cette Journée mondiale de la liberté de la presse, nous exprimons notre solidarité avec les journalistes du Burkina Faso

Alors que la répression s’intensifie sous le régime militaire, les journalistes burkinabè continuent de résister avec courage et conviction -perpétuant un héritage de liberté façonné par des pionniers et des institutions telles que le Filep et le Centre de presse Norbert Zongo.
Aujourd’hui, alors que le monde marque la Journée mondiale de la liberté de la presse, nous devons tourner nos regards -et nos consciences- vers une région où la plume est menacée, où dire la vérité est devenu un métier dangereux, et où les voix qui informent, interrogent et défendent la démocratie sont réduites au silence. Nous parlons du Burkina Faso, un pays pris dans l’étau de l’insécurité, d’une transition politique et d’une répression croissante à l’encontre de sa presse indépendante.
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Depuis deux ans, les journalistes au Burkina Faso évoluent dans un environnement de plus en plus oppressant. Sous prétexte de sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme, les autorités ont systématiquement restreint les libertés de la presse. Des correspondants étrangers ont été expulsés. Des médias indépendants ont été sanctionnés, suspendus ou contraints à l’autocensure. Le harcèlement sur les réseaux sociaux et les campagnes de dénigrement sont devenus des outils fréquents pour faire taire la dissidence et étouffer le débat public. Le Peuple burkinabè est privé d’un droit fondamental : l’accès à une information crédible, pluraliste et indépendante. Pire encore, les journalistes qui osent traiter de sujets sensibles -qu’il s’agisse de corruption, d’opérations militaires ou de violations des droits humains- sont souvent harcelés, menacés ou arrêtés. Le 26 mars 2025, les autorités ont dissous l’Association des journalistes du Burkina (Ajb) avec effet immédiat. Cette décision est intervenue au lendemain de l’arrestation de Guézouma Sanogo, président de l’Ajb, et de Boukari Ouoba, membre du Bureau exécutif, qui avaient dénoncé la répression des médias depuis l’arrivée au pouvoir de la junte. Quelques jours plus tard, eux deux, ainsi que le journaliste Luc Pagbelguem, sont réapparus dans une vidéo télévisée, montrés comme enrôlés de force dans l’Armée et envoyés au front. Le ministre de l’Administration territoriale, Emile Zerbo, a enfoncé le clou en menaçant : «Toute personne qui, par quelque moyen que ce soit -discours, écrits ou autres-, cherche à soutenir ou maintenir une association dissoute, s’expose à des sanctions.» L’enrôlement forcé de journalistes dans l’Armée constitue une pratique visant à punir les voix critiques à l’égard du pouvoir.
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Dans ce climat de peur, beaucoup sont contraints de choisir entre leur profession et leur sécurité. Le prix à payer pour dire la vérité est devenu insupportable.
Et pourtant, malgré l’adversité, les journalistes burkinabè tiennent bon. A Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Kaya et ailleurs, ils continuent de rapporter, d’enquêter et de révéler, souvent au péril de leur vie. Ils sont la dernière ligne de défense contre la désinformation, la dérive autoritaire et la fragmentation sociale. Leur courage est tout simplement héroïque. La presse burkinabè fait preuve d’une résilience remarquable. Des institutions comme le Centre national de Presse Norbert Zongo (Cnp-NZ), baptisé en mémoire de Norbert Zongo, journaliste d’investigation emblématique assassiné en 1998, demeurent des espaces essentiels de solidarité, de formation et de résistance. Sous la direction déterminée de ’Abdoulaye Diallo, le Cnp-Nz reste un rempart pour la liberté d’expression, même lorsque les autorités assimilent les voix critiques à de l’antipatriotisme.
L’un des symboles les plus puissants de cette résilience est le Filep -Festival international de la liberté d’expression et de la presse. Depuis plus de vingt ans, tous les deux ans, le Filep réunit, à Ouagadougou, des centaines de journalistes venus de toute l’Afrique et du monde pour réfléchir et débattre des défis liés à la liberté de la presse sur le continent. Ce n’est pas seulement un festival : c’est un mouvement ancré dans la solidarité, la résistance et la conviction que le journalisme africain doit dire la vérité aux autorités. L’édition 2023 du Filep, présidée par Innoussa Ouédraogo, rédacteur en chef du journal Bendré et militant de longue date pour l’indépendance des médias, s’est tenue malgré de nombreux obstacles. Sous le régime de transition militaire actuel, de sérieuses incertitudes planent sur la possibilité d’organiser à nouveau le Filep dans son format libre et originel.
Cette répression a engendré un phénomène douloureux mais significatif : l’exil de nombreux journalistes chevronnés, qui quittent le pays non par faiblesse, mais comme une stratégie pour préserver leur voix. Depuis l’étranger, ils continuent de publier, de témoigner et de dénoncer les abus -refusant d’être réduits au silence. Leur engagement mérite d’être soutenu, pour former un écho transnational de résistance -un écho qui porte les vérités du Burkina Faso au reste du monde. Le courage de ces journalistes, qu’ils soient restés ou exilés, témoigne de leur foi inébranlable dans le droit du public à l’information.
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Nous devons également rendre hommage à ceux qui ont bâti et défendu l’héritage médiatique du Burkina Faso. Chérif M. Sy, fondateur du journal Bendré, ancien président du Parlement de la Transition et ex-président du Forum des éditeurs africains, reste une figure majeure du plaidoyer médiatique en Afrique. Des leaders comme Jean-Claude Méda, feu Pierre Dabiré, anciens présidents de l’Ajb, ou encore le journaliste émérite Boureima Ouédraogo, ancien membre exécutif de l’Ajb et aujourd’hui directeur de publication du Reporter, nous rappellent que la communauté journalistique burkinabè n’a jamais manqué ni de courage ni de lucidité. Leurs contributions ont façonné un héritage qui ne doit pas être effacé par la peur ou l’autoritarisme.
Ce combat n’est pas uniquement le leur. Il reflète une crise plus large qui touche toute l’Afrique de l’Ouest, où les coups d’Etat, les conflits armés et l’espace civique en régression deviennent la norme. Du Mali au Niger, de la Guinée au Sénégal, la liberté de la presse est en recul. La solidarité reste notre arme la plus puissante. Lorsqu’un journaliste est réduit au silence, la communauté médiatique mondiale doit élever la voix encore plus fort.
En cette Journée mondiale de la liberté de la presse, nous réaffirmons notre solidarité indéfectible avec les journalistes du Burkina Faso. Nous appelons l’Union africaine à honorer ses engagements envers la liberté de la presse. Nous exhortons les autorités de transition burkinabè à mettre fin à la censure, à garantir la sécurité des journalistes et à respecter le rôle fondamental des médias dans la construction de la Nation.
Une presse libre n’est pas un luxe -c’est une bouée de sauvetage. Dans une région en quête de paix, de justice et de redevabilité, faire taire les journalistes n’est pas la solution. Les renforcer, si.
Souvenons-nous que la liberté d’expression n’est pas un principe à défendre uniquement le 3 mai. C’est un combat quotidien -et un combat que le monde doit mener ensemble.
Par Ndey Tapha SOSSEH