Encore 5 ans pour Goïta, et renouvelables s’il vous plait !

Un putschiste devient par essence un leader autoritaire ; il s’accorde toutes les libertés pour prendre des décisions qui peuvent être impopulaires, voire dangereuses pour son pays, ses intérêts et ses citoyens, mais apparaissent légitimes aux yeux de celles et ceux qui le soutiennent envers et contre tout.
Partant de la théorie weberienne du leadership charismatique, il était inévitable que Assimi Goïta annonce qu’il reste à la tête du Mali en se passant de toute légitimité électorale. La logique de sa position l’exigeait. Lui, qui a déjà à son actif deux coups d’Etat, n’éprouve aucun attachement aux principes démocratiques qui incluent la transmission pacifique du pouvoir à travers un processus électoral libre, transparent et inclusif. Donc tôt ou tard, cette déclaration légitimée par un semblant de dialogue national allait survenir. Pire, la junte malienne annonce la dissolution de tous les partis politiques, en négation des règles élémentaires de Droit. Pourquoi s’encombrer d’une opposition «inutile» quand on est convaincu de représenter le salut, avec en prime une légitimité acquise auprès d’une partie de la population ? N’est-on pas, en pareille circonstance, naturellement porté à vouloir imposer aux autres ses moindres désirs et à tomber dans la dictature pure et simple ?
Le Peuple malien se voit ainsi privé de son droit élémentaire de participer au choix de ses dirigeants. Tout ceci certes vient de très loin ; la contestation d’un leadership élu, celui de IBK, la rue et les manifestations quotidiennes autour d’une kyrielle composée de politiques et de membres de la Société civile. On pourrait même avoir la simplicité d’esprit de dire que le Peuple malien a contribué d’une manière ou d’une autre à l’avènement de ce qui lui arrive. D’un point de vue simple, voire simpliste, on pourrait lui reprocher désormais un pacifisme aveugle.
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Certains se demandent pourquoi aucune mobilisation de grande envergure n’est notée contre la junte.
Les quelques voix dissidentes sont décimées pour servir d’avertissement vis-à-vis des autres.
Pour les quelques journalistes qui essaient de résister, leur sort n’est pas non plus difficile à prévoir ; Joliba Tv est là pour servir d’exemple.
On pourrait donc retorquer à ceux qui reprochent à une partie du Peuple malien -qui aurait envie de se révolter, parce qu’il y’en a- un manque de courage, que le courage n’a aucun sens si l’on doit choisir entre vivre, certes dans une atmosphère pesante, et mourir dans les geôles maliennes. L’instinct de survie est au dessus de tout, c’est comme le condamné à mort qui ne peut s’empêcher d’aspirer l’air tant qu’il y a de l’air à respirer ; de la même manière, le Peuple malien continuera de vivre, d’applaudir aux réalisations annoncées par la junte, non pas par conviction, mais par réflexe et surtout par instinct de survie. Cependant, la réalité, qu’on le sache, ne ressemble en rien aux mensonges véhiculés par la junte. Le terrorisme -et par ricochet l’insécurité- a atteint son paroxysme dans un pays déjà exsangue. La légitimation de la prise du pouvoir pour parer au terrorisme ne tient plus. En septembre dernier, c’est la capitale malienne qui a été prise d’assaut. Fait inédit car les gouvernements civils, avec l’aide de l’opération Serval et des contingents africains, arrivaient à contenir les groupes terroristes dans le désert.
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Le 17 septembre 2024, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Gsim, lié à Al-Qaïda) affirme, dans un communiqué, «avoir mené une opération spécifique contre l’aéroport militaire et une base d’entraînement de la gendarmerie, qui a entraîné d’énormes pertes humaines et matérielles, ainsi que la destruction de plusieurs avions de combat».
Double désaveu pour la junte, car non seulement le discours guerrier qu’elle tenait pour stopper le terrorisme ne vaut plus, et en plus elle est menacée dans son propre fief avec les attaques de l’avion présidentiel et du centre de la gendarmerie relatées plus haut.
Aujourd’hui, ces opérations terroristes touchent toute la sous-région. Les derniers actes commis sur le sol béninois en sont des exemples frappants.
De notre confortable mais fragile position au Sénégal, on ne peut qu’être solidaires de nos amis maliens qui, tôt ou tard, se réveilleront de la duperie de la junte militaire. Nous, qui votons depuis 1848 pour choisir nos représentants et avons une longue tradition démocratique, ne devons pas être professoraux avec le Peuple malien, privé du droit de vote depuis 2018 ; on ne peut pas de son confort étranger, sans prendre en compte les spécificités locales, demander à un peuple de se révolter. Car il faut avouer, au regard du spectacle tragique que le pays offre, que le simple fait de vouloir survivre dans ce Mali est déjà un formidable acte de résistance. La révolte a un prix et rien ne garantit qu’elle aboutisse à quelque chose sans une conjonction des forces autour d’un idéal démocratique.
Ce qui en revanche est terrifiant et rageant en même temps, c’est la sympathie que les nouvelles autorités sénégalaises semblent éprouver à l’égard de ces putschistes, qu’ils soient du Mali, du Niger ou du Burkina.
Les autorités sénégalaises devraient s’inscrire dans la même ligne que leurs prédécesseurs, qui ont tous joué un rôle avant-gardiste en matière de stabilité de la région. Cette position constante depuis 1960 est sous-tendue par le courage et le sens élevé de patriotisme dont font montre les Forces de défense et de sécurité, piliers de la République. Certes nous avons connu des craquelures qui pouvaient et qui ont certainement réveillé des velléités insurrectionnelles chez certains, mais les ressorts qui sous-tendent nos fondements démocratiques ont tenu. Et c’est cette résilience que le Sénégal devrait montrer à ces apprentis dictateurs pour faire revenir dans les pays de l’Aes, un printemps de démocratie et de liberté.
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En effet, Assimi Goïta n’a fait qu’emboîter le pas à ses deux congénères putschistes, Tiani et Traoré. Ils pensent avoir le même destin ; celui de s’éterniser à la tête de leurs Etats sans aucune légitimité démocratique ni populaire.
La manifestation géante du mercredi 30 avril au Burkina pour soutenir Ibrahima Traoré d’on ne sait quel exploit guerrier, se situe dans cette logique. Ne nous y méprenons pas, c’est le même Peuple qui applaudissait Thomas Sankara, puis son bourreau Blaise Campaoré. Il faut toujours se méfier des foules. Le Général De Gaulle disait à Pompidou à propos de la foule qui l’acclamait, que «c’étaient les mêmes» qui applaudissaient le Maréchal Pétain.
Une lueur d’espoir surgit toujours dans la nuit noire. Elle est projetée par de nombreux démocrates maliens, des jeunes surtout. Ils expriment tous la sensation d’avoir été amputés de quelque chose à laquelle ils ont droit. Ceci rassure pour des lendemains meilleurs, car les grandes révolutions débutent souvent modestement…
Penda DIENG – Politiste (pendamamadoudieng@gmail.com)