Consternation, sidération, inquiétude ; les qualificatifs ne manquent pas pour commenter ce qui s’est passé le 20 janvier, lors de l’investiture de Trump.
En ce qui me concerne, j’ai juste haussé les épaules car je m’attendais à ce cirque après que 74 millions d’Américains ont été séduits par les péroraisons, les emportements et les propos hyperboliques et toujours sans fondement du milliardaire. L’attaque du Capitole le 6 janvier 2021, dans la plus vieille République du monde, n’a pas suffi à réveiller les consciences. Mieux, les émeutiers ont été graciés et récompensés.

J’aurais pu partager ce même sentiment d’inquiétude profonde après avoir vu le Président américain menacer ses voisins mexicains et canadiens avec une désinvolture qui pourrait même sonner les âmes les plus combatives.

J’aurais pu partager ce même sentiment d’inquiétude profonde après l’avoir vu signer un déluge de décrets dont la plupart, les oraisons funèbres, fort heureusement, ont déjà été prononcées par certains juges américains.

Mais le 20 janvier, c’est la joie toute insouciante de l’entrée en politique d’un ami cher à mon cœur que j’ai choisi de retenir. Inconsciemment, cette nouvelle a rendu moins cruels les périls et errements me provenant d’outre-Atlan­tique et d’ici. Une petite nouvelle politique me dira-t-on, dans cet océan de menaces.
Certes, mais ça a suffi pour me conforter qu’il y a encore des gens qui se préoccupent du sort commun, qui croient au destin commun, des gens qui, comme moi, pensent que c’est l’engagement de chacun qui fait une Nation.
Pour le Sénégal, le 20 janvier, j’ai également haussé les épaules quand on nous annonce que nous avons un «un Etat contraint dont les marges de manœuvre budgétaire et financière n’existent quasiment plus». Je n’ai pas cherché à comprendre ce qu’ils veulent dire par ces propos. Cela m’arrange peut-être de ne pas en avoir l’explication précise. Car j’aurais du mal à saisir comment, dans un Etat qui fait face à une situation financière inextricable, l’on décaisse des milliards pour dédommager des émeutiers qui s’en sont pris à nos infrastructures et ont brûlé une université.

Le professeur Cheikh Anta Diop dont l’université porte fièrement le nom, serait révulsé s’il était encore parmi nous.

Il serait aussi révulsé de voir le panafricanisme galvaudé à tort et à travers par ces gens qui n’ont en commun avec lui ni le parcours, ni la science, ni la culture, ni les valeurs, ni la vision du monde ; en somme rien qui leur permette de se prévaloir sentinelles du panafricanisme.

Un vrai panafricain ne va pas se piquer de sympathies avec des putschistes en manque de légitimité, qui utilisent le panafricanisme en oubliant que celui-ci est avant tout démocratique. Dans ces Etats, aucune perspective sérieuse n’est donnée aux citoyens si ce n’est la surenchère, la détestation de l’autre, et surtout l’exploitation des émotions. C’est l’autre qui est pointé du doigt. C’est toujours l’autre qui est à l’origine de tous les maux. Est-ce vrai, laissons le tribunal de l’histoire en juger…

Le rôle du Sénégal est de rappeler à ces Etats que le souverainisme commence par l’élection. Quand on n’est pas élu, on n’est pas légitime, donc on se garde de donner des leçons.

Le Sénégal n’a pas à s’excuser de rester une démocratie loin des furies putschistes et des saillies souverainistes du Sahel.

Notre bateau a certes tangué. Les ressorts sur lesquels nous sommes assis ont connu des craquelures certes, mais nous avons tenu grâce à notre commun vouloir de vie commune. Ce n’est pas pour autant que nous devons nous laisser aller à un excès d’optimisme. Je n’aurai pas la cruauté de rappeler à certains politiques les appels insurrectionnels qu’ils multipliaient dans le seul but d’arriver à leurs fins, comme je ne vais pas rappeler à certains entrepreneurs politiques aux calculs personnels égoïstes et à courte vue leur conviction d’antan, l’exercice ici n’est pas de faire un procès. Je ne crois pas à la division, je crois à l’unité car sans elle rien n’est possible. Je ne crois pas qu’il soit possible de diviser les Sénégalais entre bons et mauvais citoyens. Je crois qu’il n’y a que des Sénégalais animés par le simple désir de participer à l’effort de la société de demain.

Je crois qu’il y a toujours des Sénégalais pour qui le projet collectif est plus fort que les ambitions personnelles, des Sénégalais avec qui nous partageons des valeurs humanistes, des Sénégalais qui croient à un avenir meilleur.

Et ces Sénégalais, il faut aller les chercher en employant un langage qui leur parle sans aucune exclusion. Mon ami a raison de continuer sa réflexion sur la politique en y «adjoignant l’action sur le terrain». Il nous faut nous employer à porter la bonne parole sur le terrain, car celui-ci est miné par les discours fanatiques qui obscurcissent la raison. Et ce n’est pas en adoptant une attitude frileuse que nous pourrions y changer quoi que ce soit. Notre responsabilité à nous est l’action, car toute inertie de notre part est coupable.

Pour ma part, ma détermination n’a jamais faibli. Aujourd’hui plus que jamais, je me battrai pour que mes cousines de Keur Demba Anta puissent aller à l’école et avoir les mêmes chances de réussite que nous.

Je me battrai pour éviter aux jeunes femmes de Kha­rekhenia, précocement ma­riées, d’accoucher sur des charrettes avec de fortes chances d’y laisser vie et espoir. Je me battrai pour qu’aucune jeune fille ne porte en elle les conséquences d’un viol, je me battrai pour qu’aucune autre fille ne revive le calvaire de la petite Awa de Joal.

Parce que je reste convaincue qu’il y a encore de la grandeur à s’occuper des plus fragiles.
Penda DIENG