Je ne sais pas s’il y a un Sénégalais qui, au fond de lui-même, est encore convaincu que ce monsieur apportera un quelconque progrès à notre pays, mais le désenchantement sera brutal. Ousmane Sonko avait solennellement déclaré que l’une des premières lois que son gouvernement ferait voter, est celle criminalisant le goorjigeenisme dans notre pays. Dix-huit mois après son règne en duo avec Diomaye, Rien, tus, nada.
On nous a proposé toutes sortes de lois, y compris celle dite interprétative qui n’apporte aucune plus-value à notre démocratie et à l’Etat de Droit. Le chef de la majorité parlementaire a pourtant tous les leviers pour tenir cette promesse, mais il semble que des propositions loufoques sont préférées à la demande sociale sur cette question. Ce qui se passe dans ce pays est une imposture collective : on avait proclamé que la criminalisation de l’homosexualité était une demande sociale urgente. On est même allé plus loin : on a accusé Macky Sall de dérouler un agenda Lgbt ! Dieu est vraiment miséricordieux, sinon Il se serait détourné de notre pays pour le laisser au diable. Tant de mensonges, d’hypocrisie, de diffamations au nom de l’éthique et de la religion. Aujourd’hui, c’est l’omerta sur cette question. Plus de lobbying, plus d’émissions télé sur la question, encore moins de mobilisation. Sa sainteté Mu Sel-Mi ne doit pas être contrarié, ni même dérangé. Ça risque de finir très mal, cette arnaque contre le Seigneur.
Les populistes et les démagogues sont des parasites idéologiques : ils n’ont aucune espèce de conviction, ce sont des opportunistes dont le seul génie réside dans leur manie à canaliser la peur et d’en faire un levier politique fondamental. Ils se comportent parfois comme des charognards de la haine : ils épient les pulsions du bas peuple pour en recueillir les données afin de les utiliser contre leurs adversaires. Michel Lacroix a raison, le populiste, comme le fasciste qui en est souvent l’achèvement, considère le Peuple comme une pâte à modeler à sa guise.
Les individus se glorifiant d’être militants d’une cause dont ils ignorent jusqu’au nom, sont paradoxalement les plus fanatiques et les plus intolérants envers tout ce qui a l’outrecuidance de sonner comme une dissonance. C’est que comme l’explique Michel Lacroix : «La conjugaison de l’émotion, de l’exaltation, de l’enthousiasme, d’un côté, et de la soumission, de la discipline, de l’obéissance, de l’autre, donne naissance dans les textes fascistes à de curieux et contradictoires syntagmes.» Le fascisme se nourrit du narcissisme collectif : l’exaltation de l’absurde et du mensonge flagrant suffit à les convertir métaphysiquement en leurs contraires.
Je disais récemment dans une discussion avec un ami Facebook que la politique est comme la magie : elle permet de faire «être» ce qui ne devrait logiquement pas être. C’est le seul domaine (excepté dans l’ontologie sartrienne) où le non-être est miraculeusement source de l’être. Ceux qui, dans leur vie, n’oseraient, même dans leurs rêves, t’affronter dans des joutes sereines et discursives, s’encagoulent derrière des qualificatifs usurpés à la langue pour te détruire, détruire tes biens, ta renommée acquise sur la base de sacrifices et d’abnégation. Le populisme en politique, c’est la rancœur érigée en dogme. La sacralisation de leur leader obéit à cette logique : de même qu’il existe dans certaines mythologies religieuses, la fontaine de jouvence, la personne du chef devient, pour les illuminés qui ont soif de vengeance, une fontaine de sainteté et de recyclage. Fais, s’il te plaît une petite enquête dans tes relations : les personnes que tu connais et qui trainent des complexes, des lacunes et des blessures psychologiques sont toutes dans cette engeance.
Ceux qui attendent de ce régime le respect de ses promesses, ne sont pas naïfs, ils sont eux-mêmes les complices de cette imposture tragique qui est le seul horizon de leurs rêves de grandeur. Mais la grandeur est dans l’âme du fasciste synonyme de vengeance, d’humiliation de l’autre. La force du fasciste, c’est d’organiser la canalisation de la haine, sa fixation sur ses adversaires. Dans le premier chapitre de son fabuleux Purifier et détruire, Usages politiques des massacres génocidaires, Jacques Semelin explique la façon sournoise dont le fascisme cannibalise toutes les rancœurs individuelles et collectives pour les diriger vers une personne :
«Le premier ressort de leur rhétorique imaginaire consiste à transformer l’angoisse collective, qui s’est plus ou moins propagée dans la population, en un sentiment de peur intense à l’égard d’un ennemi dont ils vont dépeindre toute la dangerosité (…) Cette tentative de canalisation de l’angoisse sur un ennemi bien identifiable est déjà une manière de répondre au traumatisme de la population : on lui explique d’où vient la menace. A partir de cette «transmutation» de l’angoisse larvée en une peur concentrée sur une «figure» hostile, la haine se développe contre cet «Autre» malfaisant. La haine n’est pas ici une donnée de base, qui définirait au préalable des rapports «naturels» entre des groupes. C’est plutôt une passion construite, produite à la fois par une action volontaire de ses zélateurs et par des circonstances qui favorisent sa propagation. Au final, l’issue logique et redoutable de cette dynamique -de l’angoisse à la haine- revient inévitablement à faire émerger dans une société, le désir de détruire ce qu’on lui désigne comme cause de la peur. Certes, il ne s’agit encore que d’un «désir» : nous restons bien dans le registre de l’imaginaire. Mais c’est un imaginaire de mort.» Ch.1, Les imaginaires de la destructivité sociale.
On voit donc que la problématique de lutte contre l’homosexualité n’était qu’un alibi pour ce parti qui prétend être celui des patriotes. Ils n’y croyaient guère, pas plus qu’ils ne croyaient d’ailleurs à la vieille doléance de la Société civile sur l’appel à candidatures pour les postes de directeur de sociétés nationales. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, mais il est représentatif d’un constat qui a valeur de loi : ils feront beaucoup de bruit et nous feront perdre beaucoup de temps pour rien. Il est loisible à chaque Sénégalais de voir si le phénomène homosexuel s’est exacerbé ou plutôt infléchi.
Alassane K. KITANE