La semaine dernière, les services du ministère des Finances et du budget ont voulu nourrir une certaine polémique à propos d’une levée des fonds sur le marché de l’Uemoa. Ladite levée des fonds, d’un montant de 25 milliards, a été infructueuse. Le débat avec le personnel du ministère a failli sortir de la sémantique, pour savoir si l’appel du gouvernement a été rejeté, ou si les autorités ont jugé bon, pour des raisons qui leur étaient propres, de retirer la soumission. Si les services de M. Diba ont arrêté les frais, c’est qu’ils ont compris sans doute qu’ils ne pouvaient avoir raison face à l’évidence. Le Sénégal a l’habitude de recourir au marché financier sous-régional pour lever des montants plus ou moins importants, à des maturités assez courtes. D’ailleurs, le pays a déjà programmé avant la fin de l’année, un certain nombre de sollicitations des acteurs du marché de l’Uemoa, pour obtenir de l’argent remboursable à des échéances plus ou moins courtes. Le Quotidien avait d’ailleurs annoncé que les prochaines sollicitations pour des Bons assimilés au Trésor (Boa), de la part du Sénégal, sont prévus les 13 et 27 décembre prochains. C’est-à-dire quasiment demain et après-demain.

Lire la chronique – Cultiver enfin la transparence

La vraie question est de savoir ce qui peut justifier cette boulimie de ressources extérieures, pour un régime qui n’a jamais lésiné sur les critiques envers ses prédécesseurs, qu’il accusait de manque d’ambitions et d’inféodation à l’argent de l’étranger. Cela, au point de faire du recours aux ressources intérieures l’un des piliers les plus importants du financement de l’ambitieuse «Vision 2050», qui a été initiée par le Président Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko, pour remplacer le Pse de Macky Sall. Même s’il a déclaré avoir trouvé le pays «au 3ème sous-sol de la déchéance» économique, le Premier ministre Sonko ne semble pas trop souffrir de manque de finances, contrairement à ses déclarations du mois de septembre dernier.

Lire la chronique – Sortir la pêche des eaux troubles

Il avait affirmé à l’époque s’être rendu compte que tous les comptes de l’Etat étaient falsifiés et le niveau d’endettement du pays largement sous-évalué, tandis que le taux du déficit serait du double de celui préalablement annoncé. Cela nous a valu la suspension de nos accords de coopération avec le Fonds monétaire international dans le cadre du Mécanisme élargi de crédit et de la Facilité élargie de crédit (Mec/Fec), ainsi que la suspension d’un financement de plus de 350 milliards de Cfa que le Conseil d’administration du Fonds devait nous avancer sur un montant total de 1150 milliards. Les autorités politiques avaient semblé dire que cette décision provenait plus de leur «volonté de transparence» que des déclarations jugées quelque peu intempestives des autorités, aux dires de certains observateurs.

Mais on s’est rendu compte que les choses n’allaient pas en s’améliorant, quand le 30 octobre dernier, le Sénégal est allé lever un Eurobond de 181 milliards de francs Cfa, à un taux de 6, 33%. Les services du ministre Cheikh Diba l’ont ainsi présenté : «Cette opération répond à une nécessité de consolidation du financement en raison du report des décaissements initialement prévus du Fonds monétaire international (Fmi) à la suite de l’audit. Le gouvernement envisage d’entamer des discussions avec le Fmi pour établir un nouveau programme aligné sur les objectifs d’assainissement du cadre macroéconomique et la mise en œuvre de la vision de développement des nouvelles autorités.

(…)Cette opération démontre une adhésion aux nouvelles orientations du gouvernement du Sénégal en matière de gestion transparente des finances publiques et à la vision «Sénégal 2050» du nouveau référentiel des politiques publiques.

Lire la chronique – 5 ans pour tenir les promesses

La baisse de la liquidité dans le marché domestique en fin d’année et le volume des ressources recherchées ont justifié le choix de recourir au marché financier international».

Cette levée de fonds d’eurobonds est intervenue après une opération similaire de 450 milliards de francs Cfa, de 7,75% pour une maturité de 7 ans. Cette opération de juin 2024 avait servi, aux dires des spécialistes, à refinancer des dettes qui arrivaient à terme. Le second aussi, si l’on comprend le communiqué du ministère, semblait poursuivre les mêmes objectifs. Mais l’opération pourrait-elle être fructueuse, quand elle manque de transparence ?

Lire la chronique – L’Agro-industrie a besoin d’un changement de vision

L’Eurobond d’octobre dernier, prétendument réalisé à 6, 33%, serait revenu beaucoup plus cher. Ainsi, Redd Intelligence, un magazine anglo-saxon d’information économique à la réputation bien établie dans les milieux financiers, déclare que «le Sénégal s’est endetté à un taux de 9, 7%». Ce serait ainsi le taux le plus élevé auquel le pays se serait jamais endetté sur le marché international. La faute en serait aux conditions dans lesquelles le gestionnaire JP Morgan a négocié cette levée. Ces conditions seraient, à en croire des Sénégalais spécialistes des questions de finances internationales, aussi opaques que lors de l’Eurobond de juin dernier dont tout le monde a noté qu’il n’a pas été levé aux taux auxquels le Sénégal est soumis d’habitude. Du moins, était soumis durant les gouvernances passées. Il faudrait aux autorités beaucoup de travail pour retrouver un niveau de confiance qui leur permette de faire baisser les taux d’emprunts ultérieurs. Cela demanderait de clarifier les relations du Sénégal avec JP Morgan. Pourquoi avoir choisi de traiter exclusivement avec ce seul gestionnaire, au lieu de faire comme ce qui se fait habituellement, en recourant à un pool de sociétés de gestion, pour obtenir les meilleurs taux ? Qu’est-ce que JP Morgan pourrait apporter de plus au pays, que les autres n’auraient jamais fait ? Pour le moment en tout cas, son intervention ne rend pas les choses plus claires, et le Sénégal n’en devient pas moins pauvre et moins endetté. Et par conséquent, il n’obtient pas plus d’argent qu’il en avait l’habitude. Témoin, les malheureuses péripéties que nos levées de fonds commencent à connaître sur le marché de l’Uemoa. L’échec de la levée des 25 milliards a été un gros camouflet. Mais il a caché les petits revers enregistrés avec certaines autres opérations sur le même marché.
Si la signature du Sénégal n’emporte plus la même crédibilité qu’il y a quelque temps, il faudrait sans doute que nos autorités politiques interrogent leurs comportements. Est-il normal, depuis l’acquisition de ces différents crédits extérieurs, que l’opinion ne sache pas à quoi sont destinées ces finances, et comment elles seront réparties ? Si le dernier Conseil des ministres nous a enfin informés de l’adoption d’une Loi de finances rectificative (Lfr), un journal local a déclaré dans son édition d’hier, que ladite Lfr n’est pas encore arrivée sur la table des députés. Or, plus l’incertitude demeure, moins il y a des chances que les finances du Sénégal se stabilisent. Le Sénégal semble parti pendant un certain temps, pour contracter des dettes à court terme afin de régler ses problèmes immédiats d’argent. Et la mise en œuvre de la Vision 2050, qui est censée en finir avec le tâtonnement dans nos projets de développement, n’en sera que retardée. Même si les relations avec le Fmi sont suspendues à l’heure actuelle, le gouvernement pourrait s’inspirer de certaines lignes du dernier rapport de mission de cette institution lors de son passage en octobre dernier au Sénégal. Edward Gemayel et ses collaborateurs avaient écrit : «Le Sénégal continue de faire face à un environnement difficile, avec des signes de tensions accrues dans l’exécution du budget. Le manque à gagner en termes de recettes, identifié lors de la dernière visite des services, a été confirmé à fin septembre. Parallèlement, les dépenses sont restées élevées, principalement en raison d’une augmentation substantielle des dépenses d’investissement.»

Ils ont ajouté plus loin : «A l’avenir, il est essentiel que les autorités mettent en œuvre des mesures audacieuses et rapides pour assurer la viabilité des finances publiques et placer la dette publique sur une trajectoire décroissante. La Loi de finances 2025 représente une occasion cruciale pour le gouvernement de réaffirmer son engagement en faveur des réformes essentielles et de répondre aux défis structurels de longue date. Des actions stratégiques pour renforcer la mobilisation des recettes domestiques (…) seront déterminantes pour favoriser la discipline budgétaire et renforcer la confiance dans la gouvernance publique.»
Par Mohamed GUEYE – mgueye@lequotidien.sn