Selon l’argentier de l’Etat devant la représentation parlementaire, la dette de l’Administration centrale était estimée, en fin juin 2022, à 11 326 milliards F Cfa. Un fardeau pour la trésorerie publique sur les 15 prochaines années. Le rythme d’accroissement du stock de la dette dont une partie -celle obligataire en eurobonds- connaitra avec le cours actuel du dollar Us et le relèvement des taux directeurs des banques centrales une allure exponentielle. On peut rigoureusement projeter que le plafond des 20 000 milliards de dettes sera atteint dans les 5 prochaines années, même avec le scénario d’un paiement régulier de nos obligations, l’effet boule de neige des taux d’intérêt, du taux de change et du principal combiné, vous explose la dette. Nous en serons ainsi à 75% du Pib nominal du pays, même en y escomptant les revenus du pétrole et du gaz qui en assurent la viabilité et la soutenabilité, selon les termes de Bretton Woods.
L’avantage d’un équilibre politique au Parlement de la place Soweto a permis d’en savoir de manière précise sur les agrégats de la dette, heureusement pour le pays, avec un nouvel argentier plus technocrate que politique dont le discours responsable sur l’endettement est plutôt à saluer. Toutefois, nos parlementaires devraient mettre l’accent sur les niveaux d’endettement des administrations périphériques, à savoir sociétés nationales, agences et établissements publics, etc. D’ailleurs, le rapport de la Cour des comptes sur la dette de la Sones montre que nous avons un endettement important de ces entités adossées à l’Etat, qui ne laisse plus de marge au trésorier public. Notre souveraineté économique et financière est très compromise.
Les revenus pétroliers et gaziers, qui se projettent déjà dans le budget 2022, attirent malheureusement de nouveaux types de chasseurs et prédateurs de créances, appelés fonds vautours. Ils opèrent sur le marché secondaire des dettes de pays d’Afrique et d’Amérique latine, avec la complicité des pouvoirs corrompus souvent peu légitimes et des administrations faibles. Des pays comme le Congo et la Zambie sont régulièrement ciblés par les fonds vautours.
Ces dernières décennies, à la faveur de l’expansion du marché secondaire de la dette, ces nouveaux acteurs ciblent nos futurs revenus du pétrole et gaz, au point de remettre en question l’opportunité du «modèle de la dette échangeable» qui concerne la dette souveraine. Ce sont les chasseurs de créances souveraines ou «fonds vautours» – nom donné aux fonds qui achètent la dette des Etats en difficulté de paiement, souvent en dessous de sa valeur nominale, et qui cherchent à en recouvrer le montant intégral, souvent par le biais de procès devant les tribunaux européens et américains – lieu de résidence des majors qui exploitent nos ressources en hydrocarbures.
Pour les créanciers intransigeants, les initiatives d’allégement de la dette, notamment pour les Ppte, ne modifient en rien les droits et obligations légales entre les Ppte et leurs créanciers extérieurs. Par conséquent, en attendant que les Ppte débiteurs et leurs créanciers parviennent à des accords juridiques bilatéraux dans le cadre de l’initiative Ppte, les créanciers peuvent légalement recourir aux mécanismes juridiques existants pour recouvrer leurs créances auprès des Ppte. On a observé dans certains cas, qu’avant d’atteindre ce point de décision, les Ppte ont remboursé aux créanciers commerciaux, l’intégralité de leur dette après un procès devant une juridiction étrangère, et sous la menace des saisies de réserves de changes ou d’autres actifs.
Pour ce qui nous concerne, un endettement de 45 milliards pour l’achat d’armes au profit des services des eaux et forêts est le type de transaction qui peut se titriser sur le marché secondaire de la dette souveraine et faire l’objet de transaction à la décote, avec un fonds vautour qui peut l’exécuter en paiement, après un procès à Paris ou New York, sous la menace des saisies de nos futurs revenus pétroliers ou de tout actif appartenant au Sénégal comme un immeuble ou un avion, etc. Combien de transactions similaires à celles de Petit Boubé‘ ont cours au Sénégal avec les Turcs, Français, Israéliens, Indiens et Chinois car nous signons des contrats de prêt à tout va, pour des infrastructures ou des équipements surfacturés.
Avec les cabinets d’avocats parisiens, londoniens et new-yorkais, ces contrats peuvent être de véritables cauchemars, surtout après 2024. Tout l’investissement dans notre pays repose de plus en plus sur l’endettement souvent non institutionnel. Nous permettons de plus en plus à des aventuriers affairistes de haut vol d’opérer dans notre pays sans la diligence nécessaire.
Les fonds vautours achètent des crédits, souvent à très bas prix, dans le but d’engager des poursuites contre le débiteur pour l’amener à rembourser intégralement sa dette. Leurs taux de recouvrement représentent en moyenne 3 à 20 fois leur investissement, ce qui équivaut à des rendements (nets des frais de justice) de 300 % à 2000 %. Leur modus operandi est simple : acheter une dette d’une entité en difficulté à un prix dérisoire, refuser de participer à la restructuration, puis recouvrer le montant total de la dette, souvent à la valeur nominale plus les intérêts, arriérés et pénalités, à travers un procès si nécessaire. Les fonds vautours entraînent les pays pauvres dans une suite de procès, une pratique appelée «champerty» qui est généralement inconnue des systèmes juridiques africains. Les procédures judiciaires sont généralement longues et comportent de nombreuses actions en Justice dont le «règlement» prend trois à dix ans.
La courbe d’évolution de la dette et les nouveaux créanciers fait que notre pays est une proie facile pour les vautours et chasseurs de créance qui se présentent souvent en amis et partenaires. C’est un avatar des formes de convoitises sur nos ressources pétrolières et gazières. C’est le moment d’être extrêmement vigilant et pointilleux sur les sources et circuits d’endettement pour le Sénégal.
Moustapha DIAKHATE
Expert en finance
d’infrastructure Ex-Conseiller Spécial PM