Les modes de financement des musées privés en Afrique : A Lomé, le Musée Paul Ahyi inquiet pour sa survie

Les musées privés en Afrique sont confrontés à des défis de financement pour assurer leur survie. A Lomé au Togo, le Musée Agnassan Paul Ahyi, depuis sa création, fonctionne, selon ses responsables, sur financement de l’Institut français du Togo et des recettes des visites. «C’est insuffisant», affirme Komlan Daniel Agbenonwossi, le curateur du musée.
Des ressources limitées, des ambitions immenses… Comme de nombreux musées privés sur le continent, le Musée Paul Ahyi doit composer avec l’absence de subventions publiques pérennes. Selon Daniel Agbenonwossi, le musée explore actuellement des alternatives, notamment la mise en valeur de son espace pour attirer davantage d’événements culturels ou privés, mais aussi la vente d’œuvres de Paul Ahyi. Evidemment, cette logique d’autofinancement s’impose pour survivre dans un contexte où l’investissement public dans la culture reste faible. Or, ce modèle a ses limites. Un musée comme celui d’Agnassan ne peut se transformer en salle de location ou en galerie commerciale sans trahir sa vocation première qui est celle de conserver et diffuser l’héritage d’un artiste visionnaire et par ailleurs auteur du drapeau togolais.
Derrière les façades du musée, ornées de céramiques et de sculptures monumentales, un autre tableau se dessine, celui d’une lutte incessante pour la survie financière. Et Komlan Daniel Agbenonwossi, curateur et directeur de programme, ne cache pas son inquiétude. D’après lui, le musée fonctionne grâce à une combinaison fragile : les fonds de l’Institut français du Togo, les recettes des visites, quelques revenus générés par la location d’espaces pour des événements et des produits dérivés comme des cartes postales. «C’est insuffisant. Et le fait de ne pas avoir été présent sur le marché international complique l’estimation de la valeur de ses œuvres», martèle-t-il. Nommé «Artiste pour la paix» par l’Unesco en reconnaissance de sa contribution au dialogue culturel et à la paix à travers l’art, Paul Ahyi a laissé un héritage immense, mais encore largement méconnu en dehors du Togo, ce complique la valorisation économique de ses œuvres. «Paul Ahyi est longtemps resté en autarcie. Il a passé quasiment toute sa vie au Togo. Bien qu’il ait reçu des commandes à l’extérieur, il a préféré vivre ici après avoir terminé ses études», explique Agbenonwossi.
En Afrique, les musées privés souffrent de modèles économiques précaires. Et le Musée Paul Ahyi n’est pas un cas isolé. Souvent, ces institutions naissent de la passion d’un individu ou d’une famille, mais manquent de mécanismes pour garantir leur pérennité. Le projet a commencé au début des années 1990, explique sa veuve Charlotte Ahyi, citée par le site d’information Togoactualité.com. «Au départ, ça devait être notre maison. Puis on a décidé d’en faire un musée», reprend Charlotte Ahyi. Depuis son décès, en janvier 2010, sa femme et ses enfants ont continué petit à petit. «Si Paul Ahyi était le favori du Général Eyadema, l’Etat n’a aucunement contribué à édifier le petit musée. Je les ai contactés pour avoir des financements, mais personne ne m’a jamais répondu», se désole Charlotte Ahyi.
Une dépendance qui fragilise
La question des partenariats avec des institutions internationales, comme l’Institut français ou des fondations privées, se pose alors. Si ces collaborations permettent de souffler un temps, elles créent aussi une dépendance qui fragilise encore davantage les structures. Pourtant, Daniel Agbenonwossi reste optimiste. En travaillant à mieux valoriser les œuvres de Paul Ahyi, en multipliant les collaborations locales et internationales, et en sensibilisant le public togolais à l’importance de ce patrimoine, il espère donner un second souffle au musée. «Aujourd’hui, il y a un travail en cours pour évaluer les œuvres de l’artiste, décédé depuis un certain temps», dit-t-il. Toutefois, il faut reconnaître que la survie des musées privés en Afrique, comme celui d’Agnassan Paul Ahyi, pose une question plus large, celle de la place accordée à la culture dans les politiques publiques et les mentalités. Si des artistes comme Paul Ahyi ont marqué leur époque par leur créativité, le défi pour les générations futures sera de préserver cet héritage. En attendant, dans les allées silencieuses du musée, les œuvres monumentales de Paul Ahyi continuent de raconter l’histoire d’un homme et d’un pays. Mais pour combien de temps encore ?
Cette enquête a été réalisée dans le cadre de la session de formation de l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif) sur la découvrabilité des œuvres culturelles africaines, à Lomé (Togo). Une formation au profit de 30 jeunes journalistes culturels venus de 16 pays dont 9 de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et 7 de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (Ceeac).
Par Ousmane SOW (Sénégal)ousmane.sow@lequotidien.sn
et Karess ESSIANE (Cameroun)