Le mouvement des forces dites vives de la Nation, appelé pompeusement F24 et regroupant le landerneau de la pseudo Société civile associée à quelques partis politiques de l’opposition, entend s’identifier au mouvement révolutionnaire du 23 juin 2011 (M23) qui a été à la base du départ du régime du Président Wade en 2012. Désagrégé par l’absence d’un projet alternatif de société et programme de gouvernement au vu de l’imposant bilan du régime actuel et des perspectives mirobolantes à tout point de vue d’un Sénégal en voie d’émergence, les animateurs du F24 voudraient que les mêmes conditions qui ont engendré le départ du régime du Président Wade en 2012, se reproduisent ici et maintenant à la veille de la Présidentielle de 2024. En effet, l’opposition actuelle est en train de développer des stratégies tendant à recréer la même atmosphère politique contextuelle qui prévalait sous la gouvernance du Président Wade, afin que les mêmes causes puissent produire les mêmes effets et favoriser ainsi les conditions d’un renversement de situation. Cette néo-opposition oublie que pour qu’une lutte soit révolutionnaire, il faut qu’elle soit basée sur des causes justes et réelles pouvant mobiliser les populations.

De la comparaison entre le mode de gouvernance du Président Wade, qui a engendré le mouvement révolutionnaire du 23 juin, occasionnant son départ du pouvoir, et le mode de gouvernance du Président Macky Sall, les différences sont aussi évidentes qu’extrêmes. Au jeu des comparaisons, il est très étonnant que l’opposition actuelle veuille assimiler les mêmes conditions qui ont concouru au départ du régime du Président Wade, à celles d’aujourd’hui, foncièrement d’un tout autre ordre.

Nous nous souvenons bien, car il s’agit d’histoire récente, de la lutte du Peuple contre le régime du Président Wade qui tendait à saper les fondements de la République et de l’Etat de Droit avec le tripatouillage de la Constitution, la tentative de monarchisation du pays, l’affairisme d’Etat érigé en règle. Au plan économique, nous avions assisté à la dilapidation des ressources publiques (Oci, Fesman, Plan Jaxaay, Monument de la Renaissance, etc.), à une régression de la croissance économique, aux émeutes de l’électricité, à l’effondrement du monde rural, à la mise à sac des Ics et de la Sonacos, entre autres désagréments.
Cet état de fait avait amené les forces sociales et politiques à se soulever et à faire corps autour des Assises nationales qui ont permis de réunir les conditions de la formation d’un programme alternatif crédible contre un pouvoir rétrograde et de précipiter son départ. Ce contexte, qui avait prévalu entre 2000 et 2012 et qui avait amené la révolution du 23 juin, ne saurait être comparé à la situation actuelle.

La situation actuelle reste marquée par une évolution de la croissance économique, autour de 3% en moyenne sous le régime de Wade, à presque 6% en moyenne dans la période 2012-2023, avec une progression tendancielle à deux chiffres à court-moyen terme. Il s’y ajoute l’amélioration progressive et durable de l’offre d’électricité, la couverture universelle en eau des populations, le relèvement de la qualité de l’enseignement et de la formation avec l’augmentation du volume des investissements sur l’éducation, la réalisation d’un nouveau Pôle économique et urbain de Diamniadio, de l’autoroute Ila Touba, du nouvel aéroport Blaise Diagne, du prolongement de la Vdn jusqu’à Saint-Louis, de l’autoroute à péage jusqu’à Kaolack, du Ter, des programmes d’autosuffisance en riz, oignons, pommes de terre, viande, lait, bananes, du Pudc, de la Cmu, qui sont autant de faits tangibles devant être la préoccupation de la classe politique et de la Société civile, afin de proposer des projets alternatifs crédibles.

La démocratie, et son approfondissement, n’est plus un sujet crucial de débat dans le Sénégal d’aujourd’hui, comme ce fut le cas sous la gouvernance du Président Wade, tant les acquis se maintiennent et il y a progrès, au point que la référence au mouvement du 23 juin, dans le contexte actuel, relève du chimérique. Georges Sorel disait à propos de la non-réplétion de l’histoire, qu’il ne faut pas que nous agissions guère que sous l’action de souvenirs qui sont beaucoup plus présents dans notre esprit que les faits actuels, pour dire que, si la mythologie révolutionnaire est gratifiante, il faut que notre opposition actuelle cesse de rêver de la survenue d’un 23 juin bis et de revenir à la réalité, car le débat actuel, c’est de voir comment agir pour maintenir le Sénégal vers l’émergence à nos portes, dans un monde qui se complexifie davantage avec la montée des égoïsmes nationaux, les menaces climatiques et autres catastrophes naturelles, les menaces terroristes et épidémiologiques, les défis démographiques et de l’emploi. Or, sur ce plan, nous ne les entendons jamais, sauf surfer sur la morale ou autres considérations superfétatoires sur la candidature.

Karl Marx disait que l’histoire ne se répète pas, ou alors, ce sera comme une farce pour la première fois… Cette maxime trouve toute sa quintessence dans la posture amalgamiste, manipulatrice et nihiliste du mouvement F24 dont le seul programme se limite à l’éventualité d’une candidature du Président Macky Sall, au demeurant recevable politiquement et juridiquement. Les petits bourgeois dont les intellectuels en sont une catégorie éminente, peuvent être les meilleurs alliés des masses laborieuses, des opprimés ou des marginalisés, comme ils peuvent être les théoriciens de la réaction et de la contre-révolution au service des fascistes les plus patentés. Tantôt les intellectuels savent être des aiguilleurs de conscience pour une cause juste, tantôt ils peuvent ramer à contre-courant pour retarder le progrès pour des intérêts particuliers. Leur grande faculté de rhétoriciens ou de mystification leur confère une grande capacité de nuisance. Cette affirmation de Karl Marx à l’endroit des intellectuels petits-bourgeois s’est vérifiée dans la praxis, lors de la construction de l’Etat soviétique après la révolution d’octobre 1917, lorsque, notamment, Lénine mettait en garde les camarades contre les rhétoriques réactionnaires de Trotski, en ces termes : «Méfiez-vous des tribuns ou des intellectuels harangueurs de foule» ; c’est dire que les intellectuels n’ont pas de position de classe ou d’appartenance réelle à des forces antagoniques entre oppresseurs et opprimés, entre patrons et travailleurs, entre un tyran et son Peuple ou entre une minorité de privilégiés contre une majorité de pauvres et de misérables. Cette absence de position de classe leur confère une instabilité ou erratisme pouvant expliquer parfois leur position opportuniste d’éloignement de la vérité. Ils deviennent alors des sophistes à la remorque de commanditaires pouvant servir leurs intérêts du moment. En effet, ces intellectuels malhonnêtes excellent dans l’art de vouloir transformer un désir imaginaire en réalité par un raisonnement ayant l’apparence de la validité au moyen de règles de la logique, mais qui aboutit à une conclusion inadmissible pour tromper ou faire illusion ; nous pouvons classer la Société civile actuelle au Sénégal dans cette catégorie de petits bourgeois à la remorque de forces obscures, tentant de faire revenir le passé avec la création du F24.

Pour qu’un changement puisse intervenir, il faudrait qu’il y ait régression démocratique et économique, or, sur ces deux plans, depuis 2012, il y a progrès, peut-être insuffisants, mais, progrès tangibles, auquel cas, un 23 juin bis, dans le contexte actuel, relèverait d’aventures romanesques de marchands d’illusions.
Kadialy GASSAMA
Economiste
Membre du Sen et du BP du PS