Dans la conscience collective des populations des deux rives du fleuve Sénégal, il n’y a pas de frontière. Longtemps elles se sont déplacées pour venir cultiver leurs terres qui se trouvent dans l’un des deux pays. Aussi, cette frontière, qui n’existe pas chez les populations, est bien visible avec de nombreux villages séparés par le fleuve portant le même nom, liés par le sang.

Par D. NIANG – Au Fouta, les anciens aiment dire cette expression en pulaar : «mo rewo ronka nde worgo hooda» (Ndlr : A cause de l’impossibilité de continuer à vivre au nord, on a déménagé au sud). Quand les Foutankés parlent de «rewo» (le nord), ils font allusion bien sûr à la Mauritanie qui est juste à côté. Ils partagent les mêmes réalités, les mêmes familles. Ainsi, les populations établies sur les deux rives du fleuve Sénégal sont très en avance sur les Etats : la libre circulation des personnes et des biens est une réalité. Avant les événements tragiques de 1989, des familles entières se déplaçaient pour traverser le fleuve pour l’exploitation de leurs terres, avec surtout l’agriculture de décrue. Mais cette pratique est presque au point mort après le règlement du conflit entre les deux pays, qui ont préféré laisser ce point en jachère.

Des liens par des localités du même nom
Au Fouta, l’autre signe du lien fort entre les populations des deux pays : les villages des deux côtés de la rive ont quasiment les mêmes noms. Les populations y rajoutent juste le complément du nom : «rewo» (nord) pour désigner la localité en Mauritanie et «worgo» (sud) pour le village situé au Sénégal. Dans la région de Matam, il y a Garli, Diowol, Guiraye, Sylla, etc. Et dans le département de Podor, il y a aussi Wending, Ngaolé. En plus, les cantons traditionnels du Fouta (Toro, Halaybé, Lao, Yirlaabé, Hébbiyabé, Bosséa, Nguénar, Damga) vont au-delà de la frontière sénégalo-mauritanienne. Ces localités sont extrêmement liées par la parenté. Et par l’histoire… Et les Foutankés, qu’ils soient de la Mauritanie ou du Sénégal, ont une expression pour matérialiser ça : «maayo wona kérol» (le fleuve n’est pas une frontière en pulaar).
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