(Envoyé spécial à Banjul)
– Le curé de la cathédrale Sainte Marie est sans réserve : Jammeh avait divisé les religions, il avait persécuté l’église, qui s’est sentie trahie lorsque l’ex-Président a déclaré en 2015 que la Gambie est devenue république islamique. Après la défaite de Yahya Jammeh, elle a applaudi et se tourne vers un avenir moins anxieux. Abbé Antoine Sambu demande au nouveau régime de traiter tous les Gambiens sur le même pied. Trouvé à la cathédrale de Banjul, l’abbé Antoine Sambu, curé de Banjul, parle des difficultés de sa communauté, de l’implication du clergé catholique dans le combat pour le départ de Jammeh.
Quel rôle l’église a joué dans le dénouement de la crise gambienne ?
Elle s’est beaucoup impliquée lorsque la crise a débuté. Mais, son implication s’est plus sentie lorsqu’en 2015, l’ex-Président a déclaré que la Gambie est une république islamique. Cela nous a affectés. En déclarant la Gambie, république islamique, c’est comme s’il avait pris parti en disant qu’une religion est plus importante qu’une autre alors que tel n’est pas le cas. Nous étions très remontés contre le Président Jammeh parce que pour nous, il venait de rompre unilatéralement l’égalité entre les fils de ce pays alors que rien ne le justifiait. Pour lui, les catholiques en particulier et les chrétiens en général étaient la seconde classe et les musulmans la première classe. C’était une chose abominable. Nous avions, lors des homélies, attaqué et dénoncé le régime d’alors pour ce qu’il faisait en termes de violations des droits humains.
Les chrétiens sont au nombre de combien ?
Nous représentons environ 10% de la population gambienne. Nous constituons une minorité mais cela ne veut pas pour autant que nous ne devons pas être considérés. D’ailleurs ici, en Gambie, les religions ont toujours vécu dans l’harmonie, la paix et la concorde. Moi qui vous parle, j’ai une partie de ma famille qui est musulmane. Des mariages entre musulmans et catholiques ont toujours existé. Nous ne savions pas quelle mouche avait piqué l’ancien Président pour qu’il déclare que la Gambie était devenue dorénavant une république islamique.
Lorsque le Président Jammeh a pris cette décision, quelle a été l’attitude de l’église ?
Nous nous sommes levés, avec à la tête Monseigneur l’archevêque de Gambie, pour aller rencontrer le Président Jammeh mais il nous avait opposé une fin de non recevoir, avant de nous mettre en rapport avec la vice-présidente. Cette dernière, lorsqu’elle nous a reçus, nous avait signifié que c’est une simple déclaration mais la Gambie ne va pas faire de la discrimination envers ses enfants et que les lois ne seront pas changées, il n’y aura pas l’application de la Charia. Malgré ses assurances, l’église avait dit qu’elle voulait rencontrer en audience le Président Jammeh pour lui dire qu’un chef d’Etat ne se comporte pas comme il l’avait fait. Les dirigeants de la communauté catholique ont tout fait mais le Président Jammeh avait refusé de les recevoir et cela jusqu’à sa perte du pouvoir.
Est-ce que durant tout son règne, il a reçu une fois la communauté catholique ?
Il la recevait en audience durant les fêtes de Noël et de Pâques. Il discutait beaucoup avec les dirigeants de l’église mais après il a cessé. Personne ne peut vous dire la raison.
Avec la crise qui est née après son refus d’accepter le verdict des urnes, est-ce que Yahya Jammeh a cherché à rencontrer les dirigeants de l’église ?
Il a demandé à rencontrer tous les chefs religieux mais l’évêque de Banjul a refusé. Il a motivé son refus par le fait que lorsque la communauté catholique avait voulu le rencontrer, il avait refusé. Donc, réponse du berger à la bergère. Pour Monseigneur, il ne voyait plus la pertinence de rencontrer Jammeh. D’après lui, Jammeh avait perdu les élections, il devait rendre le pouvoir et s’en aller. Lors de la crise, le vicaire avait demandé aux catholiques de cultiver la paix et de s’abstenir de faire certaines déclarations.
Les catholiques sont-ils contents du départ de Jammeh ?
Nous sommes très contents. Il était devenu une personne versatile. Il avait tout déstructuré en Gambie. Aucun secteur d’activité ne fonctionnait. Personne n’osait parler de peur d’être dénoncé et persécuté après. C’était comme du temps de la Gestapo. Jammeh, c’était le règne de la terreur.
Qu’attendez-vous du nouveau régime ?
Qu’il soit un régime impartial. Ce que nous avons vu pour le moment nous rassure.
Si vous étiez en face du Président Barrow, qu’est-ce que vous lui diriez ?
Après l’avoir félicité, nous allons lui demander de redresser l’économie de la Gambie, de ramener la paix, de faire des Gambiens des travailleurs. Le pays doit être un pays de paix comme la Gambie l’a toujours été. Le Président Barrow doit renouer les relations entre tous les pays qui n’étaient plus d’accord avec nous à cause de Yahya Jammeh. Maintenant, nous avons retrouvé notre liberté. Nous étions comme des esclaves.