Entretien avec… Aliou Diouf, trésorier du Cusems : «Il y a deux catégories d’agents dans la Fonction publique…»

A peine la rentrée scolaire actée, les risques d’une perturbation planent déjà sur le bon déroulement de l’année scolaire. Pour Aliou Diouf, trésorier du Cusems, l’Etat a la possibilité d’écarter ce risque en respectant ses engagements. Le syndicaliste a évoqué les pistes de solution. Ainsi, pour lui, les agents de la Fonction publique doivent être traités de la même manière.Les élèves ont commencé ce lundi à faire cours. Peut-on parler d’une rentrée paisible malgré la cherté des fournitures et des inscriptions ?
Certains élèves ont effectivement démarré les cours, par contre, la majorité n’a pas encore commencé pour plusieurs raisons. Beaucoup d’écoles sont sous les eaux, il y a beaucoup d’abris provisoires qui ne sont pas encore fonctionnels. Dans une localité comme Ziguinchor, des écoles ont été brûlées et jusqu’à présent, ces écoles n’ont pas été réhabilitées, s’y ajoute le déficit d’enseignants que la tutelle estime à 8 mille cette année. Ceci constitue une rupture d’égalité pour les enfants de la Nation. Certains font du «Oubi tay jang tay», pendant que d’autres sont obligés d’attendre malgré eux. Pour les inscriptions, l’Etat a pris un arrêté qui fixe le plafond à 5 mille F, mais cette décision risque de créer beaucoup de problèmes s’il n’y a pas de mesures d’accompagnement. Avec la réduction des budgets alloués aux établissements scolaires, ces derniers peinaient déjà à faire face à leurs dépenses, si maintenant on diminue les inscriptions sans une subvention de l’Etat aux écoles, il va de soi que les établissements scolaires ne pourront pas fonctionner correctement.
Déficit d’enseignants, abris provisoires, absence de mesures d’accompagnement pour épauler les établissements…
On peut quand même constater que toutes les mesures qui devaient permettre une rentrée effective des classes n’ont pas été prises.
On a l’impression que depuis 2001, on n’avance pas sur les revendications des enseignants. On a récemment assisté à une hausse des salaires dans le public, notamment chez les enseignants. Qu’est-ce qui pourrait perturber le bon déroulement de l’année scolaire ?
Il y a beaucoup de problèmes dans notre système éducatif, ce qui explique qu’il est constamment perturbé. Nous au Cusems, notre principale revendication depuis presque deux décennies est articulée autour de l’équité dans le traitement salarial des agents de la Fonction publique. Nous avons l’impression qu’il y a deux catégories d’agents dans la Fonction publique : certains à qui on ne refuse rien et d’autres, en l’occurrence les enseignants, à qui on refuse tout, sous prétexte qu’ils sont nombreux. En 2022, il faut le reconnaître, l’Etat a fait un effort pour aller dans le sens de corriger ces disparités dans le système de rémunération, mais malgré ces efforts, le système reste défavorable aux enseignants. Au delà de cette question, il y a d’autres problèmes qui doivent être vite réglés si nous voulons éviter des perturbations. Il s’agit notamment du respect de tous les engagements souscrits par le gouvernement : l’extinction du corps des décisionnaires, la libération des enseignants en prison, la subvention des écoles pour combler le gap lié à la baisse des frais d’inscription, la délivrance des actes de nomination des chefs d’établissement, l’apurement des rappels dus aux enseignants, le reversement des Meps dans le corps des Pcemg en Eps, la prise en charge des difficultés dans la mise en œuvre de l’externalisation du prêt au logement, le recrutement par voie de concours d’un nombre suffisant d’enseignants, l’éradication des abris provisoires, la correction définitive du système de rémunération, la formation de toutes les cibles : chargés de cours Pc et Meps et titulaires de diplômes spéciaux.
Quels sont les risques de perturbations ?
Il y a de réels risques si l’Etat ne va pas dans le sens d’une matérialisation des accords. Mais, au-delà, je pense que dans un souci d’apaisement, les autorités gagneraient à faire libérer les enseignants emprisonnés, surtout dans ce contexte où il ya un déficit criard d’enseignants ; ce déficit qui pousse l’Etat à envisager un recrutement spécial (Ndlr : la Dfc a démenti cette annonce hier dans un communiqué). Donc les risques sont là et tous les acteurs doivent se retrouver pour discuter afin de mettre l’école à l’abri de perturbations, surtout en cette année électorale.
Au cas où l’Etat ne le fait pas, avez-vous déjà un plan d’actions ?
Nous espérons vraiment que l’Etat ira dans le sens de l’apaisement et du respect de la parole donnée, à défaut, il ne nous donnera d’autre choix que la confrontation. Nous allons certainement discuter avec nos alliés pour voir ensemble comment nous allons contraindre le gouvernement à respecter tous ses engagements.
Avez-vous donné un délai pour qu’il respecte ses engagements ?
Pour les questions liées à la formation, il faut dire que nous attendons toujours le démarrage effectif des cours, car toutes les dates ont été dépassées et les concernés ne peuvent plus attendre. Idem pour la question des décisionnaires. Il faut donc qu’une solution soit trouvée ici et maintenant pour ces questions, si vraiment on veut éviter des perturbations. Donc, on peut dire que les délais sont dépassés, la balle est désormais dans le camp du gouvernement.
Hormis le respect des engagements, y a-t-il un autre élément qui pourrait perturber l’année scolaire ?
Oui, on constate, pour le regretter, que très souvent, la politique s’invite dans le milieu scolaire, et puisque nous sommes à la veille de l’élection présidentielle, nous voudrions que l’école soit épargnée cette fois, que les hommes politiques du pouvoir comme ceux de l’opposition acceptent de mettre l’école au dessus des clivages politiques pour l’intérêt supérieur de la Nation.
Que répondez-vous aux gens qui disent que l’école est perturbée à chaque veille d’élection ? Certains disent que l’objectif est de pousser le gouvernement à signer des accords qu’il ne peut respecter.
Je pense que depuis quelques années, l’école est constamment perturbée, même lorsqu’il n’y a aucune échéance électorale. Le fait est que le gouvernement ne réagit que lorsqu’il y a des perturbations, et après les perturbations, ils oublient l’école en attendant la prochaine grève ; ce qui a installé l’école dans un cycle de crises. Lorsque les syndicats déposent un préavis, le gouvernement a un mois pour discuter avec les enseignants, mais très souvent, il affiche du mépris et attend que la grève atteigne son paroxysme pour commencer à négocier. Pourtant, il y a des mécanismes et institutions, comme le Haut-conseil du dialogue social, qui devaient jouer le rôle de facilitateur pour ne pas en arriver là.
On parle de recrutement spécial. Quelle lecture vous en faites ?
Comme en 2021, pour faire face au déficit d’enseignants, l’Etat envisage de procéder à un recrutement spécial. On se rappelle tous des «ailes de dinde» sous le régime socialiste et du quota sécuritaire sous le régime libéral. On voudrait éviter de retourner à des recrutements qui «déprofessionnalisent» le métier. Pour nous, la meilleure façon de recruter, c’est par voie de concours, avec toutes les garanties de transparence et une égalité des chances de tous les candidats. Il faut qu’on revienne à l’orthodoxie en matière de recrutement de personnels dans le secteur de l’éducation.
Propos recueillis par Malick GAYE (mgaye@lequotidien.sn)