Propos recueillis par Pape Moussa DIALLO depuis Berne (Suisse) – Porte-parole du Secrétariat d’Etat suisse aux migrations, Anne Césard détaille dans cette entrevue, le rôle et les compétences du Sem, ainsi que la gestion de l’asile en Suisse. Elle revient en outre sur la coopération du Sem à l’interne et à l’externe d’une part, et d’autre part, sur la politique migratoire du pays. La Suisse compte six régions d’asile qui abritent chacune un Centre fédéral pour requérant d’asile (Cfa). Auprès de ceux qui considèrent l’Europe comme un paradis sur terre, elle fait valoir que la vie en Europe «est loin d’être rose».Présentation du Secrétariat d’Etat aux migrations
«Le Secrétariat d’Etat aux migrations (Sem) est une entité administrative rattachée au Département fédéral (ministère) de justice et police (Dfjp). Il est placé sous l’autorité d’un(e) secrétaire d’Etat, nommé(e) par le Conseil fédéral (gouvernement). Depuis janvier 2022, il est dirigé par Mme Schraner Burgener. Au total, le Sem employait 1537 personnes (correspondant à 1324,8 Fte) à fin juin 2023. Le Secrétariat d’Etat aux migrations traite toutes les questions relevant du droit des étrangers et du droit de l’asile en Suisse. Il réglemente les conditions d’entrée, de séjour et de travail en Suisse (migration), et décide qui peut y obtenir protection contre la persécution (asile).
Le Sem collabore étroitement avec les autres offices du Département fédéral de justice et police, ainsi qu’avec les autres départements (ministères) de la Confédération, en fonction de la nature des dossiers. Par exemple, avec le Département fédéral des affaires étrangères (Dfae) pour les accords migratoires, les questions de visa et les projets de coopération sur le terrain. Ou encore avec le Département de la défense (Ddps) pour l’hébergement temporaire des requérants d’asile et des ressortissants ukrainiens. Au niveau national, le Sem travaille aussi en étroite collaboration avec les cantons et les communes, en vertu du principe du fédéralisme qui régit la Suisse.»
La gestion des demandes d’asile en Suisse
«Aucun quota n’est appliqué en ce qui concerne le nombre de demandes d’asile. La Suisse fait le nécessaire pour pouvoir accueillir toutes les personnes requérant une protection et examine soigneusement et individuellement chaque demande. Les décisions sont prises de façon décentralisée : la Suisse est découpée en six régions d’asile, où les procédures sont menées.
Entrée en vigueur le 1er mars 2019, la révision de la loi sur l’asile a permis d’accélérer considérablement les procédures. La majorité d’entre elles aboutissent à une décision définitive -exécution du renvoi comprise, s’il y a lieu- dans un délai de 100 jours pour les procédures accélérées, ou de 140 jours pour les procédures Dublin. Quant aux demandes d’asile restantes, elles sont traitées par une procédure étendue, qui ne doit pas durer plus d’un an. Pour satisfaire à ces objectifs de célérité, tous les intervenants de la procédure d’asile sont réunis sous un même toit, dans les Centres fédéraux pour requérants d’asile (Cfa).
L’objectif est que les demandes d’asile à l’évidence injustifiées soient traitées rapidement, tout en appliquant une exécution des renvois conséquente. Si les procédures sont menées rapidement, elles doivent l’être aussi correctement. Pour cette raison, les requérantes et requérants d’asile ont droit, dès le premier jour, à une consultation gratuite concernant la procédure d’asile, afin de les informer notamment de leurs droits et obligations. En outre, ils ou elles peuvent disposer d’une représentation légale gratuite, qui participe à toutes les étapes pertinentes au niveau de la procédure. Une fois la procédure d’asile terminée, les requérants d’asile sont répartis entre les cantons, sur la base d’une clé de répartition, qui est en fonction de la population des cantons.
Par ailleurs, depuis 2019, la Suisse met en œuvre ce que l’on appelle le «Programme d’intégration». Toutes les personnes en fuite qui ont le droit de rester en Suisse sont soutenues sur la base d’un plan d’intégration. L’objectif principal est l’intégration professionnelle durable, ce qui permet de réduire les coûts de l’aide sociale tout en améliorant l’intégration sociale. Pour les adolescents et les jeunes adultes, l’accent est mis sur l’accès à une formation professionnelle de base.»
Les centres fédéraux d’asile
«Le Sem est compétent pour l’exploitation des Centres fédéraux pour requérants d’asile (Cfa) et le traitement des demandes d’asile. Chacune des six régions d’asile de Suisse abrite un Cfa qui assume des fonctions procédurales et jusqu’à trois Cfa qui n’en assument pas (centres d’attente et de départ). A leur tête, un chef de région supervise le ou les centres fédéraux implantés dans la région dont il a la responsabilité.
Pour encadrer les requérants dans ces centres, la Confédération fait appel à des prestataires externes qualifiés, qui se chargent de l’encadrement : ils organisent le quotidien du centre, s’occupent des requérants, de leur santé et coordonnent les programmes d’occupation et d’activités de loisirs. Les requérants d’asile, pour leur part, assument des tâches au centre et peuvent participer à des programmes d’occupation. Par ailleurs, la Confédération charge des prestataires de veiller à la sécurité à l’intérieur et à proximité du centre. Chaque centre dispose aussi d’un dispensaire, d’une école, ainsi que de conseillers spirituels (aumôniers) de différentes confessions, qui viennent apporter leur aide et leur soutien moral et spirituel aux requérants.
L’aménagement et l’exploitation des Cfa apportent des avantages économiques à long terme aux communes et régions dans lesquelles ils sont implantés. La création d’un Cfa implique généralement des investissements considérables dont peut aussi profiter l’économie locale et régionale. Pour fonctionner, le Cfa a besoin de personnel, ce qui crée des emplois. De plus, les prestations de services et les denrées alimentaires destinées au centre y sont, si possible, acquises auprès de fournisseurs locaux ou régionaux.»
Une Suisse pas si attractive pour les demandeurs d’asile
«Le Sem examine soigneusement et individuellement chaque demande d’asile. Ce faisant, il applique le principe selon lequel la Suisse accorde sa protection aux personnes qui en ont besoin et renvoie de façon systématique celles qui n’y ont pas droit. L’application de la procédure d’asile accélérée a dès lors pour conséquence de rendre la Suisse peu attractive pour les personnes sans motifs d’asile. La Suisse pratique une politique cohérente en matière de retour, ce domaine constituant un élément-clé d’une politique d’asile crédible. Avec un taux de renvoi de 57% en 2022, la Suisse se situe largement au-dessus de la moyenne européenne, ce qui fait de la Suisse l’un des Etats européens les plus performants en matière d’exécution des renvois.
Après une diminution en 2020 et 2021 en raison de la pandémie, le nombre total de départs (abstraction faite de l’Ukraine) -volontaires ou sous contrainte- est passé de 3755 en 2021 à 4803 en 2022, soit une augmentation de 28%. Cette évolution s’explique par l’étroite collaboration avec les Etats de provenance et avec les cantons, qui ont compétence en matière d’exécution des renvois. Quant au nombre de cas en suspens en matière d’exécution des renvois, il a diminué de 7%, et ce, malgré la forte hausse des demandes d’asile. Actuellement, le nombre de cas en suspens dans le domaine du retour avoisine les 4000, un chiffre très bas en comparaison internationale.
La Suisse se distingue par sa politique migratoire extérieure active : négociant en permanence des partenariats et autres accords migratoires, elle a conclu plus de huit partenariats migratoires (notamment avec le Nigeria et la Tunisie), huit accords de coopération migratoires (notamment avec la Guinée, la Côte d’Ivoire, la Gambie, la Rdc, l’Angola et la Guinée-Bissau) et pas moins de 65 accords régissant la coopération avec d’autres Etats en matière de retour.»
Garantir la migration régulière et prévenir la migration irrégulière
«Afin de pouvoir garantir la migration régulière et prévenir la migration irrégulière, la Suisse pratique une gestion des frontières professionnelle, efficace et conforme au Droit, c’est-à-dire notamment au Droit de Schengen. Cela implique une étroite collaboration avec toutes les autorités et tous les partenaires concernés, ainsi que l’utilisation de systèmes informatiques modernes et adaptés, qui permettent une procédure rapide pour les personnes concernées.
En outre, la Suisse a conclu plusieurs accords dans le domaine de la migration, qui prévoient à leur tour des projets dans le domaine de la prévention de la migration irrégulière. Outre la conclusion de tels accords, la Suisse soutient également de manière sélective des pays avec lesquels elle n’a pas de dialogue sur la migration ou soutient des projets mis en œuvre par des Ong, sans qu’il s’agisse de pays prioritaires (par exemple Ghana, Kaiptc).»
Une approche basée sur les droits humains
«Le Secrétariat d’Etat aux migrations est une autorité fédérale de la Confédération. Toutes les activités du Sem s’inscrivent dans un cadre national. D’une part, les droits humains internationaux sont ancrés dans la Constitution fédérale suisse. D’autre part, la Suisse, et donc le Sem, est liée par son adhésion aux traités internationaux sur les droits de l’Homme de l’Onu et du Conseil de l’Europe.
La Suisse pratique l’approche dite «whole of government». A cette fin, les différents départements impliqués dans la migration échangent régulièrement des informations. Ils coordonnent leurs projets, participent éventuellement ensemble à des dialogues sur la migration, etc. La communication entre les services concernés, qui appartiennent à différents départements, est très transparente et régulière. Les représentations à l’étranger sont également étroitement impliquées dans le travail sur la migration. Par ailleurs, il est certainement important que la Société civile soit incluse le mieux possible et qu’elle ait ainsi un sentiment de coresponsabilité. Pendant la procédure d’asile, par exemple, les organisations non gouvernementales sont souvent impliquées, que ce soit dans le conseil juridique, auquel a droit chaque demandeur individuel, ou dans le domaine de l’intégration.»
L’Europe n’est pas un paradis sur terre
«Vous faites sans doute ici allusion à la migration irrégulière. On a souvent une fausse image de l’Europe depuis d’autres continents. L’Europe n’est pas un ensemble homogène. Il existe de grandes différences entre les pays, par exemple en matière d’infrastructures ou de soins de santé. Le marché du travail y est aussi très compétitif. De plus, il faut parler la langue pour pouvoir s’intégrer correctement. Dans de nombreux pays, le coût de la vie est élevé, voire très élevé, ce qui signifie qu’il faut gagner correctement sa vie pour assurer sa subsistance et payer toutes ses factures. Si une personne veut venir en Europe, elle doit être consciente que la vie y est loin d’être rose. Tous ces éléments n’ont pas pour objectif d’être dissuasifs, mais de montrer la réalité à laquelle les migrants sont confrontés. Il est clair que si quelqu’un a la possibilité d’entrer légalement en Europe, d’y travailler ou d’y étudier légalement, les choses sont plus simples dans de nombreux domaines.»