Babacar Bâ, banquier et consultant international, décrypte les enjeux politiques et économiques du pays. En marge des «72 heures» de la jeunesse casamançaise tenue la semaine derrière et dont il était le parrain, le président d’Alternative citoyenne décline la vision de son mouvement citoyen.

Parlez-nous d‘Alternative citoyenne…
Depuis très longtemps, nous nous intéressons à ce qui se passe dans le pays. Nous parcourons le monde entier pour expliquer l’importance de la diaspora sénégalaise et l’impérieuse né­cessité de la mobilisation de ses fils pour une meilleure participation au développement de notre pays. C’est pourquoi nous sommes engagés dans bien des sujets sur cette mobilisation des flux qui est une nouvelle source de financement pour notre pays. C’est dire que la diaspora est incontestablement un levier de développement. Mais nous pensons aussi que le gouvernement du Sénégal doit mieux inciter la participation financière de cette diaspora. C’est ce que nous appelons une diaspora non seulement active, mais actrice du développement. C’est-à-dire qu’il faut transposer ces forces économiques en une force politique pour participer à l’essor de notre pays et les nombreux efforts de développement jusqu’ici déplo­yés. Après un long passé de militantisme, nous avons pensé lancer notre mouvement dénommé Alternative citoyenne dont l’objectif est de mettre l’intelligence au service du développement. Il s’agit donc de faire de la politique autrement.

Qu’apporterez-vous de nouveau dans la politique sénégalaise ?
Dans la vision qui est la nôtre, nous pensons que pour faire bouger les choses, on n’a pas besoin de discours. C’est concrètement qu’est-ce qu’on peut apporter pour faire émerger le pays. Après avoir créé beaucoup d’entreprises, de la valeur ajoutée, nous devons travailler à rendre possible ce qui est nécessaire pour nos populations en s’employant à restaurer la dignité à chaque Sénégalais. Et cela passe par la valeur du travail. Ce que nous apportons aujourd’hui, c’est d’inciter les jeunesses sénégalaise et africaine à plus d’engagement citoyen et patriotique. S’engager au profit de sa communauté sans rien attendre en retour est l’une des plus belles preuves de patriotisme. C’est pourquoi nous n’avons pas hésité, Hortence Diédhiou et moi, à accepter l’honneur qui nous a été fait d’être les parrains des «72 heures» de la jeunesse de Casamance. A travers cet évènement, nous avons accompagné, par exemple dans la formation en leadership, une cinquantaine de jeunes.

Comment comptez-vous changer la donne ?
A ce niveau, le gouvernement du Sénégal est en train de prendre des initiatives importantes qu’il faut saluer, comme l’amélioration de l’attractivité de notre pays. Notre pays séduit les investisseurs étrangers et les partenaires techniques et financiers nous font confiance. L’Etat a pris des mesures d’allégement fiscal pour mieux inciter les investissements. Par contre, il y a beaucoup d’autres secteurs dans lesquels nous devront travailler. Il faudra augmenter le niveau de formation, la qualité, la continuité de services. Les questions d’accès à l’énergie, les ressources humaines, la croissance inclusive et la redistribution des richesses se posent encore. Autant de sujets que le mouvement Alter­native citoyenne s’engage à rendre possibles. Nous sommes convaincus que faire de la politique, c’est placer l’intelligence au service du développement. C’est un combat générationnel que nous menons. J’aime rappeler souvent ce que Frantz Fanon avait dit : «Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir.» Et je suis heureux d’avoir rencontré, dans le cadre d’Alternative citoyenne, de nombreux jeunes Sénégalais qui sont investis de cette mission et avec qui, ensemble, nous pourrons faire bouger les lignes.

Est-ce à dire que vous soutenez les actions du président de la République et son Plan Sénégal émergent ?
Ecoutez, j’ai très souvent l’habitude de répondre à la question à savoir dans quelle mouvance nous sommes ? Nous sommes dans une seule mouvance qui est celle du Sénégal. Le Plan Sénégal émergent, quel que soit le nom, je suis plus préoccupé par le contenu que par le contenant. Dans la vision qui est la nôtre, le plus important c’est que changer une ampoule qui ne fonctionne pas dans la rue n’est une valeur ni de gauche ni de droite ni du centre. C’est simplement rendre possible ce qui est nécessaire pour les populations. Notre engagement politique est un engagement de responsabilité. En revanche, Alternative cito­yen­ne appuiera toutes les initiatives du gouvernement du Sénégal que nous penserons être au profit des populations. Ré­cem­ment, nous avons félicité le Président Macky Sall quand il a inauguré la plus grande centrale solaire au Sénégal et en Afrique, accélérant ainsi l’accès à l’énergie pour tous. Mais à chaque fois que de besoin, nous dénoncerons toutes les initiatives que nous jugerons inefficientes et inutiles pour le développement du Séné­gal. Ce fut le cas tout récent du Haut conseil des collectivités territoriales. Pour Alternative citoyenne, les urgences de l’heure ne justifient pas la création de nouvelles institutions.

Vous êtes entouré de jeunes. La question de leur emploi se pose avec acuité. Quelle alternative propose Alternative citoyenne ?
La problématique de l’employabilité des jeunes est une priorité absolue pour Alternative citoyenne. D’abord, il faut souligner que c’est une problématique mondiale et qu’elle ne se limite pas qu’au Sénégal. Pour le cas de notre pays, nous savons que chaque année l’Université de Dakar forme à peu près 60 mille diplômés. Chaque année, il n’y a que 10 mille qui sont absorbés par le monde professionnel. Et ce n’est pas forcément des emplois. Souvent, ce sont des stages pour ne pas dire emplois précaires. Donc il faut agir sur l’adaptabilité entre la formation et le milieu professionnel. Main­tenant, nous sommes tous d’avis qu’aujourd’hui il faut agir sur le domaine de l’entreprenariat pour solutionner cette problématique. C’est pourquoi, au niveau de notre mouvement, nous avons tout un volet consacré à l’entreprenariat et au leadership des jeunes, car nous savons pertinemment que l’Etat n’est pas en mesure d’absorber tous les diplômés. Il faut pousser les jeunes diplômés à aller vers l’auto emploi pour créer de la valeur, de la richesse. J’ose espérer que le gouvernement du Sénégal est en train de travailler sur bien des programmes pour l’emploi des jeunes. Les grandes querelles sont aujourd’hui la monnaie, le franc Cfa, les Ape, la migration. A ce sujet, je rappelle que 2016 a vu plus de 300 mille jeunes Africains tenter de traverser la Méditerranée avec près de 3 500 morts, faisant de l’année écoulée la plus meurtrière. C’est dire que les grands enjeux sur lesquels nous devons se pencher, ce sont celles-là. Au lieu de concrétiser les Etats-Unis d’Afri­que, on se borne à faire de la politique politicienne.

En tant que banquier, quelle lecture faites-vous de la situation économique du Sénégal ?
Je ne parle même pas du Sénégal, mais l’Afrique est le continent qui fait le plus de croissance. Nous sommes à peu près à 6,5%, il y a le milliard d’habitants, c’est le marché de demain. L’Afrique est riche, mais les Africains sont pauvres. Pourtant, l’Afrique est un réservoir de matières premières et un déversoir de produits manufacturés. Nous devons donc agir sur la transformation de nos produits et de nos matières premières. Je voudrais également féliciter le gouvernement du Sénégal sur ce point parce qu’il a mis en place une nouvelle législation pour la protection de nos ressources naturelles. Nous devons travailler à rendre compétitives nos entreprises pour leur permettre de pouvoir gagner des marchés et créer de la richesse. Nous devons aussi accompagner les acteurs de l’économie. C’est un clin d’œil à mes amis banquiers parce que nous savons que la banque et la Pme sont deux sœurs ennemies en Afrique. Alors que le secteur bancaire doit mieux financer la Pme pour accompagner le secteur de l’entreprise. 80% de notre tissu économique au Sénégal sont composés de Pme. 80% de leurs demandes de crédits sont rejetés et 51% de ces rejets sont des garanties. Par conséquent, nous savons exactement là où il y a problème. Nous devons agir, car gouverner ce n’est pas plaire, mais c’est prendre le risque de changer le cours de l’histoire et d’en assumer les conséquences.