Ousmane Sonko avait préféré s’abstenir de voter la Loi d’habilitation. Pour le secrétaire national chargé de la massification et vie militante de Pastef, certaines décisions du chef de l’Etat, notamment les marchés de commande et de distribution du riz, «donnent raison» à son leader. Cheikh Aliou Bèye estime d’ailleurs qu’au nom de la transparence, «on ne peut pas fermer les yeux sur un budget de 1000 milliards de F Cfa» géré par le Comité de suivi du Force Covid-19. Même si, rappelle le coordonnateur départemental de Pastef Pikine, son parti attendait plus un comté de pilotage.

Quelles lecture faites-vous des mesures prises par l’Etat pour faire face au Covid-19 ?
Comme le président Ousmane Sonko, Pastef se réjouit des premières mesures sanitaires, et de certains aspects économiques qui ont été pris. Nous saluons donc la fermeture des frontières, le renforcement des moyens sanitaires, l’accompagnement des secteurs impactés par la crise. Cependant, en dépit des efforts salutaires pour endiguer la pandémie, nous constatons que les cas importés ont cédé la place aux cas communautaires. Ce qui montre qu’il y a des limites dans la stratégie mise en place par l’Etat. Et voilà pourquoi nous ne devons pas dormir sur nos lauriers. Je crois qu’au vu de la gravité de l’évolution de la pandémie, le président de la République ne devrait pas se taire en tant que chef de guerre. Il faut dire que dans la démarche globale, ce qui pose problème, c’est le défaut d’application des mesures annoncées. C’est le cas avec de nombreuses violations de l’interdiction de circulation entre les régions, mais aussi les rassemblements dans les marchés et autres lieux publics. L’Etat doit se doter de moyens de protéger la vie des citoyens. Et bien sûr, il faut que des mesures d’accompagnement suivent. Maintenant, autant nous avons salué le confinement territorial, autant il n’y a pas eu de surveillance rigoureuse des déplacements inter-régions et inter-urbains qui ont favorisé les nombreux cas communautaires. Nous avons posé la question du dépistage massif, notamment dans les zones rouges où les services de santé ont noté des cas positifs importants, mais l’Etat reste toujours hésitant. Même s’il faut saluer la collaboration avec l’institut Iressef du Pr Souleymane Mboup, il faut davantage impliquer les structures privées de santé gérées par des nationaux et multiplier les tests pour permettre le dépistage volontaire. Nous rappelons que nous sommes dans la gestion d’une crise sanitaire avant tout. Globalement, nous avons noté beaucoup d’hésitations et de tâtonnements dans les décisions du gouvernement.

Que pensez-vous de la polémique née de la distribution des vivres alimentaires ?
La manière dont la Loi d’habilitation a été votée pose problème, de même que son opportunité, et le président Sonko l’avait dit. Aujourd’hui, certaines décisions prises par le chef de l’Etat nous donnent raison. Sur le soutien aux ménages vulnérables, je pense qu’il y avait un meilleur moyen de le faire que de distribuer du riz, du sucre, de l’huile, des pâtes. On pouvait le faire par les services de transfert d’argent et nous éviter, par conséquent, cette polémique autour des marchés opaques de commande des denrées et de leur convoyage. Et puis c’est sur la base du Registre national unique que les bénéficiaires des bourses familiales ont été choisis. Et ces bourses étaient toujours payées via les services de transfert d’argent ou La Poste depuis 2013. Il aurait été plus pertinent et logique de suivre ce format. Parce qu’au fond, le recours à la distribution de vivres, avec les implications logistiques comme les coûts de transport, manutention, distribution n’est qu’une façon d’enrichir des gens de la mouvance présidentielle. Il est évident que même dans la sélection des bénéficiaires il y a de forts risques de doublons au vu de l’absence de découpage géographie tangible de nos quartiers et communes et, peut-être, que ceux-là qui figuraient dans le Registre unique depuis 2012 ont maintenant changé de statut social. Et il peut y avoir aussi des personnes, notamment dans l’informel, qui étaient dans une situation plus confortable et qui ne travaillent plus depuis la fermeture des certains commerces et l’arrêt ou le ralentissement de certaines activités économiques. Voilà pourquoi le processus de sélection des bénéficiaires de l’aide est biaisé depuis le début. Mais quand le ministre en charge de l’Equité sociale n’est même pas en mesure de donner les chiffres réels du transport, cela est inquiétant. Cette distribution ressemble à un sabotage des efforts fournis pour contenir la pandémie qui progresse dans les régions du Sénégal. Ce sont des centaines de camions, donc, des milliers de membres d’équipe de convoyeurs, qui quittent Dakar, épicentre de l’épidémie, pour rallier l’intérieur du pays. Et c’est là un gros risque de propagation de la maladie. Et avec les nombreux rassemblements qui vont se faire dans les points de distribution des vivres, le risque est réel puisqu’on ne sait pas qui a le virus et qui ne l’a pas. Mais encore, les bénéficiaires tardent à recevoir leurs vivres parce que le dispositif est très lourd pour une distribution efficace. Les Sénégalais réclament un calendrier clair et précis sur tout ce qui est relatif à la distribution de cette aide alimentaire et c’est le minimum pour un gouvernement sérieux. Je rappelle d’ailleurs que les autorités avaient admis, sur la base de statistiques de l’Ansd, que 47% des Sénégalais étaient pauvres. Et ça, c’était avant l’épidémie. C’est dire que le niveau de pauvreté devrait atteindre aujourd’hui des niveaux insoupçonnés. Dans cette distribution, beaucoup de personnes seront laissées en rade. Mais au-delà, il faut dire que des mesures d’urgence ne peuvent pas être une solution à une situation structurelle. C’est un secret de polichinelle que certaines zones de l’intérieur étaient déjà menacées par l’insécurité alimentaire avant la pandémie parce que les récoltes n’ont pas été bonnes. Aujourd’hui encore, on parle de distribution des denrées alimentaires mais on n’oublie la campagne agricole, avec la distribution des semences. Des régions comme Kédougou vont déjà recevoir leurs premières pluies d’ici quelques jours. Nous savons qu’une crise mondiale alimentaire se profile et les prévisions du Programme alimentaire mondial sont claires. C’est pourquoi l’Etat doit s’engager à mettre les bouchées doubles pour éviter une campagne agricole catastrophique et, par conséquent, une insécurité alimentaire, voire une famine sans précédent.

Pourtant le ministre Mansour Faye s’est expliqué…
La gestion familiale et clanique, en période de crise ou pas, ne règlera jamais le problème des Sénégalais. Nous n’avons pas oublié les rapports des corps de contrôle qui ont épinglé beaucoup d’entre eux. Ce sont les mêmes personnes, le même système, les mêmes effets. Nous avons toujours dit qu’être dans une crise ne doit pas exclure une exigence de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des deniers publics du pays. Dans un pays pauvre comme le nôtre, on ne peut pas fermer les yeux sur un budget de 1000 milliards de F Cfa. Et puis si seulement c’est pour mobiliser des ressources, il n’y avait pas meilleure idée que de dissoudre certaines institutions budgétivores comme il l’avait fait avec le Sénat en 2012 et son prédécesseur en 2005 pour le même motif : les inondations.

Le Comité de suivi du Force Covid-19 a été mis en place la semaine dernière. Etes-vous rassuré par la nomination d’un militaire, le Général François Ndiaye, à la tête de ce comité ?
Je rappelle que nous, en tant que Pastef, nous parlions de comité de pilotage inclusif et non de comité de suivi. Ils ont continué à gérer comme ils veulent. Le Président prend ses décisions et positionne son clan et sa famille comme des exécutants. C’est un comité de suivi où siègent des ministères qui sont juge et partie. Un comité de suivi où siègent la famille et la belle-famille puisque même son frère en est membre. De façon générale, le Président a mis dans ce comité des gens acquis à sa cause, qui le défendent tous les jours, et ce n’est pas là où il était attendu. C’est de la théâtralisation et du «makyllage». Donc, pour nous, que ceux qui gouvernent, gouvernent, que ceux qui s’opposent, s’opposent. En ce qui nous concerne, nous avons choisi d’être aux côtés du Peuple. Cependant, il n’est pas trop tard pour rectifier le tir. Nous appelons le gouvernement au sens de la responsabilité et du patriotisme.

Qu’est-ce qu’il y a à rectifier dans ce plan de riposte ?
Le plan de riposte devait être détaillé et mis à la disposition des populations. Et notre leader l’avait réclamé au président de la République lorsque ce dernier l’a reçu dans le cadre des rencontres avec l’opposition parlementaire. On nous a parlé de 1000 milliards pour le Force Covid-19, mais on n’a jamais publié le plan de financement et d’exécution détaillé. On semble plutôt faire dans le tâtonnement et le pilotage à vue puisqu’il n’y a pas assez de visibilité sur les sources de financement. Même si on sait que des bailleurs bilatéraux ou des citoyens ont contribué. La gestion de crise requiert un plan de contingence épidémique actualisé et mis à jour, ce qui n’est pas le cas. L’Etat avait pourtant vécu l’alerte d’Ebola et l’expérience du choléra. De ce point de vue, il devait se doter de moyens de riposte conséquents. Le gouvernement a aussi confondu la phase d’urgence qui consiste à sauver des vies dans l’immédiat et la phase de relance économique pour nous vendre le concept de «résilience» qui est un état acquis dans un processus de développement qui intègre des stratégies de réduction de risques. Nous devons alors penser à mettre en place des dispositifs nécessaires comme les plans de contingence, de relèvement et de relance intégrant la gestion des risques qui feraient qu’en cas de résurgence de la maladie, notre pays serait résilient. En gros, l’Etat a vraiment manqué de méthode dans la gestion de la crise du Covid-19.

Qu’est-ce que Pastef a fait pour sensibiliser et appuyer les Sénégalais pour faire face au Covid-19 ?
Dès l’annonce du premier cas de Covid-19, Pastef a mobilisé ses militants avec la commission médicale des cadres patriotiques, composée de médecins et d’autres spécialistes, pour préparer un plan d’intervention. Il s’est agi de distribuer des produits d’hygiène, des lave-mains, des masques, des flyers, etc. Et depuis que les cas communautaires se sont multipliés, nous avons changé d’approche. Les fonds mobilisés avec la participation de nos militants par nos structures de base sont mis à la disposition des sous-préfets, des préfets, des gouverneurs et parfois des maires. C’est le cas aussi pour les denrées alimentaires et les produits d’hygiène. C’est vous dire que partout à travers le pays, nous sommes sur le terrain de la solidarité et de la sensibilisation. Que ce soit au Sénégal ou dans la diaspora, nous avons fait beaucoup d’actions à travers nos structures pour appuyer les Sénégalais qui sont dans une situation difficile. Mais nous avons également fait beaucoup d’affiches et de vidéos de sensibilisation de nos compatriotes sur les mesures préventives du Covid-19. Bref, nous déroulons toutes nos actions en parfaite intelligence avec les autorités administratives et sanitaires.