Commandant, le constat est qu’à Thiès des caïlcédrats légendaires, Khaya senegalensis où Khaye en Wolof, qui constituent un patrimoine écologique et culturel de la ville de Thiès sont gravement menacés par diverses agressions d’origine anthropique. Il s’agit de l’abattage, l’élagage abusif et l’écorçage illicite. Selon vous, qu’est-ce qui est à l’origine de cette situation

?
Le caïlcédrat est une espèce mythique et légendaire de la ville de Thiès, d’une manière générale de la région de Thiès. Le Khaya senegalensis plus connu sous le nom de caïlcédrat a été introduit au niveau de la ville de Thiès, d’abord au niveau de la cité Ballabey appelée aujourd’hui cité Ibrahima Sarr, depuis les années 1900 pour un peu reverdir toute la cité qui abrite la direction générale des chemins de fer de la ville. Ensuite, progressivement, des caïlcédrats ont été plantés au Camp Tropical qui abrite le Groupement mobile d’intervention (Gmi) vers les années 1930 et dans les cantonnements militaires du 10e Régiment d’infanterie d’Afrique et d’Outre-mer «le 10e Riaom» à la fin des années 1940, début 1950. Aussi, le Gouverneur de Thiès de l’époque a poursuivi ces plantations en changeant tout ce qui était espèce au niveau de la gouvernance de Thiès pour installer des caïlcédrats. Et de manière progressive on a fait l’extension avec le Commandant de Cercle Pierre Lamy qui a créé les quartiers Grand Thiès et Cité Lamy. Finalement, ces plantations de  caïlcédrats ont fait le tour de la ville de Thiès, surtout au niveau des grandes avenues. Aujourd’hui, on s’est rendu compte qu’au fur et à mesure que les années passent l’espèce est agressée au niveau de la ville de Thiès. Il fait souvent l’objet d’un élagage mal fait. Parce que, il faut aussi le dire, les sociétés comme la Senelec, la Sonatel demandent toujours des autorisations pour faire des élagages au niveau de certaines espèces. Lesquelles, plus particulièrement les caïlcédrats, sont souvent dans des avenues. Et ces mauvaises techniques d’élagage ajoutées aux aléas climatiques et à l’agression des populations, parce qu’il y a des gens qui écorcent l’espèce, ont fait aussi que l’arbre est agressé. On voit aussi que progressivement il y a de nouvelles cités et nouvelles implantations d’immeubles qui font que les gens demandent toujours l’autorisation d’élaguer ou même d’abattre ces espèces. Cela explique un peu les problèmes que cette espèce est en train de subir au niveau de la ville de Thiès. Il s’y ajoute que les sujets sont vieillissants, et dès fois, ils constituent des dangers. Ce qui explique les mortalités naturelles du sujet. Mais elles occupent une place très faible parce que quand on fait les statistiques on voit que cette mortalité naturelle occupe moins de 5%, pour le reste, ce sont des agressions dues à des actions anthropiques.

Aussi, d’autres déperditions sont régulièrement enregistrées du fait de la vieillesse des sujets et de l’absence d’un programme de traitement sylvicole approprié…
Quand on parle d’opération sylvicole on pense déjà à l’élagage, l’émondage, etc…. Les éleveurs de la ville de Thiès font tout pour élaguer et émonder les caïlcédrats pour faire vivre leurs animaux. Donc il y a beaucoup de facteurs. Et ces opérations mal faites vont à la longue causer la mortalité des sujets. Alors qu’au même moment, il n’y a pas un programme de remplacement ou de substitution de ces plantations. Mais au fur et à mesure, les gens se sont rendus compte qu’il urge vraiment de réfléchir sur comment sauver donc ce patrimoine de la ville de Thiès mais également comment remplacer les sujets vieillissants ou déjà morts. Nous sommes en train d’y réfléchir. Il y a déjà des actions, mais qui sont assez timides, qui ont lieu. Parce qu’il y a certaines associations qui ont mis la main à la patte pour planter des caïlcédrats. Mais il faut dire que depuis 1996 qu’est intervenue la décentralisation qui transfert les compétences liées à la gestion de  l’environnement et des ressources naturelles aux collectivités locales, il n’y a pas de programme pour permettre de prendre en charge cet important projet de remplacement de sujets morts de caïlcédrat parce que les collectivités locales n’ont pas de moyens. Heureusement, il y a un important travail de plaidoyer qui est en train d’être fait pour trouver des solutions. Et cette année, on va mettre tous les moyens nécessaires, aussi bien de bons plants, mais la protection également, parce qu’on mettait des plants mais qui n’étaient pas  protégés. Et les populations ne nous aident pas vraiment à préserver ces jeunes sujets qui étaient plantés mais qui n’ont pas été protégés. Mais quand même cette année on a choisi, avec la mairie de la ville, dans le cadre de son projet Restauration et réhabilitation des écosystèmes de la ville de Thiès, de remplacer tous les sujets morts sur l’avenue Caen, d’abord, avant de poursuivre vers les autres artères de la ville. Le programme est déjà ficelé et on va le démarrer avant l’hivernage.

Vous rejoignez, alors, le directeur des Eaux et forêts, Colonel Baïdy Bâ, qui estime que les caïlcédrats reboisés depuis l’époque coloniale sont encore debout mais, qu’en réalité, ils sont morts parce que leurs racines sont pres­que déjà mortes?
Ils ne sont pas tous morts mais ils ne se comportent pas comme cela se devait parce que même quand ils sont debout, ils sont agressés. Soit ils sont émondés, ou élagués, voire écorcés. Ce sont ces aspects-là qui ne militent pas à la bonne croissance de l’arbre. C’est pour cela qu’il dit (Baidy Bâ) que les caïlcédrats sont debout mais tous morts parce que les gens ne s’en occupent pas trop. C’est ça ! Mais là, je pense qu’un important travail est en train d’être fait parce qu’on a effectué des enquêtes pour recueillir un peu les impressions des populations au niveau de toutes les communes de la ville de Thiès. Ensuite, il y a eu des plateformes qui ont été mises en place dans toutes ces communes pour appuyer cet important programme de régénération de ces Khayes dans la ville de Thiès. Le caïlcédrat est également entaillé par des populations qui utilisent l’écorce amère pour ses propriétés réputées fébrifuges et toniques, pour elles et pour les chevaux.

Pensez-vous que l’arbre a ces vertus ?
Bien sûr, l’arbre a ces vertus. Parce que les écorces de l’arbre soignent beaucoup de maladies. Les gens utilisent les écorces de l’arbre, comme vous l’avez dit, pour les chevaux et autre chose. Mais si on continue à les écorcer, on risque de le perdre, c’est pour cela aussi qu’on interdit cela. Mais il y a des gens qui attendent pendant la nuit pour s’adonner à ces pratiques. C’est un peu difficile mais quand même on est en train de veiller pour préserver ce patrimoine de la ville de Thiès. Un recensement des caïlcédrats de la Commune de Thiès effectué en 2003 par le service forestier de Thiès faisait état de 3188 arbres vivants.

Aujourd’hui pouvez-vous nous faire l’état des lieux ?
On ne peut pas, parce que cette année, ce qu’on s’était dit, dans le cadre toujours du programme, c’était de recenser tous les caïlcédrats de la ville de Thiès, c’est-à-dire leur position et tout, pour avoir une base de données pour qu’on puisse suivre, de manière individuelle, les différents sujets de l’espèce. Si ce travail est fait, on pourra donc déjà faire une comparaison entre ce qui a été fait en 2003 et ce qui reste maintenant. Mieux, nous allons former des gens qui s’adonnent à l’élagage parce qu’il y a des techniques appropriées à ce type de pratique. Dans ce cadre, nous allons former des techniciens en matière d’élagage et voir comment les équiper en matériel. Parce que là aussi, il ne faut pas couper avec n’importe quel matériel. Il y a des gens qui coupent avec des haches, etc., alors qu’il faut avoir de bonnes tronçonneuses. Mais également il faut savoir quelles sont les branches qu’on doit couper et comment les couper. Il faut que les gens maitrisent ces techniques d’élagage et qu’on essaye de les accompagner jusqu’à ce qu’ils aient un agrément au niveau des différentes structures qui s’adonnent à l’élagage comme la Senelec et la Sonatel, parce qu’elles ont des équipes agréées qui font l’élagage. Soit on forme ces équipes-là, ou on essaye vraiment d’agréer d’autres gens qui maitrisent mieux ces techniques, pour que l’on puisse mieux gérer le patrimoine de caïlcédrat.

Dans le cadre de la Politique forestière du Sénégal (Pfs) qui vise à juguler les effets de la dégradation des écosystèmes et des changements climatiques, est-ce qu’il est prévu de planter des khayas ?
Oui ! On continue à planter des khayes. Si vous allez visiter la pépinière de Diakhao, on est en train de produire beaucoup de caïlcédrats. Il y a même quelques parcelles dans la forêt classée de Thiès où on a planté des caïlcédrats pour permettre de régénérer un peu cette espèce là au niveau des différents sites. Et là, si vous visitez la forêt de Bandia, il y a de belles plantations de caïlcédrats. Maintenant on s’est dit qu’il faut continuer à planter parce que l’arbre donne du bon bois d’œuvre qui pourrait donc être utilisé dans le cadre de la menuiserie et de l’ébénisterie. C’est dans ce cadre qu’on s’est dit qu’il y a beaucoup d’espèces qui sont en train de disparaitre et dont il faudrait faire la promotion, c’est le cas du baobab, du caïlcédrat, du detarium, du ditakh. On est en train vraiment de faire la promotion de ces espèces locales parce que ce sont des espèces qui ont été très bien connues par la population mais qui tendent vraiment à disparaitre. Justement, le baobab, arbre emblème de la nation, est aussi menacé à Thiès.

L’espèce est en train de disparaitre au niveau de la cité du Rail à cause d’une certaine boulimie foncière. Quelle est la part de responsabilité de vos services dans cet état de fait ?
La boulimie foncière menace toutes les espèces. Les gens ont beaucoup parlé du baobab, mais, en réalité, c’est le Faidherbia Albida, le Kadd, en wolof, qui a beaucoup souffert, parce que le parc à Kadd de cette zone-là a presque disparu. On a installé de nouvelles cités dans une zone qui a un très beau parc à Kadd et qui avait quelques sujets de baobabs. Mais, comme le baobab est un arbre emblématique, les gens ont beaucoup mis l’accent sur cette espèce alors que c’est le Kadd qui a beaucoup été agressé. Quand il y a une urbanisation galopante l’environnement va en souffrir, c’est le cas de la région de Thiès de manière générale, plus particulièrement dans cette ville. On risque, dans les années à venir, de ne plus avoir de terroir agricole parce que les gens sont en train d’installer des cités un peu partout. Si ce ne sont pas des cités, ce sont des vergers. Lesquels, quand on les installe, les gens, même si c’est à un degré moyen, cherchent toujours à enlever certains arbres pour pouvoir développer la bonne culture. Ce sont des facteurs qui ne militent pas trop au développement du parc à Kadd. Parce qu’une partie de Thiès est dans le bassin arachidier, et qui parle de bassin arachidier pense au Kadd. Le Kadd qui est une légumineuse qui fertilise les sols est en train de disparaitre de manière progressive.
Les «Amis du Baobab» accusent votre direction d’avoir donné l’autorisation de couper des baobabs pour l’installation d’une société immobilière dénommée «Sidak ville neuve». Qu’en est-il ?
Nous ne gérons pas le foncier. C’est un peu paradoxal quand on dit : «oui, c’est le service des Eaux et forêts qui a donné l’autorisation». Moi, j’ai été interpellé et j’ai répondu à beaucoup de correspondances, mais je dis qu’il faut lever certaines équivoques parce que le service forestier ne gère pas le foncier. Il y a des autorités et des services bien compétents qui gèrent ça au niveau de la Commune et de l’Etat. Ce sont ces autorités et services-là qui ont donné l’autorisation d’installation de ces cités dans un parc à Kadd et baobab. Les gens étaient obligés de couper ces arbres pour l’aménagement et la construction des cités.
Ils estiment aussi que le baobab comme le lion, sont deux espèces qui figurent dans l’emblème de notre pays. Des espèces protégées par le Code forestier. Pourquoi au­toriser donc des lotissements qui viennent les massacrer ?
C’est simple, il y a une procédure qui est très claire. Si vous voulez couper un arbre, il faut demander une autorisation. Déjà, l’autorisation préalable est donnée par la collectivité locale concernée, maintenant, le service forestier est obligé de venir faire le constat, voir si réellement les raisons énoncées sont bien avérées pour ensuite donner une autorisation. Et quand on donne une autorisation, il y a un décret fixant les taxes et les redevances en matière forestière. Là, on dit : «pour abattre telle espèce, il faut payer tant». C’est la procédure qui a été suivie jusqu’à ce qu’une bonne partie du parc à Kadd et quelques sujets de baobab ont été abattus pour l’installation de cette cité que tout le monde connait bien. Mais, encore une fois, ce n’est pas le service des Eaux et Forêts qui a donné l’autorisation d’installation de cette cité, parce que nous gérons les forêts classées mais pas le foncier au niveau des communes et terroirs.