Désiré Assogbavi , expert en développement inter­national, successivement représentant résident auprès de l’Union africaine et directeur des bureaux de liaison d’Oxfam International, de Plan International et du Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap) pendant 13 ans, est désormais le Directeur de One pour l’Afrique fran­cophone. Mouvement international qui mène des campagnes pour mettre fin à l’extrême pauvreté et aux maladies évitables d’ici 2030 afin que chaque personne, partout, puisse mener une vie digne et faite d’opportunités, est aussi au cœur de la lutte contre le Covid-19 et de son impact chez la population. Aujourd’hui au Sénégal, sa mission, c’est de travailler avec les professionnels de Médias pour mener des campagnes de sensibilisation à travers le pays mais aider la couche vulnérable à retrouver sa dignité après la pandémie.Par Abdou Latif MANSARY –

 Vous êtes le directeur de l’Ong One pour l’Afrique francophone, que faîtes-vous au Sénégal ?
Je suis au Sénégal dans le but de rencontrer le Réseau des journalistes pour l’Afrique francophone qui a décidé de se former en coalition enfin de pouvoir travailler ensemble en synergie et pour apporter leur contribution et dans cette lutte contre le Pandémie qui est la Covid-19. Nous avons constaté que cela fait maintenant près de deux ans que nous subissons les conséquences de la pandémie de Covid-19, et la communauté internationale envisage enfin une stratégie cohérente pour mettre un terme à la crise, avec l’objectif de vacciner au moins 70% de la population de toutes les catégories de revenus de pays d’ici septembre 2022. Cette approche nous offre la perspective de mettre fin à la pandémie dans les 12 prochains mois. Mais pour y parvenir, nous avons besoin d’un changement de dynamique drastique – soit rediriger de toute urgence nos ressources vers les pays qui accusent le plus gros retard dans la lutte contre la pandémie. Au rythme actuel, il pourrait s’écouler plus d’une décennie avant que les pays à faible revenu atteignent les niveaux de vaccination similaires à ceux des pays à revenu élevé. Si nous n’éliminons pas le virus partout où il sévit, la crise que nous traversons risque de persister pendant la prochaine décennie, et avec elle les contrecoups dévastateurs qui ont ravagé l’économie mondiale. L’incapacité à faire face à cette crise d’origine humaine fait prendre des risques considérables à tous les pays du monde. Il est indéniablement dans l’intérêt collectif, des pays pauvres comme des pays riches, d’atteindre ensemble cette cible.

Quels sont les obstacles qui empêchent d’atteindre l’objectif de vacciner au moins 70% de la population mondiale ? Et comment pouvons-nous les surmonter ?
One a analysé les principaux obstacles qui nous éloignent de la fin de la pandémie : il y a des obstacles qui nous empêchent de mettre fin la pandémie de Covid-19. Le premier obstacle est que les pays riches ont presque atteint l’objectif de vaccination mondial et continuent pourtant le stockage excessif de doses supplémentaires. Environ la moitié de la population mondiale, soit 3,8 milliards de personnes, principalement dans les pays à faible revenu et revenu intermédiaire de la tranche inférieure, n’a reçu aucune dose de vaccin – autant de communautés qui restent donc totalement exposées au virus. Et pourtant, jusqu’à présent, dans les pays riches, le nombre de personnes ayant reçu une dose de rappel (soit le plus souvent une troisième dose) est trois fois plus élevé que le nombre de personnes ayant reçu une première dose du vaccin dans les pays à faible revenu.
Et le deuxième obstacle en théorie, nous avons suffisamment de doses pour vacciner l’intégralité de la population mondiale, mais nous ne nous donnons pas les moyens pour qu’elles parviennent aux populations les plus vulnérables. En effet, du fait de l’injection de doses de rappel dans les pays les plus riches, l’administration des premières et deuxièmes doses du vaccin dans les pays où l’accès au vaccin est le plus urgent (pays à revenu faible et intermédiaire de la tranche inférieure) prend du retard. Bien que les données montrent que la réponse immunitaire de l’organisme aux vaccins contre le Covid-19 diminue avec le temps, la protection relative d’une ou deux dose(s) reste nettement supérieure à l’absence totale de dose. C’est pourquoi, dans un contexte d’approvisionnement mondial limité, l’administration des premières et deuxièmes doses doit demeurer un enjeu prioritaire par rapport aux doses de rappel. Comme nous l’avons vu avec le variant delta, plus nous attendons pour vacciner à l’échelle mondiale, plus la menace du Covid-19 prend de l’ampleur dans tous les pays etc…

Les mécanismes d’achat et de distribution de doses aux pays à faible revenu sont toujours mis à mal. Quelles lectures faites de çà ?
Les pays à revenu élevé ont acheté trois fois plus de doses que Covax, même si ce dernier dessert une population trois fois plus nombreuse que celle de ces pays. De même, les pays à revenu élevé ont acheté 32 fois plus de doses que l’Equipe spéciale pour l’acquisition de vaccins en Afrique (Avatt) de l’Union africaine, alors qu’ils desservent tous deux des populations de taille similaire. Ces disparités dans l’achat de vaccins ne sont pas le fruit du hasard. Les pays à revenu élevé disposaient du pouvoir d’achat nécessaire pour être les premiers à la table des négociations avec les sociétés pharmaceutiques, qui leur ont donné la priorité sur l’approvisionnement mondial. À l’inverse, malgré la publication de son premier appel à financement d’un montant initial de 2 milliards de dollars afin de commencer à sécuriser des doses pour les pays à faible revenu en juin 2020, Covax n’a pas réussi à conclure des accords avec les donateurs pour ce montant avant décembre 2020 – montants qui n’ont pu être effectivement collectés qu’en février 2021. Les pays à revenu élevé ont signé 48 accords avec des sociétés pharmaceutiques avant même que Covax n’ait pu récolter les fonds nécessaires, ce qui a limité sa capacité de négociation. Ce pouvoir d’achat incite également les entreprises pharmaceutiques à privilégier les contrats avec les pays riches. La pandémie a provoqué une hausse de l’extrême pauvreté dans le monde pour la première fois depuis deux décennies. L’année 2020 a ainsi vu 100 millions de personnes supplémentaires basculer dans l’extrême pauvreté. L’Afrique a besoin d’au moins 285 milliards de dollars supplémentaires rien que pour répondre à la pandémie au cours des prochaines années, et d’au moins 500 milliards de dollars pour se remettre sur les rails.

Aujourd’hui est-ce qu’il y a espoir pour gagner ce combat ?
À ce jour, malgré les belles paroles de nombreux dirigeants, la réponse économique mondiale est encore très loin de répondre à ce besoin. Une crise de la dette sévit en ce moment même en Afrique. En effet, en 2020, le poids de la dette a augmenté pour atteindre plus de 625 milliards de dollars. La moitié des pays à faible revenu sont soit en situation de surendettement, soit à haut risque de le devenir, alors même qu’il leur est exigé pour les trois prochaines années de payer 35 milliards de dollars au titre du service de la dette. La pandémie a durement touché toutes les populations. Nous avons toutes et tous ressenti l’impact de cette crise sanitaire mondiale dans nos vies, nos emplois et nos économies. Mais force est de constater que la reprise n’est pas la même pour tous : si les pays riches retrouvent peu à peu une situation économique normale, les pays les plus pauvres seront confrontés à des années de ralentissement économique. Privés des mêmes capacités de réponse à la crise, les pays les plus pauvres sont davantage exposés au virus et à ses conséquences économiques. Or cette situation est nuisible pour tout le monde, car le virus continue de circuler et de freiner la reprise économique et les perspectives de croissance, d’entraver le commerce mondial, de menacer le tourisme, de perturber les chaînes d’approvisionnement et de nous faire courir le risque que de nouveaux variants toujours plus dangereux relancent l’ensemble du cycle. Le G7 a promis de fournir 100 milliards de dollars en Dts recyclés et cet engagement doit être respecté, avec une feuille de route claire pour réaffecter davantage de Dts l’année prochaine.